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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La période courant de 1945 à 1990 voit la transformation des rapports entre l’État et des médias qui se diversifient. A la presse, média traditionnel qui a connu son âge d’or à la Belle Époque, s’ajoute la radio à partir des années 1920 et la télévision à la fin des années 1930, ne s’imposant toutefois dans les foyers que durant les années 1960. A la Libération, la radio et la télévision sont sous monopole public ce qui permet à la presse de garder une certaine singularité en tant que média libre. Les présidences de De Gaulle et Pompidou sont marquées par le contrôle étatique et la censure avant que celles de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand ne permettent une autonomisation et une libéralisation de l’audiovisuel. Les médias constituent un enjeu tel que le pouvoir politique ne peut toutefois pas les ignorer : au contrôle direct de l’État va se substituer au cours des années 1970-1980 des modes d’influence indirects sur les médias.


La IVe République : indépendance de la presse, monopole public sur l’audiovisuel (1945-1958)

A la Libération, un certain nombre de titres disparaissent tandis que de nouveaux journaux issus de la Résistance ou s’en réclamant les remplacent (CombatFrance LibreLibération, etc.). Parallèlement, le personnel journalistique fait l’objet d’une épuration partielle : quelques grandes plumes sont condamnées à mort ou à de la prison, mais la majorité des peines consistent en une suspension de toute activité journalistique pour une durée qui excède rarement deux ans. La presse se fait à la fois relais et actrice des débats sur le rétablissement de la République et de la démocratie parlementaire. L’État intervient alors dans le secteur en fixant les prix, la périodicité et le format des journaux, avec l’idée que l’égalité de traitement économique permet l’indépendance politique et la liberté des débats. L’État intervient également en amont en créant le 30 août 1944 l’Agence France Presse (AFP), entreprise publique dont le directeur est alors nommé en Conseil des ministres. La loi de 1881 sur la liberté de la presse est en revanche conservée sans modification.

En 1947, l’État se désengage en mettant fin à l’autorisation préalable et en libérant les prix. Dans les années qui suivent, le pouvoir s’emploie à marginaliser la presse des extrêmes. Dans le contexte de la guerre froide, L’Humanité est ainsi saisie à quatre reprises (1947, 1948, 1951, 1952) et est poursuivie au nom des menaces que ferait peser le quotidien sur la défense nationale.

Dans le domaine de l’audiovisuel, le monopole d’État établi en 1941 par Vichy sur l’audiovisuel est maintenu au lendemain de la guerre (ordonnance du 3 mars 1945). La radio et la télévision ont une mission de service public qui se traduit par l’importante place accordée aux programmes culturels et éducatifs et par l’absence de publicité commerciale. Le décret du 9 février 1949 transforme la Radiodiffusion française (RDF) en Radiodiffusion télévision française (RTF), attachée au ministère de l’Information. Ce monopole doit toutefois être relativisé du fait de l’autorisation d’émettre accordée à des radios dites périphériques, diffusant depuis l’étranger pour échapper à la règlementation française, comme Radio-Télé-Luxembourg (RTL), Radio Monte-Carlo (RMC), et, à partir de 1955, Europe 1 (émettant depuis la Sarre). Pour tenter de réduire l’autonomie de ces radios, l’État investit le capital de ces entreprises (en 1959, l’État acquiert ainsi 35% des actions d’Europe 1). Au début des années 1950, la médiatisation du politique à la télévision fait ses premiers pas. Dès 1949 apparaît le premier journal télévisé quotidien. En juillet 1953 est diffusé le premier entretien avec le président du Conseil et en décembre de la même année est partiellement retransmis le congrès de Versailles. Deux ans plus tard, le décret du 8 décembre 1955 fixe la durée d’expression des partis à la télévision lors de la campagne électorale.

La République gaullienne : l’audiovisuel sous contrôle (1958-1974)

Méfiance du pouvoir et tentatives de contrôle

A la fin des années 1950, les médias doivent s’adapter à de profondes mutations politiques et institutionnelles avec l’avènement de la Ve République et le retour au pouvoir de De Gaulle. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, avant même 1958, les saisies administratives se multiplient à l’encontre des journaux, mais elles culminent durant la période 1960-1962. Sont touchés, d’abord les journaux de gauche (L’HumanitéL’ExpressFrance-Observateur) puis, au temps de l’OAS, ceux d’extrême-droite (RivarolLe Charivari). Le monde journalistique réagit en février 1960 par le biais notamment de la Fédération nationale de la presse française, qui appelle à la fin des saisies et au respect du droit des journalistes.

Au cours des années 1960, la télévision devient véritablement un média de masse (24.000 ménages disposent d’un poste de télévision en 1953, 1,3 million en 1960 et 11 millions en 1973). Cette expansion amène le pouvoir politique à resserrer son emprise sur ce média dont on craint la puissance. De Gaulle estime que la grande majorité de la presse lui est hostile et perçoit l’audiovisuel comme un moyen de contrecarrer cette influence pernicieuse. Le ministère de l’Information (occupé par Alain Peyrefitte à partir de 1962) contrôle les informations et magazines, procède à la censure et à la commande d’émissions. « La télévision c’est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français » dit alors Peyrefitte. En 1964 est créé l’ORTF (Office de radiotélévision française). Administrée par un conseil d’administration composé pour moitié de représentants de l’Etat et pour autre moitié de représentants des auditeurs, des téléspectateurs, de la presse écrite, du personnel de l’Office et autres personnalités hautement qualifiées, l’ORTF est placée sous la tutelle du ministère de l’Information. Il est dirigé par un directeur général nommé par décret qui a le pouvoir de nommer à tous les emplois. La même année, une deuxième chaîne télévisée est créée.

Médias et pouvoir politique lors de la crise de mai 1968

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Voitures des radios périphériques au Quartier latin à Paris, le 6 mai 1968.

La crise de mai 1968 se trouve à la conjonction de plusieurs contestations : contestation de la jeunesse des autorités traditionnelles (parents, école, …), contestation du monde ouvrier de l’autorité du patronat et de l’autorité politique. De manière générale, les manifestants réclament plus de libertés. Les manifestants s’en prennent aux médias accusés de relayer la propagande gouvernementale, comme en témoignent de nombreux dessins et caricatures. La presse d’opposition (comme L’Humanité) attaque aussi les médias audiovisuels sous le contrôle des « classes dominantes », travaillant au profit de la société de consommation. Du côté de l’ORTF, le refus de la direction de relayer les déclarations des hommes politiques et syndicalistes hostiles au gouvernement entraîne une grève générale des journalistes, votée le 25 mai 1968. De Gaulle demande alors à George Gorse, ministre de l’Information, de « mettre les trublions à la porte ». Soixante journalistes de TV et de radio sont licenciés et cinquante sont mutés en province. Le 30 mai, ces médias relaient l’allocution de De Gaulle, qui annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, et facilitent la manifestation de soutien au président de la République. Le 30 juin 1968, les gaullistes sont victorieux aux élections.

Les années qui suivent la crise de mai 1968 ne voient pas de transformation du paysage audiovisuel. La volonté de libéralisation de Jacques Chaban-Delmas se heurte à celle de Georges Pompidou qui maintient l’exercice du contrôle et de la censure. Sous la présidence de Pompidou, deux lois viennent néanmoins modifier la loi de 1881 : la loi de 1970 sur la protection de la vie privée et la loi de 1973 sur le racisme.

Libéralisation et privatisation de l’audiovisuel (à partir des années 1970)

Dès 1974, Valéry Giscard d’Estaing supprime le ministère de l’Information et créé un porte-parole de la présidence (fonction attribuée à Jean-Philippe Lecat), ce qui constitue un virage dans la stratégie de communication gouvernementale. Ce porte-parole est en contact permanent avec les journalistes, assure un point presse quotidien à midi, répond aux questions des journalistes et peut tenter d’influencer leurs analyses. Deux ans plus tard est créé le SID (Service d’information et de diffusion), rattaché au Premier ministre, dont la mission est de coordonner la communication gouvernementale et de communiquer aux journalistes des notes, rapports et dossiers de presse qui peuvent subtilement orienter leur traitement de l’information.

Le président de la République met fin à l’ORTF avec la loi du 7 août 1974. Cette réforme est motivée par des raisons économiques mais aussi et surtout politiques : il s’agit de répondre à la crise de 1968. L’Office éclate en sept sociétés : quatre sociétés de programmes, dont une pour la radio (Radio France) et trois pour la télévision (TF1, Antenne 2 et FR3), une société de diffusion (TDF), une société de production (SFP) et une chargée des archives et de la recherche (l’INA). La décennie suivante est marquée par la libéralisation de l’audiovisuel. Le 15 février 1978, des radios pirates fédérées dans une Association pour la libération des ondes (ALO) organisent une « journée nationale des radios libres » pour contester le monopole d’État sur la radio. Elles diffusent simultanément des émissions-manifestes qui sont pour la plupart brouillées par la société de diffusion TDF. Le 9 novembre 1981, François Mitterrand autorise les radios dites libres à émettre. Le nombre de stations de radio explose rapidement : 2000 radios sont recensées en 1982, beaucoup moins survivent dans les années qui suivent. Le 29 juillet 1982, la loi Fillioud abolit le monopole de programmation et créé une Haute autorité de la communication audiovisuelle « chargée de garantir l’indépendance du service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision » (remplacée par la la Commission nationale de la communication et des libertés en 1986 puis le CSA en 1989). En 1984 est créée la première chaîne privée, Canal+. En 1986 une deuxième chaîne privée est créée (la Cinq) et l’année suivante une troisième (M6) tandis que TF1 est privatisée (1987). L’audimat, mesuré par l’organisme Médiamétrie à partir de 1985, accentue la concurrence entre les chaînes, la publicité (autorisée depuis 1968) devenant un mode essentiel de financement.

La libéralisation de l’audiovisuel coïncide avec le début de la « crise » de la presse, qui perd alors ce qui faisait sa particularité : son entière indépendance. Elle ne peut désormais plus s’afficher comme un quatrième pouvoir face au monopole public audiovisuel. La presse, qui connaît un long déclin, cherche à ratisser de plus en plus large (la presse d’opinion a presque disparu) et demande le secours de l’État pour garantir le pluralisme menacé par la concentration économique et la concurrence audiovisuelle. A partir de 1972, et de façon plus intense sous la présidence de Mitterrand, les quotidiens d’information générale et politique reçoivent des aides directes. Le gouvernement propose aussi en 1984 une loi anti-concentration interdisant à une même personne de posséder ou contrôler plus de trois quotidiens nationaux et 15% de la diffusion totale de cette presse. La disposition est cependant enterrée en 1986 par le gouvernement Chirac et le seuil est relevé en 30%, ne touchant pas par ailleurs les journaux magazines.

A partir des années 1980, les médias sont davantage soumis aux pressions économiques et commerciales qu’aux pressions politiques. La fin du XXe siècle voit aussi la montée d’une défiance à l’égard de ces médias, accusés de connivence avec le pouvoir politique et de soumission au pouvoir économique. Cette autonomisation de l’opinion publique à l’égard des médias s’explique par un contexte de difficultés persistantes (montée du chômage, devenu structurel) et sera bientôt renforcée par l’émergence d’un nouveau média : Internet.


Bibliographie :
Ivan CHUPIN, Nicolas HUBÉ, Nicolas KACIAF, Histoire politique et économique des médias en France, Paris, La Découverte, 2012.
Christian DELPORTE (dir.), Médias, culture et pouvoirs depuis 1945, Paris, Chronos, 2018.
Laurent MARTIN (dir.), Culture, médias, pouvoirs. Etats-Unis et Europe occidentale, 1945-1991, Paris, Atlande, 2019.

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