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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Tolède est avant tout connue pour avoir été la capitale du brillant royaume wisigoth d’Espagne. Mais elle fut aussi une des plus brillantes cités d’al-Andalus. Conquise par Tariq ibn Ziyad fin 711/début 712, les chroniqueurs arabes insistent alors sur l’extraordinaire butin que les conquérants découvrent à Tolède, particulièrement la Table de Salomon composée d’or, d’argent, de perles, de rubis et d’émeraudes, tandis qu’une partie de la population fuit la ville avec l’archevêque Sinderède selon les témoignages chrétiens. Malgré sa splendeur, les musulmans délaissent pourtant Tolède au profit de Cordoue qui devient la nouvelle capitale de l’Espagne, mais la capitale des Wisigoths reste néanmoins désignée dans les textes sous le nom de Medinat al-Muluk, la « Ville des rois ». A partir des années 750, Tolède est désignée sous le nom de Tulaytula et est capitale de la Marche moyenne. C’est cette ville riche, vaste et peuplée (30.000 habitants au XIe siècle) sous l’ère islamique que cet article entend décrire.

L’urbanisme et la morphologie générale de la ville

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Plan de Tolède (tiré de Ch. MAZZOLI-GUINTARD, Villes d’al-Andalus, 1996).

Tolède est installée sur un vaste éperon qui permet de supporter une ville étendue, dans un méandre du Tage qui la protège. Une citadelle défend l’entrée de la ville et surveille le pont. La ville fait plus de 100 hectares à l’époque califale, ce qui est très important pour l’époque. Le cimetière se situe extra-muros, dans les restes d’un cirque romain. Dans ce cirque romain ont été aussi retrouvés des fours, à l’extérieur donc de la ville pour éviter les risques d’incendie. Un aqueduc situé près du pont d’Alcantara approvisionne la ville en eau. Une grande roue élévatoire (na’ura) près du pont et de l’aqueduc amène l’eau dans la ville. La ville est dotée d’un système dégoût pour l’évacuation des eaux usées.

Les espaces urbains se disposent selon un schéma concentrique qui oppose un centre religieux et commercial à des zones d’habitations. Les souks sont situés vers le Nord-Est autour de la grande mosquée et relient les deux points les plus importants de la ville : la grande mosquée et la citadelle. Le souk possède une qaysariyya, quartier fermé la nuit qui sert d’entrepôt pour les marchandises d’une grande valeur, tissus et métaux précieux. Les qaysariyya ne se retrouvent que dans les villes de grande importance et indiquent la présence d’un commerce de longue distance avec l’Afrique du Nord et l’Europe chrétienne. La ville est particulièrement connue pour sa production de safran. La ville propose aux voyageurs également plusieurs funduq près de la grande mosquée, entrepôts de marchandises où peuvent loger les marchands.

On a néanmoins peu d’informations sur les maisons et il semble que certaines se trouvaient à l’intérieur de la zone commerciale. Il ne semble pas y avoir de quartier où se concentre les mozarabes puisque les 6 paroisses de Tolède au XIe siècle sont dispersées à travers la ville. En revanche, les juifs semblent disposer d’un quartier assez bien délimité qui est entouré d’un mur.

Les fortifications

La muraille et la porte du Soleil

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Muraille de Tolède.

La muraille de Tolède est faite de pierre taillée et de briques. L’appareil de pierre est caractéristique de l’époque omeyyade. La plupart des enceintes de villes associent pierre et terre. Au IXe siècle, Tolède comporte 11 portes contre 10 à Cordoue et 14 ou 15 à Séville au XIIe siècle. Le nombre de portes est proportionnel à l’importance de la ville. La disposition des portes nous renseigne sur l’aire d’influence de la ville et sur les relations extérieures. L’aire d’influence de Tolède est estimée de 80 à 100 km.

La fonction de la porte reste également très discutée. Traditionnellement considérée comme une tour, des études récentes laissent penser qu’il s’agirait en fait de la porte principale de la ville islamique de Tolède, depuis le faubourg nord. Cette porte était peut-être la porte Bâb Mu’âwiya.
Elle se trouve sur la muraille de Tolède qui entoure la ville islamique. La différence de facture lisible aujourd’hui provient certainement d’une modification apportée à la Porte au bas Moyen Âge. Apparemment, l’archevêque Pedro Tenorio (1375-1399), avant les conflits civils qui avaient lieu à cette période, aurait décidé de renforcer les points stratégiques de Tolède et aurait dans ce contexte entrepris la réédification de la porte du soleil. Son style correspond au style mudéjar tolédan.
Deux tours encadrent la porte, une quadrangulaire et une demi-circulaire. Celle quadrangulaire est faite d’une maçonnerie irrégulière dans sa partie inférieure, et dans les parties supérieures, de bandes de maçonnerie avec des assises de brique. Elle comprend deux fenêtres de brique surmontées d’arcs en plein-cintre doublés. L’autre tour, semi-circulaire, est faite des mêmes matériaux et possède des mâchicoulis avec des merlons décoratifs, des petits arcs lobés et outrepassés brisés.

L’Alcazar, palais fortifié

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L’Alcazar de Tolède.

L’Alcazar est un palais antérieur à la conquête musulmane puisqu’il date de l’époque romaine. Il est restauré et fortifié par les musulmans. L’émir al-Hakam ibn Hachim en fait en 797 le siège de son administration et de son gouvernement. Le palais est située sur la partie la plus élevée de la ville, vers l’est. Il fait 9 hectares, soit 9 % de la superficie totale de la ville et domine un pont sur le Tage. Sa position surélevée montre sa fonction défensive.
Il a une forme rectangulaire et est entouré de tours carrés selon le style omeyyade. Les fondements des murs sont en pisée, l’une des caractéristiques islamiques. En 932, Adb’er Rahman III ordonne la construction de la forteresse et la restauration du palais selon le style architectural musulman.

Cette forteresse est également séparée par un mur de la population de Tolède, ville connue pour son caractère frondeur. Cette réputation culmine en 807 ou 812 selon les sources avec une grande révolte restée sous le nom de « Nuit tolédane » ou « Journée du fossée », sous al-Hakam Ier. Le gouverneur de la ville Yusuf y perd la tête. La répression est terrible avec 400 à 5800 Tolédans qui périssent selon les sources. Une autre grande révolte est menée en 829 par un forgeron nommé Hashim al-Darrab, et les troupes émirales qui n’approchent pas Tolède n’y rentreront à nouveau qu’en 837.

Les mosquées de Tolède

La grande mosquée

La mosquée de Tolède aurait eu onze nefs comme celles des grandes villes islamiques de son temps. La salle de prière mesurait 61 mètre de large sur 39 mètres de long. On y trouve 54 colonnes en marbre de couleur qui rappellent les colonnes utilisées pour l’agrandissement d’al-Hakam II à la mosquée de Cordoue, bien qu’elles soit plus hautes : 1,70 m contre 1,51 m.

Lors de la prise de la ville en 1085, selon les sources chrétiennes, le traité aurait garanti aux habitants musulmans de la cité leur liberté de culte et la conservation de la grande mosquée. Mais les deux personnages auxquels Alphonse VI a confié la garde de la ville, le reine Constance et l’archevêque Bernard de Sédirac, se seraient emparés de force de la Grande Mosquée et l’auraient transformé en lieu de culte chrétien. Alhonse VI ne revint pas sur ce fait.

La mosquée Bab al-Mardum

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La mosquée Bab al-Mardum.

La mosquée de Bab al-Mardum aurait été fondée d’après une inscription en l’an 390 de l’Hégire soit en l’an 999-1000 de l’ère chrétienne. Cette inscription dit : « Au nom de Dieu le clément, cette mosquée a été construite par Ahmed ibn Hadidi de son propre argent en guise repentir ; elle fut bâtie grâce à Allah par Musa ibn Ali en Muharram de l’an 309 [de l’Hégire] ». Elle est restée presque intacte. Elle a trois portes, et la troisième, un peu décentrée, est caractéristique de l’architecture califale. L’extérieur est en brique rouge, décorée d’arcades circulaires et entrelacées. La forme est carrée et petite, huit mètres de côté. Il n’y a pas de cour.
Cette mosquée possède neufs dômes, aspect qui architectural qui n’est pas très courant mais qui se retrouve dans l’ensemble du monde islamique, avec des exemples en Egypte, Tunisie, Afghanistan, Irak, Turquie ou Tanzanie.
Si le concept architectural de cette mosquée paraît importé, son mode de construction ou se mêlent la pierre et la brique relève de traditions locales héritées de l’époque romaine. Ce petit édifice est semblable à deux petites constructions que l’on peut voir en Tunisie : la mosquée Bou Fatata de Sousse, construite entre 838 et 841 et la mosquée des Trois Portes à Kairouan, construite en 866 qui ne présente cependant pas le même type d’élévation.

Bibliographie :
B. BRIGOULEIX, M. GAYRAL, Le Roman de Tolède, Monaco, 2007.
C. DELGADO VALERO, Toledo islámico : ciudad, arte e historia, Tolède, 1987.
Ch. MAZZOLI-GUINTARD, Villes d’al-Andalus, Rennes, 1996.
Collectif, Entre el Califato y la Taifa : mil años del Cristo de la Luz, Tolède, 2000.

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