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Une vision de la noblesse à la fin du XVIIIe


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Modifié : 03/11/2013 à 12h29


La noblesse avait éprouvé de plus grands changements encore ; elle avait perdu, non-seulement son ancienne splendeur, mais même jusqu'à son existence, et elle était entièrement décomposée. Il y avait en France à peu près 80.000 familles nobles. (Ce qui ne paraîtra pas surprenant, puisque quatre mille charges civiles donnaient la noblesse ou la transmettaient, et que le roi accordait journellement des lettres de noblesse, qui avaient été si prodiguées dans la guerre de la succession, qu'elles se vendaient 2.000 écus tournois.) Dans cette nombreuse noblesse, il existait environ mille familles, dont l'origine se perdait dans les temps reculés de la monarchie. Parmi celles-ci, on en voyait à peine deux ou trois cents qui avaient échappé à la misère et à l'infortune. On remarquait encore quelques grands noms à la cour qui rappelaient le souvenir des grands personnages qui les avaient illustrés, mais qui, trop souvent, étaient avilis par les vices de ceux qui en avaient hérité. On voyait quelques familles, dans les provinces, dont l'existence et la considération avaient surnagé, en conservant le patrimoine de leurs pères, malgré les bornes qu'on avait mises aux substitutions qui auparavant étaient perpétuelles chez les nobles, ou plutôt en réparant la perte de la fortune de leurs pères, par des alliances avec des familles plébéiennes. Le reste de cette ancienne noblesse languissait dans la pauvreté, et ressemblait à ces chênes antiques mutilés par le temps, dont il ne reste que le tronc dépouillé. N'étant plus convoquée, soit pour le service militaire , soit pour les états des provinces ou pour ceux du royaume, elle avait perdu son ancienne hiérarchie. Si les titres honorifiques s'étaient maintenus dans quelques illustres ou anciennes familles, ils étaient aussi le partage d'une multitude de nouveaux nobles qui avaient acquis, par leurs richesses, le droit de s'en revêtir arbitrairement. La plus grande partie des grandes terres titrées était devenue l'apanage des financiers, des négociant ou de leurs descendants. Les fiefs, pour la plupart, étaient entre les mains des bourgeois des villes. La noblesse enfin n'était plus distinguée des autres classes des citoyens, que par les faveurs arbitraires de la cour, et par des exemptions d'impôts moins utiles pour elle-même, qu'onéreuses pour l'État, et choquantes pour le peuple. Elle n'avait rien conservé de son ancienne dignité et de sa première considération ; il lui restait seulement la haine et la jalousie des plébéiens. Telle était la situation de la noblesse du royaume, si j'en excepte la Bretagne et quelques provinces d'état où elle avait encore des prérogatives honorifiques.

Marquis de Bouillé, Mémoires, Paris, Firmin Didot frères, 1859, pp. 121-122 (première édition en 1798).




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