Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le XIXe siècle voit l’avènement du modèle libéral. Les principes issus des Lumières ont été propagés dans toute l’Europe par la Révolution et l’Empire napoléonien, et malgré les restaurations de 1814-1815, le retour à l’absolutisme est devenu impossible dans nombre de pays. Le libéralisme, puis l’idéal démocratique s’imposent peu à peu malgré des résistances. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les régimes se démocratisent progressivement jusqu’à adopter pour nombre d’entre eux le suffrage universel masculin. Même si, en 1914, l’Europe n’est pas encore à proprement parler démocratique, le monde nouveau libéral a vaincu le monde ancien monarchique.

Mise en place des régimes constitutionnels et résistances

L’essor des régimes constitutionnels

A la chute de l’Empire napoléonien, la majeure partie des pays européens connaissent une évolution libérale. En 1815, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et la Norvège possèdent une Constitution. Après les mouvements révolutionnaires de 1830 opposant libéraux et contre-révolutionnaires, l’Espagne et le Portugal adoptent un régime constitutionnel. Lors du Printemps des Peuples de 1848, de nombreux autres pays rejoignent le mouvement comme le Piémont, et certains pays modifient leurs institutions dans un sens plus libéral (Pays-Bas, Suisse ou Danemark). Les soulèvements de 1848 aboutissent à la chute de Metternich et l’obtention d’une Constitution dans la Prusse autoritaire.
Le mouvement libéral atteint même les Etats les plus autoritaires comme l’Autriche-Hongrie, où l’empereur François-Joseph, anti-libéral au début de son règne (1848) devient un souverain constitutionnel.

Les réformes limitées de l’Empire ottoman

Le régime de l’Empire ottoman est à la fois absolutiste et théocratique. Le souverain est calife (successeur du Prophète), sultan (chef de guerre) et émir (commandeur des croyants). Il doit respecter les prescriptions coraniques et la charia, qui régissent aussi bien la vie religieuse que politique, économique ou sociale.
L’Empire ottoman est alors un Etat multinational confronté à des soulèvements périodiques. L’administration est incompétente et corrompue, les complots sont nombreux.

Le calife Mahmud II (1808-1839) et son fils Abd-ul-Medjid (1839-1861), conscients du retard pris sur les grandes puissances européennes, entreprennent d’importantes réformes. Le corps des janissaires est supprimé, les populations de l’Empire sont recensées, l’administration et la justice sont réorganisés sur le modèle français, le service militaire obligatoire est introduit, l’enseignement est modernisé. Malgré ces réformes, le poids des traditions religieuses et des moeurs demeurent prédominants et les réformes se heurtent à de vives résistances. Elles sont en outre mal appliquées. L’Empire ottoman paraît alors irréformable et incurable.

L’Empire russe entre réaction et modernité

En 1815, l’Empire russe constitue un immense territoire avec une population nombreuse (près de 45 millions d’habitants) composée de multiples nationalités (Ukrainiens, Finlandais, Baltes, Polonais, Tatars,…). La Russie est alors une grande puissance européenne.
Les tsars ont généralement des idées libérales mais leur autorité n’est pas contestée (despotisme éclairé). Alexandre Ier, bien qu’ayant donné une charte constitutionnelle à ses sujets polonais en 1815, ne se montre pas aussi libéral avec les Russes. A la mort d’Alexandre en 1825, le successeur Nicolas Ier est confronté à une révolte des partisans du régime constitutionnel (les décabristes) qui sera réprimée dans le sang. Durant son règne, la Russie est l’Etat le plus réactionnaire d’Europe: les opposants sont déportés en Sibérie, les ouvrages libéraux d’Europe de l’Ouest sont interdits et plusieurs matières scolaires « à risque » sont supprimées (philosophie, histoire, économie politique). Le tsar Alexandre II, plus libéral que son prédécesseur, accède au trône en 1855 et entreprend une série de réformes, notamment l’abolition du servage en 1861. L’enseignement est libéralisé, la censure assouplie, et la justice est rendue indépendante et égale pour tous. Ses réformes se heurtent cependant à de vives résistances qui l’empêchent de les pousser plus loin: il meurt assassiné.

Ce n’est qu’en 1905, avec l’industrialisation de la Russie, l’émergence de nouvelles classes et le développement des idées libérales que le tsar Nicolas II doit se résoudre à convoquer une Douma consultative, premier parlement élu. Cette Douma sera contestée par les Soviets en tant qu’instrument de domination de la bourgeoisie qui y est largement représentée.

Les principales idéologies politiques

Le libéralisme

Issu du mouvement philosophique des Lumières, le libéralisme s’est imposé comme idéologie politique dominante en Europe occidentale au XIXe siècle. Il insiste sur les libertés individuelles dites fondamentales : défense de la liberté d’opinion, d’expression, de réunion contre toute autorité. Ce courant, opposé à l’absolutisme, réclame un régime constitutionnel et parlementaire à deux chambres (bicaméralisme), la séparation des pouvoirs et la décentralisation.
Monarchie et libéralisme ne sont pas antinomiques, car la monarchie est considérée comme une garantie contre les dérives démagogiques et les risques révolutionnaires. Les libéraux refusent dans un premier temps le suffrage universel masculin en faveur du suffrage censitaire, et réclament le gouvernement par les élites les plus instruites et les plus riches. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, lorsque les libéraux se rendront compte qu’il est difficile d’entraver les progrès de la démocratisation, ils choisiront d’accompagner le mouvement plutôt que de s’y opposer.

Le traditionalisme

Le traditionalisme est un mouvement politique qui apparaît et se développe à la toute fin du XVIIIe siècle en réaction à la Révolution française. C’est donc avant tout un mouvement contre-révolutionnaire, anti-libéral et anti-démocratique. Si la Révolution est née de la raison, la contre-révolution se veut spirituelle, irrationnelle. Dès les années 1790, cette doctrine se précise avec les penseurs Louis de Bonald (Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796) et Joseph de Maistre (Considérations sur la révolution française, 1796).
Pour le traditionalisme, la Révolution française est l’aboutissement d’une décadence née au siècle des Lumières. Il existe un ordre divin des choses, dans la nature comme dans la société : Dieu fait les Etats comme les rois, le seul régime politique valable est donc la monarchie de droit divin.
Si ce courant politique s’impose en Europe à la chute de l’Empire napoléonien, le libéralisme revient dès les années 1820. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, tandis que certains traditionalistes comme Friedrich Nietzsche estiment que le retour en arrière est impossible, la majorité des traditionalistes restent optimistes sur la possibilité d’une restauration de la monarchie chrétienne.

L’idéal démocratique

L’idéal démocratique plonge ses racines dans le libéralisme et s’impose dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les démocrates, tout en défendant les libertés individuelles à l’instar des libéraux, réclament le passage d’une souveraineté nationale exercée par les élites (suffrage censitaire) à une véritable souveraineté nationale populaire. Chaque citoyen doit avoir le même poids politique par l’établissement du suffrage universel. Le président américain Abraham Lincoln définit la démocratie dans son discours de Gettysburgh (1863) comme « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Compatible tant avec la monarchie qu’avec la république, la démocratie exige que la politique menée soit celle du peuple. Par conséquent, les démocrates militent aussi pour le développement de l’instruction et de la presse.

La démocratisation de l’Europe et ses limites

Les progrès de la démocratie

Tout au long du XIXe siècle, la monarchie reste le modèle dominant. Le maintien du régime monarchique s’explique par plusieurs facteurs : le poids des traditions politiques, le prestige du modèle politique, et la capacité des souverains d’arbitrer les disputes parlementaires. Ce n’est que seulement vers la fin du siècle qu’apparaît le suffrage universel masculin dans de nombreux pays européens : en France (1848), au Danemark (1849), en Grèce (1864), en Allemagne (1871 pour le Reichstag), en Suisse (1874), en Bulgarie (1879), en Serbie (1888), en Espagne (1890), en Belgique (1893), aux Pays-Bas (1896) et en Norvège (1897).

Le mouvement d’installation des Parlements dans les pays européens se poursuit et même les souverains d’Europe orientale les plus réticents ont des difficultés à entraver la démocratisation de leur régime. Ce développement s’accompagne de progrès sociaux et d’efforts en matière d’instruction des masses (exemple en France de la loi Guizot en 1833 obligeant chaque commune de plus de 500 habitants à entretenir une école primaire). Les grandes libertés (presse, réunion et association) sont peu à peu protégées.

Les limites de la démocratisation

A la veille de la Première Guerre mondiale, certains pays européens ne votent toujours pas au suffrage universel masculin. Malgré les élargissements successifs du droit de vote en Grande-Bretagne (1832, 1867, 1884-1885), 4 millions d’hommes sont exclus du vote en 1914 (domestiques, sans domicile fixe, adultes vivant chez leurs parents). Il faudra attendre 1918 pour que le suffrage universel masculin devienne définitif au Royaume-Uni. En Italie, les gouvernants craignent que la masse populaire vote pour les forces de la réaction. Une loi de 1912 pose le principe du vote universel mais ne l’instaure pas dans l’immédiat.

Les femmes sont privées du droit de vote au niveau national dans l’ensemble de l’Europe sauf en Finlande (1906) et en Norvège (1913) alors que les Américaines (dans certains Etats), les Néo-Zélandaises et les Australiennes en bénéficient déjà. Les dirigeants estiment que la politique est une affaire trop sérieuse pour y faire participer les femmes qu’ils jugent inexpérimentées et influençables. En France, les militaires n’ont plus le droit de vote à partir de 1872.
Divers systèmes électoraux favorisent certains électeurs comme en Belgique où les gens instruits, propriétaires et à charge de famille ont davantage de voix, ou en Prusse où le poids électoral dépend de la lourdeur des impôts payés. Enfin, rares sont les Etats qui ont régulièrement recours au référendum à l’instar de la Suisse.

Les contreparties à la démocratie

Le régime démocratique, du fait de sa jeunesse, rencontre diverses difficultés et n’est pas sans risque. Le discours politique interpelle désormais les masses, change de forme et s’adresse davantage au coeur qu’à la raison jusqu’à parfois devenir démagogique. Certains gouvernements, telle la France du Second Empire, ont recours à la candidature officielle (mise en avant du candidat soutenu par le gouvernement) et certains candidats au clientélisme. Les pays votent peu à peu des lois pour sanctionner les abus électoraux (ainsi, le Corrupt and Illegal Practices Prevention Act britannique de 1883 plafonne les dépenses de campagne et interdit l’achat de voix). La Grande-Bretagne est la première à instaurer officiellement le secret du vote (isoloir et enveloppe) en 1872, condition indispensable à un libre choix électoral. La France indemnise ses parlementaires depuis 1848 pour limiter la corruption mais les autres pays tardent à la suivre.
Enfin, certains pays connaissent une grande instabilité gouvernementale, comme la France ou l’Italie, du fait d’un pouvoir législatif trop important.

Bibliographie :
ANCEAU Éric, Introduction au XIXème siècle. Tome 1 : 1815 à 1870, Paris, Belin, 2003.
ANCEAU Éric, Introduction au XIXème siècle. Tome 2 : 1870 à 1914, Paris, Belin, 2005.
BARJOT Dominique, CHALINE Jean-Pierre, ENCREVÉ André, La France au XIXe siècle. 1814-1914, Paris, PUF, 2008.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *