Après une longue absence, le très-victorieux Charles, de retour dans la Gaule, se fit amener les enfants remis aux soins de Clément [un des maîtres irlandais à qui Charlemagne avait confié l'école du palais], et voulut qu'ils lui montrassent leurs lettres et leurs vers. Les élèves sortis des classes moyenne et inférieure présentèrent des ouvrages qui passaient toute espérance, et où se faisaient sentir les plus douces saveurs de la science. Les nobles, au contraire, n'eurent à produire que de froides et misérables pauvretés. Le très-sage Charles, imitant alors la justice du souverain Juge, sépara ceux qui avaient bien fait, les mit à sa droite, et leur dit : « Je vous loue beaucoup, mes enfants, de votre zèle à remplir mes intentions et à rechercher votre propre bien de tous vos moyens. Maintenant efforcez-vous d'atteindre à la perfection ; alors je vous donnerai de riches évêchés, de magnifiques abbayes, et vous tiendrai pour gens considérables à mes yeux. » Tournant ensuite un front irrité vers les élèves demeurés à sa gauche, portant la terreur dans leur conscience par son regard enflammé, tonnant plutôt qu'il ne parlait, il lança sur eux ces paroles pleines de la plus amère ironie : « Quant à vous, nobles, vous fils des principaux de la maison royale, vous enfants délicats et tous gentils, vous reposant sur votre naissance et votre fortune, vous avez négligé mes ordres et le soin de votre propre gloire dans vos études, et préféré vous abandonner à la mollesse, au jeu, à la paresse, ou à de futiles occupations. » Et, ajoutant à ces premiers mots son serment accoutumé, et levant vers le ciel sa tête auguste et son bras invincible, il s'écria, d'une voix foudroyante : « Par le roi des cieux, permis à d'autres de vous admirer ; je ne fais, moi, nul cas de votre naissance et de votre beauté. Sachez et retenez bien que si vous ne vous hâtez de réparer, par une constante application, votre négligence passée, vous n'obtiendrez jamais rien de Charles ! »
Notker le Bègue, publié par Amédée Gabourd, Histoire de France. T. III, Paris, Gaume Frères, 1856, pp. 420-421.
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