Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

C’est dans le Nord-Ouest de l’Europe que se diffuse au cours du XIXe siècle ce qui va être appelé la « révolution industrielle ». La révolution industrielle est caractérisée par le passage d’une économie traditionnelle dominée par l’agriculture à un nouveau type d’économie dominé par l’industrie. Le mode de production industriel change du tout au tout, du fait principalement de l’introduction du machinisme. La substitution du capital au travail va donner son nom au système capitaliste.
Si certains économistes comme Rostow ont cru percevoir un « take-off » (traduire par « décollage ») dans le processus d’industrialisation, celui-ci jette ses racines dans les siècles passés et ne s’est pas opéré partout au même rythme ni au même moment. Le take-off anglais s’effectua entre 1780 et 1820, le take-off français entre 1830 et 1870, le take-off allemand entre 1850 et 1880. La maturation du phénomène a duré plusieurs siècles, siècles durant lesquels se sont accumulés des capitaux, produits de l’exploitation coloniale et du grand commerce maritime.

Trois révolutions

La révolution démographique

Le XIXe siècle se caractérise par une très forte croissance de la population : les démographes estiment que la population européenne (Russie comprise) est passée de 80 millions d’habitants environ en 1800 à 455 millions en 1914.
La mortalité chute du fait de la disparition des trois grands fléaux qui pesaient sur la démographie européenne : la guerre, la famine et la peste ; mais aussi du fait des progrès de la médecine (vaccination mise au point par Jenner), de l’hygiène et de l’alimentation. La natalité se maintient à un niveau élevé entraînant par conséquent un accroissement très important de la population.
La France est le premier pays qui connaît ce qui est appelé « la transition démographique », si bien qu’il est le pays le plus peuplé d’Europe en 1800 (ce qui permit à Napoléon de lever sa grande armée). La croissance démographique va stimuler la révolution industrielle en accroissant le nombre de producteurs et de consommateurs.

La révolution agricole

Depuis des siècles, l’agriculture de subsistance était en Europe le modèle dominant. Elle immobilisait plus des trois quart des habitants des campagnes et paralysait l’ensemble de la vie économique. Mais alors que l’agriculture n’avait pas fondamentalement évolué depuis le Néolithique, à partir du milieu du XVIIIe siècle, des changements majeurs se produisent :

  • Le recul de la jachère (non-exploitation d’une terre pendant un an pour ne pas l’épuiser) avec l’extension de la culture de plantes fourragères et l’apparition des engrais chimiques. En 1840, 7 millions d’hectares c’est-à-dire 25% des terres européennes sont en jachère ; en 1900, il n’y a plus que 3 millions d’hectares en jachère, c’est-à-dire 10 % des terres.
  • La disparition des pratiques collectives de culture permet l’essor de l’individualisme agraire. En France, la révolution de 1789 a permis de cultiver la culture souhaitée sur son lopin de terre et a permis de le clôturer (mouvement des enclosures).
  • La modernisation des méthodes de culture avec l’application de la machine à vapeur au monde agricole, l’apparition des premières batteuses et les premières moissonneuses (plus lentes cependant à se répandre car coûteuses).

Peu à peu, l’agriculture de subsistance laisse la place à une agriculture capitaliste qui contribue de trois façons à l’industrialisation :

  • Par l’accroissement de sa production et de sa productivité afin de nourrir une population industrielle en rapide progression.
  • En fournissant un surplus de plus en plus large de main d’oeuvre potentielle pour les villes et les industries (moins de bras nécessaires dans l’agriculture pour la même production).
  • En permettant l’accumulation de capitaux qui peuvent être utilisés dans les secteurs les plus modernes de l’industrie.
La révolution des transports

Le chemin de fer bouleverse le paysage économique européen en jouant le rôle de réducteur et d’unificateur d’espace.
Il connaît cependant des débuts modestes : avant 1830, le mode de transport le plus utilisé est la voie d’eau. Le rail existe déjà mais est utilisé dans les mines et il est en bois. L’ingénieur Stephenson a l’idée d’allier les rails en fer et la locomotive à vapeur. A partir de 1830, la fièvre ferroviaire s’empare de l’Europe, stimulant l’industrie métallurgique par la fabrication des trains et des rails : l’industrie ferroviaire est une industrie industrialisante. En France, la révolution ferroviaire a lieu dans les années 1840. Si à la fin du XVIIIe siècle, le trajet Paris-Toulouse dure 8 jours en diligence, le trajet ne dure que 8 heures grâce au chemin de fer à la fin du XIXe siècle.
Mais l’essor du chemin de fer ne doit pas occulter non plus celui des transports maritimes (apparition du Steamer, énorme bateau à vapeur, qui s’impose rapidement grâce à sa taille, sa puissance et sa rapidité) ou l’apparition de la voie aérienne (expériences à la fin du XVIIIe siècle des frères Montgolfier et premier vol des frères Wright en 1903).

La révolution industrielle

Un nouveau mode de production

La révolution industrielle qui a commencé à se manifester en Angleterre aux environs de 1780, s’étend à toute l’Europe du Nord-Ouest dans la première moitié du XIXe siècle. Elle est caractérisée par l’utilisation d’énergies nouvelles (le charbon pour la machine à vapeur), la mécanisation de la production et l’apparition d’une métallurgie moderne, une forte croissance économique et une nouvelle organisation du travail.

La révolution industrielle est avant toute chose caractérisée par la diffusion du machinisme et de la révolution mécanique.
Les machines existaient avant le XIXe mais elles fonctionnaient avec des énergies traditionnelles : énergie humaine, énergie animale, énergie naturelle (force du vent ou de l’eau). La grande innovation de la révolution industrielle consiste en l’introduction de la machine à vapeur (bien qu’assez lentement et par étape) grâce aux travaux de Denis Papin qui a mis en évidence les capacités motrices de la vapeur. Le pas décisif est franchi avec James Watt et la mise au point du condensateur (qui réduit la consommation de combustible de quatre cinquième). Le charbon de terre, extrait du sous-sol, devient le « pain de l’industrie ».

L’usine se substitue progressivement à l’atelier par la concentration massive de machines réunies en un même lieu (factury system). Auparavant le travail était réalisé à l’atelier et était généralement un travail à domicile (domestic system). L’essor du factory system entraîne une concentration du capital (c’est-à-dire les machines) et du travail. L’usine, à ses débuts, est assez mal vue par la population car vécue comme un bagne (horaires stricts, peu de pauses,…), ce qui freine un peu son expansion.

Un nouveau système économique

Ce nouveau système est appelé « capitaliste » car le capital en est à la base. En effet, c’est l’accumulation du capital qui a préparé la révolution industrielle.
Le système capitaliste a deux piliers :

  • la propriété privée des moyens de production.
  • la recherche du profit (ce que Marx appelle la plus-value).

Le système capitaliste se nourrit lui-même à partir du XIXe siècle car les bénéfices de l’activité industrielle sont réinvestis. Il se met ainsi en place un mécanisme de réinvestissement perpétuel.

Des secteurs porteurs de l’industrialisation

Le processus d’industrialisation de l’Europe du Nord-Ouest s’est accompli, partout où il a eu lieu, autour de deux pôles principaux, qui constituent les secteurs clés de la révolution industrielle. Le premier est l’industrie textile, secteur originel. Vers 1850, celui-ci occupe encore partout la première place, représentant les trois quart de l’activité industrielle. C’est lui qui emploie le plus de travailleurs, regroupant en Angleterre 30 % de la main d’oeuvre manufacturière et 14 % de la population active, et rassemblant les ouvriers dans des fabriques aux dimensions importantes. En Angleterre, si c’est l’industrie cotonnière qui vient en tête, en France, c’est la laine et la soie qui occupent une position dominante.
L’autre secteur majeur associe l’extraction du charbon à la métallurgie. C’est de la production houillère que dépendent les nouvelles machines à vapeur de la révolution industrielle et c’est de l’industrie métallurgique qu’elles sont issues.
Même si à la fin du XIXe siècle apparaissent de nouvelles énergies (l’électricité et le pétrole), le charbon reste largement dominant.

La révolution du crédit et de l’entreprise

La révolution industrielle fait émerger un nouveau système bancaire. Jusqu’en 1850, les banques sont surtout des entreprises familiales qui investissent dans le commerce international et dans les emplois publics mais alors peu dans le développement industriel. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle deux types de banques sont distinguées :

  • Les banques d’affaires : elles prêtent aux industriels sur le long terme (par exemple la banque Paribas créée en 1872).
  • Les banques de dépôt : elles collectent l’épargne des particuliers, prêtent à l’Etat mais investissent peu dans l’industrie. Les grandes banques de dépôt françaises sont créées sous le Second Empire.

La masse monétaire s’accroît au XIXe siècle, maintenant la croissance des marchés, accroissant l’investissement, produisant une inflation. L’usage du billet de banque se répand (monnaie fiduciaire) mais une méfiance demeure à l’égard du chèque (monnaie scripturale) qui n’est autorisé qu’en 1865 en France. Les sociétés par action prennent leur essor (elles sont autorisées en 1867 en France). De 150 à la fin des années 1860, elles passent à 1200 à la veille de la guerre de 1914.

La concentration industrielle se présente sous 3 formes :

  • La concentration géographique : apparition de grands complexes autour de gisements miniers, apparition de régions industrielles.
  • La concentration financière : concentration verticale (recoupement en une seule entreprise de plusieurs entreprises aux stades successifs de la fabrication d’un produit) et concentration horizontale (concentration des entreprises de même nature qui peuvent concerner un même produit ou bien un secteur de production).
  • La concentration commerciale : création de grands magasins qui vont concurrencer le petit commerce (exemple du « Bon Marché » d’Aristide Boucicaut). Les grands magasins, vendant davantage, vendent moins cher.

L’évolution économique de l’Europe

Chronologie de la révolution industrielle

La Grande-Bretagne est entrée dans la révolution industrielle dès la fin du XVIIIe siècle. Cette avance est conservée jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dès 1806, l’industrie occupe 30 % de la population active britannique et fournit un tiers du revenu national. En 1830, l’industrie concourt davantage que l’agriculture au PIB. La Grande-Bretagne dispose de ressources minières importantes autour desquelles se concentrent d’importantes zones industrielles ou des ports d’exportation. Le pays sert de modèle aux autres pays européens.

Les pays de l’Europe du Nord-Ouest suivent la Grande-Bretagne dans son processus d’industrialisation. Le blocus continental de Napoléon Ier a permis l’émergence de l’industrie dans le reste de l’Europe. La région de la Belgique, avant son unité politique, connaît un fort développement industriel, le plus précoce de l’Europe continentale. Une industrie métallurgique importante s’y développe : vers 1840, la Belgique est le pays le plus industrialisé du continent européen. Aux alentours de 1830, la France connaît à son tour son « take-off ». L’industrie française s’oriente vers les produits de luxe destinés à l’exportation et vers la fabrication de produits textiles courants. La France a cependant davantage réussi dans la seconde révolution industrielle. Le royaume de Prusse, comprenant la Rhénanie, région industrielle, depuis le Congrès de Vienne, est le plus dynamique des États allemands. Le Zollverein allemand (union douanière) favorise l’émergence d’un grand marché intérieur. En Allemagne, les liens sont étroits entre l’université et l’industrie, entraînant l’application immédiate dans l’industrie des découvertes techniques. A la fin du XIXe siècle, la croissance économique allemande dépasse celle de la Grande-Bretagne.

Quant aux pays de l’Europe du Sud et de l’Est, ils entrent tardivement dans l’ère industrielle. L’industrie italienne apparaît après l’unification de l’Italie en 1861 et s’installe dans le Nord (triangle Turin-Milan-Gênes) ; le Sud, majoritairement agricole, reste très peu industrialisé. L’industrialisation de l’Italie se base sur les industries de la seconde révolution industrielle. En Autriche-Hongrie, la Bohême constitue le noyau industriel sous l’impulsion de la bourgeoisie tchèque. La Russie reste quant à elle à l’écart du développement industriel. Elle ne possède pas de marché intérieur (le pays est très rural et archaïque – une grande partie des paysans vivent en autarcie). Un embryon de système capitaliste n’apparaît que dans les années 1880-1890 grâce à des investissements étrangers.

Les cycles et les crises économiques en Europe

Les économistes français Simiand et Kondratieff ont mis en évidence l’existence de fluctuations cycliques dans l’économie européenne au XIXe siècle.
Deux cycles se superposent :

  • Les cycles longs : de 40 à 60 ans, divisés en deux temps : phase ascendante (phase A) qui voit l’augmentation de la production et de la consommation, et phase descendante (phase B) qui voit la stagnation de la production et l’augmentation du chômage.
  • Les cycles courts : de 6 à 10 ans, divisés en 4 temps : l’essor de la production, le surgissement de la crise, la dépression économique et le temps de la reprise.

La tendance générale (le « trend ») au cours du XIXe siècle est néanmoins la croissance économique et l’augmentation de la production.

Au cours du XIXe siècle apparaît un nouveau type de crise économique. Avant 1815, l’économie européenne était secouée périodiquement par ce qui est appelé les crises d’Ancien Régime. Il s’agit de crises de subsistance provoquées par une mauvaise récolte (ce qui a pour conséquence l’augmentation des prix et une disette voire une famine).

La période 1815-1848 connaît des crises mixtes, combinant des aspects de la crise d’Ancien Régime et des éléments nouveaux. La crise mixte se divise en cinq étapes :

  1. Crise agricole.
  2. Augmentation des prix des produits alimentaires.
  3. Tous les revenus de la population passent dans l’alimentation.
  4. Les produits manufacturés ne se vendent plus.
  5. Crise industrielle de surproduction.

1817, 1825, 1836-39 et 1846-48 sont des années de crise mixte.

A partir du milieu du XIXe siècle, l’Europe du Nord-Ouest entre dans une ère de crises typiquement industrielles : ce sont des crises de sur-production.

  1. Les produits fournis par l’industrie dépassent les capacités d’absorption du marché.
  2. L’offre excède la demande.
  3. Les prix des produits manufacturés chutent.
  4. Les entreprises font faillite.
  5. Licenciement d’au moins une partie des salariés : augmentation du chômage.
  6. Le chômage entretient la crise (car la demande chute encore à cause de la baisse du pouvoir d’achat).

La longue crise de 1873-1895, appelée « la Grande Dépression », est la première grande crise internationale qui débouche sur une crise financière.

Tableau économique des grands pays européens à la veille de la Première Guerre Mondiale

A la veille de la Première Guerre Mondiale, le pays le plus moderne est l’Allemagne qui rattrape et même dépasse économiquement la Grande-Bretagne. L’économie allemande est très réactive et intègre les dernières innovations technologiques. Deux domaines surtout font la force de l’industrie allemande : la métallurgie et les industries chimiques. Le monde ouvrier allemand est très bien intégré à l’industrie grâce à la politique volontariste menée par Bismarck qui a mis en place un socialisme d’Etat. Ce développement économique allemand inquiète les autres puissances européennes notamment la Grande-Bretagne qui va chercher à se rapprocher diplomatiquement de la France.

La Grande-Bretagne perd sa prééminence au profit de l’Allemagne. Malgré un ralentissement de son développement économique, elle reste néanmoins le premier pôle commercial du monde en 1914. La France est elle aussi en relatif déclin. En 1914, elle possède bien des industries modernes (caoutchouc, électricité, automobile) mais les industries anciennes piétinent (métallurgie, textile). En 1910, l’agriculture française représente encore 40 % du PIB. Elle est très peu dynamique et performante car peu mécanisée. Le modèle de la petite entreprise reste dominant à l’exception du secteur de l’automobile.

Les pays à la traîne sont ceux de l’Europe orientale (Autriche-Hongrie et Russie) et méridionale (Italie, Espagne et Portugal). La Russie ne compte à la veille de la guerre de 1914 que 3 millions d’ouvriers. En Italie, la dichotomie Nord/Sud s’accroît.

Bibliographie :
ANCEAU Eric, Introduction au XIXème siècle. Tome 1 : 1815 à 1870, Paris, Belin, 2003.
ANCEAU Eric, Introduction au XIXème siècle. Tome 2 : 1870 à 1914, Paris, Belin, 2005.
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, Nationalismes et concert européen. 1815-1919 (Tome 4), Paris, Hatier, 1996.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *