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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

A l’époque tardo-républicaine, le Sénat, les magistrats et les assemblées du peuple forment les rouages de la vie politique romaine. La mise en place du principat sous Auguste ne remet pas en cause l’existence de ces composantes mais change leur rôle et introduit un nouvel acteur majeur : le princeps. Le principat s’accompagne d’une ré-aristocratisation de la société avec la mise en place des ordres sénatorial et équestre, et d’une réorganisation de l’administration héritée de la République.

L’héritage : les institutions républicaines

Le Sénat

Le Sénat est une très ancienne institution romaine, remontant à l’époque royale. Il s’agit d’un conseil de 300 membres, qui passe à 600 sous la dictature de Sylla puis 900 avec César (Auguste ramène le Sénat à 600 membres). Théoriquement, ses pouvoirs semblent très limités puisqu’il ne peut pas se réunir de lui-même ; il ne se réunit que lorsqu’un magistrat supérieur ou un tribun de la plèbe le convoque. De plus, si vote des sénateurs il y a, il est contraint par l’ordre du jour imposé par le magistrat ayant réuni le Sénat. Dans la pratique, le rôle du Sénat est central dans la vie politique romaine pour deux raisons. Une de ces raisons est politique : aucune loi ne peut être votée sans avoir reçu l’aval du Sénat par un sénatus-consulte (théoriquement) ; l’autre raison est d’ordre sociologique : les sénateurs sont d’anciens magistrats et peuvent exercer de nouvelles magistratures (les magistrats en charge peuvent donc difficilement s’opposer à leurs futurs collègues).

Les sénateurs sont désignés par les censeurs tous les 5 ans, lesquels dressent la liste des sénateurs appelée « album sénatorial ». Pour devenir sénateur, trois critères sont à remplir : être un ancien magistrat, avoir une fortune de 400.000 sesterces (somme qui est montée à un million sous Auguste), et être digne moralement. Si l’on est théoriquement sénateur à vie, un sénateur peut être exclu de l’album sénatorial en raison de sa conduite déshonorante (l’exclusion implique un accord entre les deux censeurs).

Chaque séance sénatoriale est présidée par le magistrat ayant convoqué le Sénat, celui-ci fixant l’ordre du jour qui ne peut être modifié par les sénateurs. L’ordre de la prise de parole est codifié : le prince du Sénat est interrogé en premier (il s’agit du sénateur jugé le plus digne, étant généralement âgé et ayant eu une grande carrière politique ; il figure en tête de l’album sénatorial). Viennent ensuite les sénateurs les plus anciens avec les cursus les plus fournis. Un sénateur ne peut être interrompu lors de son discours. De fait, une partie des sénateurs (ceux jugés les moins dignes) ne parle jamais : les pedarii.

Les magistrats

Les magistrats incarnent l’Etat et disposent de ce que nous appellerions le pouvoir exécutif. Les magistratures romaines partagent un certain nombre de caractéristiques communes : elles sont hiérarchisées, spécialisées, annuelles, électives et collégiales (sauf pour le dictateur et le maître de cavalerie, deux magistratures extraordinaires). Les magistratures inférieures (questure, édilité ou tribunat de la plèbe) sont distinguées des magistratures supérieures (préture et consulat) ; les premières sont associées à la notion de potestas (pouvoir de commandement inférieur), les secondes à l’imperium (pouvoir civil et militaire qui comprend le droit de convoquer les assemblées du peuple et le Sénat, de faire tenir les élections, de commander des troupes).

L’ordre de passage d’une magistrature à une autre est codifié par la loi Villia de 180 av. J.-C., complétée par Sylla. Après le service à l’armée et les magistratures mineures (organisées par Auguste) commence le cursus honorum (la carrière des honneurs). La questure est la première magistrature inférieure ; le questeur cumule des fonctions judiciaires et des attributions financières. Le tribunat de la plèbe n’est pas une magistrature à proprement parler, mais fonctionne comme telle dans les faits ; réservé aux plébéiens, le tribunat de la plèbe offre un pouvoir d’assistance au peuple romain. L’édilité est une magistrature au départ réservée aux patriciens puis ouverte à tous ; les édiles sont chargés de la construction et de l’entretien des édifices romains, notamment les temples, de l’entretien des rues, de la surveillance des rues et marchés, de la lutte contre les incendies, … Ils organisent également les jeux, ce qui leur permet de se faire remarquer par le peuple romain.

La préture vient après le tribunat de la plèbe ou l’édilité et est la première magistrature supérieure. Les préteurs disposent d’attributions judiciaires et juridictionnelles et peuvent exercer un commandement militaire en province. Le consulat, dernière magistrature ordinaire, est la plus prestigieuse de toutes. Les consuls, au nombre de deux, dirigent la vie politique romaine.

Quatre magistratures extraordinaires s’ajoutent aux magistratures ordinaires : les censeurs, élus tous les cinq ans pour dix-huit mois, chargés de recenser les citoyens romains, de dresser l’album sénatorial et de répartir les citoyens dans les assemblées du peuple ; le dictateur, nommé pour six mois par un consul sur ordre du Sénat afin de rétablir la stabilité de la République romaine (lors d’une situation de crise) ; le maître de cavalerie, assistant du dictateur et choisi par lui ; l’interroi, désigné au sein du Sénat parmi les patriciens pour une durée très brève en cas de vacance du pouvoir (mort des consuls à la guerre par exemple).

La magistrature offre enfin des signes distinctifs à son détenteur : les magistrats à imperium (consuls et préteurs) sont suivis de licteurs, hommes portant des faisceaux, signe de majesté ; à partir de l’édilité, le magistrat dispose de la bande de pourpre sur la toge et du siège curule.

Les assemblées du peuple

Contrairement à Athènes où il exista une seule assemblée du peuple, Rome a mis en place trois assemblées : les comices curiates (au nombre de 30), les comices centuriates (au nombre de 193) et les comices tributes (au nombre de 35). Chaque citoyen romain est membre d’une curie, d’une centurie et d’une tribu.

  • Les comices curiates, assemblées très anciennes, n’ont plus véritablement de pouvoir à la fin de la République romaine. Quelques procédures particulières relèvent de ces comices, comme les adoptions et la validation de certains types de testament.
  • Les comices centuriates jouent le rôle le plus important : ils élisent les magistrats supérieurs, ils votent la loi et disposent de pouvoirs judiciaires pour les crimes capitaux.
  • Les comices tributes ont un rôle moins important que les comices centuriates. Ils élisent les magistrats inférieurs et disposent de pouvoirs judiciaires pour des crimes secondaires. A la fin de la République, le vote des lois passe des comices centuriates aux comices tributes.

Comme le Sénat, aucune de ces assemblées ne peut se réunir d’elle-même, mais à l’initiative d’un magistrat. Au sein des comices, chaque citoyen romain vote directement à bulletin secret (le secret du vote apparaît à la fin du IIe siècle avant J.-C.). Mais si le vote est par tête au sein des comices, une comice vaut une voix au niveau supérieur. La répartition des citoyens n’étant pas équilibrée au sein des comices, le vote n’est pas véritablement démocratique. Ainsi, il y a 18 centuries équestres (où votent les chevaliers) et 80 centuries de première classe (citoyens les plus riches – au moins 100.000 as – après les chevaliers). Après les centuries équestres et les centuries de première classe viennent les centuries de deuxième, troisième et quatrième classes comportant chacune vingt centuries tandis que la cinquième classe en compte trente. Les plus pauvres (proletarii) sont regroupés dans cinq centuries inférieures. Une minorité de riches romains – chevaliers et première classe – occupe donc plus de la moitié des comices centuriates (98 sur 193).

L’évolution des institutions sous le principat

Le princeps, nouvel acteur du monde romain

Auguste, ayant assimilé les leçons des expériences de Sylla et surtout de César, ne prétend pas instaurer un modèle nouveau, et les institutions républicaines continuent à fonctionner sous le principat. L’évolution des institutions est progressive. Le princeps choisit de se glisser dans les institutions républicaines en cumulant des pouvoirs déjà existants. Auguste cumule ainsi l’imperium, qui lui confère tous les pouvoirs du consul sans être consul, et la puissance tribunicienne, qui lui confère la sacro-sainteté et le droit de veto des tribuns de la plèbe (opposition à un senatus-consulte ou à une décision de magistrat). Ces pouvoirs permettent au princeps d’intervenir dans tous les domaines. Il est ainsi commandant militaire, peut convoquer le Sénat et les comices centuriates, émettre des constitutions et conclure des traités sans autorisation préalable du Sénat.

Le grand pontificat constitue un autre pilier du pouvoir du prince. En tant que pontifex maximus, il dispose de pouvoirs religieux lui permettant notamment la prise d’auspices et la réalisation de sacrifices publics, et il appartient à tous les collèges de prêtres.

La mise en place d’une administration impériale

Les princeps, en particulier Auguste, rationalisent la gestion de l’Empire en mettant en place une nouvelle administration.

L’ordre sénatorial et l’ordre équestre sont distingués. L’ordre sénatorial devient héréditaire, à condition d’avoir le cens minimal requis, porté à un million de sesterces par Auguste. Le cens requis pour appartenir à l’ordre équestre est de 400.000 sesterces, et des possibilités de promotions dans l’ordre sénatorial existent. La liste des chevaliers est révisée lors de la recognitio equitum, qui peut intervenir en dehors du cadre de la censure (il y a un exemple sous Caligula).

Sénateurs et chevaliers ont désormais accès à des carrières différentes. Le cursus honorum classique est réservé aux sénateurs, tandis que les jeunes hommes de l’ordre équestre connaissent un service à l’armée plus long. Les chevaliers disposent ensuite d’un certain nombre de postes réservés, mais assez peu nombreux (Auguste ne créé pas plus d’une trentaine de postes équestres). Les fonctions les plus importantes remplies par les chevaliers sont les préfectures : à Rome, la préfecture des vigiles (police nocturne et lutte contre les incendies), la préfecture de l’annone (ravitaillement en blé de Rome), la préfecture du prétoire (garde personnelle de l’empereur). La préfecture de la Ville, également à Rome (administration de Rome) est en revanche confiée à un sénateur. Les chevaliers peuvent aussi exercer des fonctions en province. La préfecture d’Egypte (gouvernement de la province d’Egypte) est ainsi dévolue aux chevaliers. Les chevaliers peuvent commander des troupes auxiliaires ou assurer l’intendance des armées.

Auguste créé des curatelles confiées aux sénateurs consulaires (c’est-à-dire ayant été consuls) ; elles concernent Rome. Il s’agit de travaux d’entretien de la ville. Il y a ainsi une curatelle des eaux, une curatelle des bâtiments publics et des temples, une curatelle du lit du Tibre et des égouts.

Les institutions républicaines sous le principat

Sous le principat, ni le Sénat, ni les assemblées du peuples, ni les magistrats ne disparaissent. En revanche, le rôle de ces institutions, désormais subordonnées au princeps, évolue.

Le Sénat voit désormais son mode de réunion périodicisé. Il perd une partie de son pouvoir financier, ne gardant que la gestion du Trésor traditionnel de Rome (il ne gère pas le Trésor impérial), mais récupère des pouvoirs judiciaires, notamment en ce qui concerne les crimes commis contre des sénateurs. Il conserve son pouvoir de gouvernement des provinces publiques (dites « sénatoriales »), ses prérogatives en matière de maintien de l’ordre à Rome et en Italie, et son rôle religieux (comme l’organisation de fêtes). Le Sénat gagne un rôle législatif, le vote des lois passant des assemblées du peuple au Sénat ; les sénatus-consulte n’avalisent désormais plus une loi mais ont force de loi.

Les magistratures ordinaires sont conservées tandis que les magistratures extraordinaires (censure comprise) disparaissent. Auguste organise les magistratures inférieures : le vigintivirat composé, comme son nom l’indique, de vingt charges (comme les tresuiri monetales, chargés de l’atelier monétaire de Rome). Il devient obligatoire de passer par l’une de ces magistratures inférieures pour accéder à la questure. Certains magistrats perdent une partie de leurs compétences, comme les édiles qui n’ont plus la charge du maintien de l’ordre (transférée au préfet de la Ville). Au niveau du consulat, aux consuls ordinaires s’ajoutent des consuls suffects qui permettent d’avoir plus d’une paire de consuls chaque année, ce qui permet la constitution d’un vivier de consulaires (un consul suffect peut aussi remplacer un consul ordinaire en cas de décès). Les prétoriens et les consulaires ont accès à de nouvelles charges, comme la préfecture de la Ville (pour les consulaires).

Les assemblées du peuple périclitent, perdant de leur substance. Ainsi, les comices centuriates perdent une partie de leur rôle dans l’élection des magistrats supérieurs. Les sénatus-consultes du Sénat ayant désormais valeur de loi, les comices votent de moins en moins de lois et celles-ci concernent des sujets de moins en moins importants. La toute dernière loi votée par les comices date du règne de Nerva (96-98).

Bibliographie :
CLAVÉ Yannick, Le monde romain, 70 avant J.-C. – 73 après J.-C., Paris, Dunod, 2014.
SCHWENTZEL Christian-Georges (dir.), LAMOINE Laurent, PICHON Blaise, Le monde romain de 70 av. J.-C. à 73 apr. J.-C., Paris, Armand Colin, 2014.

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