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La démocratie selon Guizot (1849)


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Modifié : 08/06/2011 à 14h29


Le chaos se cache aujourd'hui sous un mot : Démocratie.
C'est le mot souverain, universel. Tous les partis l'invoquent et veulent se l'approprier comme un talisman.
Les monarchistes ont dit : « Notre monarchie est une monarchie démocratique. C'est par là qu'elle diffère essentiellement de l'ancienne monarchie et qu'elle convient à la société nouvelle. »
Les républicains disent : « La République, c'est la démocratie se gouvernant elle-même. Ce gouvernement seul est en harmonie avec une société démocratique, avec ses principes, ses sentiments, ses intérêts. »
Les socialistes, les communistes, les montagnards veulent que la République soit une démocratie pure, absolue. C'est pour eux la condition de sa légitimité.
Tel est l'empire du mot démocratie que nul gouvernement, nul parti n'ose vivre, et ne croit le pouvoir, sans inscrire ce mot sur son drapeau, et que ceux-là se croient les plus forts qui portent ce drapeau plus haut et plus loin.
Idée fatale, qui soulève ou fomente incessamment la guerre au milieu de nous, la guerre sociale !
C'est cette idée qu'il faut extirper. La paix sociale est à ce prix. Et avec la paix sociale, la liberté, la sécurité, la prospérité, la dignité, tous les biens, moraux et matériels, qu'elle peut seule garantir.
Voici à quelles sources le mot démocratie puise sa puissance.
C'est le drapeau de toutes les espérances, de toutes les ambitions sociales de l'humanité, pures ou impures, nobles ou basses, sensées ou insensées, possibles ou chimériques.
C'est la gloire de l'homme d'être ambitieux. Seul ici-bas entre tous les êtres, il ne se résigne point au mal ; il aspire incessamment au bien, pour ses semblables comme pour lui-même. Il respecte, il aime l'humanité. Il veut guérir les misères dont elle souffre ; il veut redresser les injustices qu'elle subit.
Mais l'homme est imparfait autant qu'ambitieux. Dans sa lutte ardente et constante pour abolir le mal et pour atteindre au bien, à côté de tout bon penchant marche un mauvais penchant qui le serre de près et lui dispute le pas : le besoin de justice et le besoin de vengeance ; l'esprit de liberté, l'esprit de licence, l'esprit de tyrannie ; le désir de s'élever et l'envie d'abaisser ce qui est élevé ; l'amour ardent de la vérité et la témérité présomptueuse de l'intelligence. On peut sonder toute la nature humaine; on trouvera partout le même mélange, le même péril.
Pour tous ces instincts parallèles et contraires, pour tous confusément, les mauvais comme les bons, le mot démocratie a des perspectives et des promesses infinies. Il pousse à toutes les pentes, il parle à toutes les passions du cœur de l'homme, aux plus morales et aux plus immorales, aux plus généreuses et aux plus honteuses, aux plus douces et aux plus dures, aux plus bienfaisantes et aux plus destructives. Aux unes il offre tout haut, aux autres il fait, à voix basse, entrevoir leur satisfaction.
Voilà le secret de sa force.
J'ai tort de dire le secret. Le mot démocratie n'est pas nouveau, et de tout temps il a dit ce qu'il dit aujourd'hui. Voici ce qui est nouveau et propre à notre temps. Le mot démocratie est maintenant prononcé tous les jours, à toute heure, partout ; et il est partout et sans cesse entendu de tous les hommes. Cet appel redoutable à ce qu'il y a de plus puissant, en bien et en mal, dans l'homme et dans la société, ne retentissait autrefois que passagèrement, localement, dans certaines classes, unies à d'autres classes au sein d'une même patrie, mais profondément diverses, distinctes, limitées. Elles vivaient éloignées les unes des autres, obscures les unes pour les autres. Maintenant il n'y a plus qu'une société ; et dans cette société il n'y a plus de hautes barrières, plus de longues distances, plus d'obscurités mutuelles. Fausse ou vraie, fatale ou salutaire, quand une idée sociale s'élève, elle pénètre, elle agit partout et toujours. C'est un flambeau qui ne s'éteint jamais. C'est une voix qui ne s'arrête et ne se tait nulle part. L'universalité et la publicité incessante, tel est désormais le caractère de toutes les grandes provocations adressées, de tous les grands mouvements imprimés aux hommes. C'est là un de ces faits accomplis et souverains qui entrent sans doute dans les desseins de Dieu sur l'humanité.
Au sein d'un tel fait, l'empire du mot démocratie n'est point un accident local, passager. C'est le développement, d'autres diraient le déchaînement de la nature humaine tout entière, sur toute la ligne et à toutes les profondeurs de la société. Et par conséquent la lutte flagrante, générale, continue, inévitable, de ses bons et de ses mauvais penchants, de ses vertus et de ses vices, de toutes ses passions et de toutes ses forces pour perfectionner et pour corrompre, pour élever et pour abaisser, pour créer et pour détruire. C'est là désormais l'état social, la condition permanente de notre nation.

François Guizot, De la démocratie en France, 1849.




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