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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

C’est durant la période allant du VIIe siècle au IXe siècle que l’Empire romain d’Orient va devenir l’Empire byzantin (on parle durant ces quelques siècles d’Empire proto-byzantin). L’Empire, attaqué de toutes parts, lutte alors pour sa survie et traverse la grave crise iconoclaste. On a peu de sources sur cette période surnommée par les anglophones le « dark age » (l’âge sombre).

Le choc des invasions musulmanes

Les raisons de la défaite

Dès 635, Damas tombe aux mains des Arabes; en 636, une armée byzantine, dépêchée par Héraclius, est écrasée à Yarmouk. En 638, Jérusalem est envahie. Alexandrie est perdue en 642. Il aura fallu moins de dix ans pour que l’Empire byzantin, pourtant vainqueur des Perses, perde d’une façon définitive ses provinces orientales, les plus riches et les plus peuplées.

Ce recul de Byzance s’explique par l’inadaptation des défenses de l’Empire à l’invasion arabe. L’armée frontalière était en plein déclin, le réseau de forteresses était trop peu dense et les mercenaires byzantins n’offrirent qu’une résistance modérée. Les villes, sur lesquelles le pouvoir byzantin avait tout misé pour résister aux Arabes (ils ne possédaient alors pas d’équipement de siège), ne sentant pas les renforts venir, ont préféré se rendre dans des conditions honorables. Quelques villes ont choisi la résistance mais ont été massacrées comme Gaza ou Césarée. Les Romains ont aussi sous-estimé le phénomène, pensant qu’ils n’avaient affaire qu’à de simples razzias et non à une invasion massive.
Les divergences religieuses (monophysites,…) expliquent en partie le manque de fidélité à l’empereur. Mais c’est surtout le repli de l’armée et l’abandon de l’administration qui rendent compte du désastre.

Relations entre musulmans et chrétiens d’Orient

Le contexte du VIIe siècle est celui d’une grande peur eschatologique (la fin des temps). Les chrétiens, s’appuyant sur les visions de Daniel, voient les Arabes comme le fléau de Dieu. Le premier réflexe des chrétiens d’Orient est donc la peur. La peur passée, le dialogue qui s’installe devient rapidement une polémique.

Les conquérants arabes fraîchement convertis à l’Islam ont un comportement ambigu envers les non-musulmans. Ces derniers sont des infidèles qui doivent être tués ou convertis selon le Coran, néanmoins les omeyyades ne peuvent pas leur faire la guerre : ils ont besoin des chrétiens en tant que fonctionnaires. Les chrétiens et les juifs acquièrent le statut de dhimmis, citoyens de seconde zone, protégés en échange de la djizya (un impôt que doivent payer les non-musulmans).

Jean Damascene (mort en 753), qui vit sous la domination musulmane, donne une vision de l’Islam aux Byzantins. Il écrit un traité sur les hérésies et y consacre un chapitre à l’Islam. Cette nouvelle religion est considérée comme une hérésie grossière du christianisme. Les chrétiens se sentent alors intellectuellement supérieurs, certains théologiens allant même jusqu’au martyr pour montrer la puissance de leur foi.

La menace musulmane jusqu’au VIIIème siècle

Les armées musulmanes du calife Mu’awiya commencent à lancer des incursions en Anatolie mais le plus inquiétant pour Byzance est la décision des chefs arabes de se doter d’une flotte de guerre. Les musulmans lancent par la mer des raids, notamment contre Rhodes et la Crète. En 655, une flotte byzantine est battue, défaite ouvrant la perspective d’un siège de Constantinople. Mu’awiya prend la décision de lancer un siège de la capitale byzantine à la fois par la mer et par la terre. En 674 commence le siège, levé 4 ans plus tard lorsque la flotte de Constantin IV incendie les navires ennemis grâce à une arme nouvelle : le feu grégeois (mélange inflammable de naphte et de résine). Le reste de la flotte est presque entièrement décimée par une tempête en regagnant ses bases. Dans le même temps, une armée arabe est écrasée par les troupes d’Anatolie. L’armée musulmane devra attendre une génération pour se reconstituer. Mu’awiya est contraint de payer un tribut annuel de 3000 pièces d’or, 50 prisonniers byzantins et 50 étalons.

Justinien II, successeur de Constantin IV, décide de mener une offensive en Anatolie mais subit un grave revers du fait de la trahison de troupes slaves. Il est détrôné par un stratège, Léonce. Tout le bénéfice du redressement byzantin est perdu : l’Arménie et la Lazique passent dans le camp musulman. L’Afrique est définitivement perdue en 698. Les Byzantins sont chassés de la riche province de Cilicie. En quelques années se succèdent à Byzance plusieurs empereurs dont les règnes sont bref et se terminent dans la violence.

En 717, profitant des troubles intérieurs byzantins, le commandant arabe Maslamah réunit une énorme flotte et une importante armée pour assiéger à nouveau la capitale byzantine. Mais l’hiver est très dur pour les assiégeants qui perdent de nombreux hommes, chevaux et chameaux. D’autre part, la flotte de l’empereur byzantin Léon III (empereur depuis quelques mois seulement) fait subir de lourds dégâts à la flotte arabe grâce au feu grégeois. Le siège dure un an et malgré leur nombre et l’arrivée de renforts, les musulmans minés par la famine doivent se retirer, sur l’ordre du nouveau calife Umar II, le 15 août 718. Comme en 678, une féroce tempête anéantit le gros de la flotte ennemie en déroute. La retraite des troupes terrestres est désastreuse.
Jamais les musulmans ne seront en mesure de remonter une pareille expédition. La victoire légitime le nouvel empereur Léon III qui peut fonder une dynastie (la dynastie des Isauriens) et rétablir un Etat solide sur de nouvelles bases.
Peu après le siège, les empereurs Léon III et son fils Constantin V passent à l’offensive en récupérant une partie des territoires perdus d’Anatolie et en écrasant une grosse armée arabe à Akroïnon en 740.

Réformes et adaptation

L’administration centrale

Constantinople échappant à l’ennemi, l’administration impériale ne connaît jamais de rupture; l’Empire subissant une forte réduction de sa superficie, il s’en suit une diminution proportionnelle du nombre de ses fonctionnaires. Les bureaux (sekreta) rattachés à Constantinople deviennent plus importants du fait de la concentration des ressources dans la seule grande métropole survivante et de l’afflux des élites provinciales dans la capitale.

Tout fonctionnaire tient son pouvoir par délégation de l’empereur. Le personnage le plus puissant à Constantinople après l’empereur est l’éparque, qui dirige l’administration municipale, la police, le contrôle de l’approvisionnement, des prix et la surveillance des étrangers présents dans la métropole.

Le système fiscal

Contrairement à l’Occident, l’Empire a su maintenir une taxation régulière qui lui a permis de garder une monnaie d’or forte. Des lacunes dans les sources nous font ignorer la part des impôts payés en numéraire ou en nature pendant l’« âge sombre » et l’imposition dans les provinces lointaines. Néanmoins, on peut affirmer que la stabilité fiscale de l’Empire, permettant d’entretenir une armée importante et de payer des fonctionnaires fidèles, explique en majeure partie sa survie.

A partir du VIIe siècle, l’impôt devient proportionnel à la richesse du contribuable. Ainsi si un paysan est estimé deux fois plus riche que son voisin, il pait deux fois plus d’impôt. On ne connaît pas précisément la proportion du revenu paysan prélevé mais on l’estime entre le cinquième et le quart, ce qui, comparé aux Etats de l’Occident médiéval, est supportable.
Les contribuables d’un village sont solidaires sur l’impôt, c’est-à-dire que si l’un des villageois vient à fuir, les autres villageois paient à sa place mais reçoivent en échange le droit de cultiver sa terre et de profiter de sa récolte. Ce système permet à l’Etat de recevoir des revenus assez stable sauf circonstances exceptionnelles comme invasions ou catastrophes climatiques.

La défense de l’Empire

La notion de thème apparaît pour la première fois (dans les sources connues) dans un document de 687 de Justinien II destiné au pape et l’origine elle-même du nom reste obscure. On ne connaît donc ni l’auteur de la réforme ni précisément la nature des thèmes.

Les troupes de l’Empire se sédentarisèrent et donnèrent leur nom aux thèmes (ainsi les troupes rapatriés d’Orient – Anatolè en grec – et établies au coeur de l’Asie Mineure formèrent le thème des Anatoliques). Les troupes provinciales se substituèrent donc à l’armée centrale. Les thèmes se mettent aussi à désigner une circonscription administrative qui remplace, en un peu plus d’un siècle, les vieilles provinces romaines.
Une des principales raisons de la création des thèmes est l’entretien de troupes les plus nombreuses possible, pour se protéger au mieux de la menace arabe, au moment même où l’Etat traverse une crise financière: les soldats, plus proches des paysans producteurs qui paient l’impôt en nature, pouvaient se procurer du ravitaillement plus facilement et à un moindre coût.

Si l’armée des thèmes se révèle efficace pour repousser les petites incursions ennemies, elle est en revanche incapable d’arrêter une invasion massive. Quand ils le purent, grâce à des revenus suffisants, les empereurs byzantins reconstituèrent une armée centrale composée de professionnels. Des régiments d’élite sont créés par Constantin V et augmentés par ses successeurs en fonction des ressources fiscales.

La crise iconoclaste

Les origines de l’iconoclasme

Les images existent depuis le début du christianisme, avec un but pédagogique : l’enseignement de l’histoire sainte. L’image domestique se développe, généralement une peinture à l’eau sur un petit panneau de bois d’un portrait unique. Puis apparaît la croyance en les pouvoirs miraculeux de l’objet. Le phénomène de l’acheiropoïète apparaît, cristallisant la puissance divine dans l’icône (icônes qui pleurent, saignent,…). L’îcone devient un porte-bonheur.
Juste avant l’iconoclasme, les images saintes sont devenues un phénomène majeur de la vie byzantine et font l’objet d’une dévotion publique ou domestique. Même les images de l’empereur, lieutenant de Dieu sur terre, font des miracles.
A la fin du VIIe siècle, Justinien place le Christ sur ses pièces. Mais les Isauriens décident de replacer l’image de l’empereur sur les deux faces de la monnaie.

Au VIIIe siècle, les chrétiens de l’Empire s’interrogent sur les raisons de la colère divine qui semble s’abattre sur l’Empire chrétien : invasions, épidémies et catastrophes naturelles. Ce questionnement va être une des sources de la crise iconoclaste.

Du premier au second iconoclasme

Dans les années 725, plusieurs prélats d’Asie Mineure s’interrogent sur le bien fondé du culte des images. Le patriarche Germanos réplique qu’il y a tort de s’alarmer car le Christ avait été homme et qu’on peut donc le représenter. En 726, Léon III fait retirer l’icône vénérée de la porte de Chalké représentant le Christ, et prenant la tête du mouvement iconoclaste, proscrit les images en 730. Germanos démissionne et finit sa vie paisiblement dans un monastère. Cette querelle des images, condamnée par le pape Grégoire II, modifie en profondeur les rapports entre Rome et Constantinople.
En 754, l’empereur iconoclaste Constantin V réunit un concile à Hiéreia qui délibère et donne une réponse très favorable à l’iconoclasme. L’empereur Constantin V se montre encore plus combatif dans sa politique iconoclaste que son prédécesseur Léon III, commandant des persécutions cruelles.

Le règne de Léon IV est celui de l’apaisement. L’empereur est surtout sous l’influence de son épouse iconodule Irène, qui, à sa mort, en 780, assure la régence de l’empire au nom de leur fils Constantin VI. En 787, elle parvient même à faire condamner l’iconoclasme dans un concile réuni à Nicée (Nicée II). Le culte des images est réintroduit. Irène est destituée en 802 mais ses successeurs tiennent sa ligne iconodule jusqu’en 813, date de l’accès au pouvoir de l’empereur Léon V.

Léon V qui règne de 813 à 820, provoque un second iconoclasme dès son arrivée au trône. Il considère le concile de Nicée comme illégitime, remet en vigueur celui de Hiéreia et entame une politique iconoclaste plus sévère que la première. Léon V est assassiné en 820 mais ses successeurs poursuivent sa politique. Parmi ces successeurs, Théophile (829-842) se démarque en prenant pour modèle Constantin V et en prétendant démontrer le soutien divin de l’iconoclasme par ses victoires militaires. Cependant, en 838, il est personnellement battu par les Arabes qui s’emparent d’Amorion. A sa mort, sa veuve Théodora prépare le rétablissement des images. Le 11 mars 843, le culte des images est officiellement restauré par un simple synode qui rétablit les actes du concile de Nicée.

Les débats théologiques

Au concile de Hiéreia, les iconodules furent accusés d’hérésie. Le Christ associe deux natures : divine et humaine. Or, affirment les iconoclastes, il est impossible d’enfermer le divin dans un dessin. Les iconoclastes pensaient acculer les iconodules à un dilemne : soit ils représentaient à la fois les deux natures du Christ en les confondant et devenaient de ce fait des hérétiques monophysites, soit ils ne représentaient que la seule nature humaine, alors ils se rendaient coupables de l’hérésie nestorienne.

Les iconodules ne pouvaient bien sûr pas se contenter d’affirmer que l’on représente le Christ depuis des siècles ou dire que l’Incarnation, en rendant Dieu visible aux Hommes a aboli l’interdiction inscrite dans la Bible de représenter Dieu. Les iconodules mettent en avant un argument qui est décisif, consistant à poser que l’image n’est pas de la même nature que le prototype, qu’elle ne partage pas la substance du modèle. L’image du Christ permet ainsi simplement d’exprimer le mystère de l’Incarnation.



L’Empire, ayant failli disparaître sous les coups répétés des conquérants musulmans, résiste et se réforme. Alors en état d’infériorité face aux Arabes, il connaît un redressement et commence à reconquérir des territoires perdus. Parallèlement, la grave crise intérieure iconoclaste aboutit à un renouveau de la philosophie, au moment où l’Empire repart sur de bonnes bases sous la conduite de la nouvelle dynastie isaurienne.

Bibliographie :
Cheynet, Jean-Claude. Byzance. L’Empire romain d’Orient. Armand Colin, 2007.
Ducellier, Alain ; Kaplan, Michel. Byzance. IVe-XVe siècle. Hachette, 2007.

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