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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Succédant aux califes rashidun (les « bien guidés ») suite à l’assassinat d’Ali, la dynastie des califes sunnites Omeyyades (ou Umayyades), inaugurée par Mu’awiya en 661, règne jusqu’en 750 sur un vaste empire, qu’elle s’efforce d’étendre et d’organiser, à partir de sa capitale Damas. Le monde musulman connaît sous ce califat d’importantes transformations économiques, politiques et sociales.

L’évolution politique du califat

Les débuts de la dynastie

Une fois devenu calife, Mu’awiya décide de fixer sa capitale à Damas, loin de Médine, région plus propice pour administrer le vaste empire. Un contexte favorable (ralliement du fils aîné d’Ali, Hasan; victoires militaires) lui permet de tenter de fonder une dynastie, et peu avant sa mort, en 680, il désigne comme successeur son fils Yazid, décision ratifiée par un conseil de notables de Damas.

Commence alors une série de troubles qui menace la dynastie, cette dernière cependant réussissant toujours à reprendre le dessus :

  • En 680, les notables de la ville shi’ite de Kufa veulent mettre sur le trône Husayn, deuxième fils d’Ali. Le détachement militaire shi’ite est détruit à Karbala la même année et Husayn tué.
  • A La Mecque, Abd Allâh ibn Zubayr, petit-fils d’Abu Bakr, refuse de faire acte d’allégance à Yazid Ier. Il se proclame calife en 681, reçoit de nombreux soutiens et étend son pouvoir jusqu’à Basra (Irak). Il est écrasé par le calife Abd al-Malik (prise de La Mecque en 693).
  • Le kharidjisme commence à se montrer de nouveau menaçant : des émeutes éclatent à Basra (678) et à Kufa (680). Cette dernière ville est placée sous haute surveillance et les éléments kharidjites les plus turbulents sont déportés dans d’autres provinces de l’empire.

L’avènement du calife Abd al-Malik marque le retour à l’ordre, ce dernier réussissant à mater les révoltés. Il procède à d’importantes réformes et prend soin d’affirmer l’Islam sunnite et son pouvoir.

La reprise des conquêtes militaires

L’époque omeyyade voit la reprise des conquêtes militaires. Malgré une avancée laborieuse face aux Byzantins en Asie Mineure (à cause des hauts-reliefs entravant la progression des troupes) et l’échec de deux sièges de Constantinople (674-678 et 716-717), les Omeyyades accroissent considérablement le territoire de l’Empire.
A l’Est, les musulmans s’emparent de Kaboul (664), de Ferghana (712) et de Multan (713). La plus grande partie de l’Asie centrale, qui est traversée par la route de la soie, est alors dominée par les musulmans, qui sont maîtres des deux riches cités de Bukhara (710) et de Samarcande (712). Les musulmans parviennent sur les rives de l’Indus. Une armée chinoise est mise en déroute à Talas en 751.

A l’Ouest, l’Afrique du Nord est conquise aux dépends des Byzantins (de 660 à 709, prise de Carthage en 698) et des populations berbères. Après plusieurs années de combats contre les Berbères, le gouverneur de Kairouan décide de les associer à la conquête, et il désigne l’un d’eux, Tariq ibn Ziyad, pour diriger la conquête de l’Espagne wisigothique. En 711, les troupes arabes franchissent le détroit de Gibraltar et battent peu après le roi Rodéric à la bataille du rio Guadalete (711). La plus grande partie de l’Espagne est conquise en quelques années, et les armées musulmanes traversent les Pyrénées pour marcher sur la Gaule. Les habitants des villes qui résistent sont réduits à l’état d’esclaves (comme à Carcassonne). Les armées sont défaites successivement à Toulouse (721) par le duc d’Aquitaine puis à Poitiers (732) et Sigean (737) par les troupes franques dirigées par Charles Martel.

Si jusque là la résistance rencontrée était plutôt modérée voire faible, les musulmans arrivent aux frontières d’Etats en plein redressement : l’Empire byzantin et le royaume franc.

Déclin, troubles et chute

Beaucoup de musulmans acceptent alors mal l’institution d’un califat dynastique (donc héréditaire), l’élection demeurant à leurs yeux le seul mode de désignation légitime. La légitimé des califes omeyyades s’en trouve affaiblie.
Les non-arabes convertis (les mawali), touchés par des taxes discriminatoires, se sentent lésés par le pouvoir qui les considère comme des musulmans de seconde zone, et demandent leur intégration complète à la communauté musulmane.
Les oppositions shi’ite et surtout kharidjite connaissent un réveil. Des émeutes et révoltes éclatent dont la plus spectaculaire est l’insurrection kharidjite de 747 qui naît dans le Hadramawt, s’étend au Yémen et au Hidjaz où les révoltés s’emparent de Médine et de La Mecque. Le calife Marwan II rassemble une importante armée et écrase la révolte en 748.

Mais l’insurrection qui cause la chute de la dynastie est celle qui éclata en 747 en Iran, dirigée par Abu Muslim, un ancien esclave d’origine persane. Le soulèvement profite des difficultés du régime, s’appuit sur les mawali, et est lancé au nom des Hashimites (du nom de Hashim, arrière-grand-père de Muhammad) ce qui permet à Abu Muslim de trouver le soutien des descendants de la famille du Prophète. Ce soulèvement a pour but de confier le califat à Abu al-Abbas, arrière arrière petit-fils de al-Abbas. La révolte s’étend et ce dernier est proclamé calife sous le nom d’al-Saffah en 749. Celui-ci écrase les troupes de Marwan II à la bataille du Zab en 750. Marwan II tente de fuir en Egypte mais y est capturé puis assassiné. Prenant pour prétexte une réconciliation avec les Omeyyades, Abu al-Abbas les invite à un banquet où il les fait tous exécuter. Un survivant du massacre, Abd al-Rahman parvient à rejoindre al-Andalus (nom de l’Espagne musulmane) où il fonde l’émirat dissident de Cordoue. La dynastie des Omeyyades de Cordoue va durer jusqu’en 1031. A Damas, une nouvelle dynastie de califes, les Abbasides, apparaît ainsi dès 750 avec comme premier représentant Abu al-Abbas.

La civilisation arabo-musulmane sous les omeyyades

Des réformes économiques

Sous le califat de Abd al-Malik intervient une première réforme importante : jusque là on vivait sur les pièces byzantines et sassanides en circulation; elles sont remplacées par les deux monnaies du dinar, en or, et du dirham, en argent. Sur les nouvelles monnaies ne figurent aucune représentation mais des inscriptions arabes qui comprennent le plus souvent la profession de foi (shahada), le nom du calife et le lieu de frappe.

Le système fiscal est lui aussi réformé. Jusqu’à présent, les musulmans payaient l’aumône légale (zakat) qui concernait les revenus de la terre, les métaux précieux et le trafic commercial; et les non-musulmans payaient l’impôt foncier (kharadj) et la capitation (djizya). Le système avantageait les musulmans et on craignait une conversion massive des non-musulmans ce qui aurait eu pour conséquence la diminution des rentrées fiscales. Aussi, sous le califat d’Umar (717-720), il est décidé que le propriétaire d’une terre verserait le kharadj quelle que soit sa confession. Cette réforme est impopulaire, en particulier chez les convertis à l’Islam qui ont le sentiment d’être lésés. Suite à la mise en place de la réforme, un bon nombre de paysans vendent ou abandonnent leurs terres.

Enfin, le réseau routier est fortement développé et le calife Hisham (724-743) mène une politique de développement agricole, en favorisant les chantiers d’assainissement et d’adduction d’eau. Il émerge parallèlement une caste d’aristocrates terriens qui font exploiter leurs terres par des tenanciers et de nombreux esclaves.

Une société arabe inégalitaire

Les Arabes occupent le haut de la pyramide sociale. S’ils sont majoritaires en Arabie, ils sont largement minoritaires dans les provinces conquises, à l’exception de la Syrie, de la Palestine et de l’Iraq. Les Arabes occupent les postes importants dans l’administration et ont la possibilité, si les califes les désignent, de devenir gouverneurs ou juges.

Le statut des convertis (mawali) est inférieur. La conversion est alors motivée par la conviction religieuse mais aussi par la recherche de sécurité et l’espoir d’une ascension sociale. Ces espérances sont déçues : les convertis ne sont pas considérés comme égaux aux Arabes mais seulement comme musulmans de niveau inférieur. La conversion n’entraine généralement pas de changement majeur dans le niveau de vie du mawali et il est même parfois l’objet de mesures violentes. Dans tous les domaines (armée, administration,…), l’inégalité règne entre les Arabes musulmans et les mawali.

Parmi les non-musulmans, une distinction est faite entre les « Gens du Livre » (Juifs et Chrétiens) et les polythéistes. Ces derniers sont forcés soit à la conversion, soit à la mort. Les Juifs et les Chrétiens bénéficient quant à eux d’un statut particulier, celui de dhimmi. En échange de l’acquittement de la djizya et le respect d’un certain nombre d’obligations (ne pas détourner un musulman de sa religion, ne pas donner asile aux polythéistes, s’abstenir de tout acte hostile envers un musulman,…), ils conservent leur liberté et leurs droits. La relative tolérance dont font preuve les Omeyyades envers ces populations s’explique par le souci d’éviter tout trouble dans un empire encore fragile. Les conditions de vie des Juifs et des Chrétiens vont se durcir par la suite.

La culture et les arts

Alors que les villes arabes déclinent, les villes nées des conquêtes connaissent un vif essor. Chaque capitale de province est le lieu de construction de nombreux édifices religieux autour desquels gravitent les activités culturelles et commerciales. Sous le califat d’Abd al-Malik est érigée, entre 688 et 691, la mosquée du Dôme du Rocher à Jérusalem par des architectes et artistes byzantins, et c’est sous le califat de son successeur qu’est édifiée la célèbre mosquée de Damas, qui servira de modèle à toutes les autres mosquées de l’Empire, et la mosquée d’al-Aqsa à Jérusalem.

Une trentaine de palais sont également construits en dehors des villes dont l’architecture et la décoration sont influencées par l’art byzantin. Ces bâtiments ont pour fonction à la fois celui d’un lieu de résidence pour les princes, d’un centre d’exploitation agricole et d’un point de contrôle des tribus locales.

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Qusayr Amra, palais du désert construit par calife Omeyyade Walid I (entre 711 et 715).

Les principaux poètes de l’époque sont des Arabes, en particulier des Bédouins, qui perpétuent les habitudes de leurs ancêtres, nostalgiques du temps où ils vivaient dans le désert. Parmi ces poètes citons Akhtal (mort vers 705-715), Farazdaq (mort vers 732-733) et Djarir (mort vers 732-733). Il se développe une poésie érotique à La Mecque et à Médine (poète Umar ibn Abi Rabi’a) et une poésie bachique à Damas dont un représentant célèbre est le calife Walid II lui-même, qui chante l’amour des plaisirs, des femmes et du vin.

Bibliographie :
GUICHARD Pierre, Al-Andalus, 711-1492, Paris, Hachette, 2001.
SÉNAC Philippe, Le monde musulman. Des origines au XIe siècle, Paris, Armand Colin, 2007.

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