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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La question de l’histoire de l’immigration en France est sous-tendue par des enjeux idéologiques et politiques forts. Ce n’est pas un hasard si cette histoire de l’immigration a émergé ces dernières décennies. Selon les tenants d’une certaine politique migratoire, la France aurait toujours été une terre d’immigration, de brassages, de métissages multiples. Une telle idée ne résiste pas à l’étude. L’étude de la population française à travers l’histoire révèle, a contrario, que de l’an mil (au moins) jusqu’aux débuts de la IIIe République, soit pendant plus de huit siècles, la population française ne changea pas fondamentalement. La France ne fut jamais une vaste terre d’accueil. L’immigration du XXe siècle, et plus particulièrement celle des quarante dernières années ne constitue donc pas une continuité mais une rupture dans l’Histoire de France.

Les origines

D’après l’Histoire de la population française parue en 1988 sous la direction de Jacques Dupâquier, à l’époque du paléolithique la population totale du territoire français actuel n’a jamais du dépasser les 50.000 individus. A partir du VIe millénaire avant notre ère, des groupes humains s’installent sur le territoire par la voie maritime ou par la voie continentale (en venant de l’Est). Au Ier millénaire avant J.-C., c’est environ 5 millions d’habitants qui occupent le territoire vivant en habitats regroupés de l’agriculture et de l’élevage.

Les VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. voient l’arrivée des Celtes, qui, s’ils représentent moins de 10 % de la population, imposent leur culture et leur organisation politique et sociale. A partir de 120 av. J.-C., les Romains entament la conquête de la Gaule, en s’installant dans un premier temps au Sud (la Narbonnaise) avant de soumettre le territoire suite à la défaite de Vercingétorix à Alésia (52 av. J.-C.). Des colons romains (venus d’Italie mais aussi des autres provinces de l’Empire) s’installent sur ces terres fertiles et finissent par fusionner avec les Gaulois pour donner naissance au peuple gallo-romain.

Les invasions barbares et le haut Moyen Âge

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Les invasions barbares, Ulpiano Checa y Sanz (1887).

A partir du IIIe siècle ap. J.-C. arrivent les Barbares venus de l’autre côté du Rhin : Francs, Saxons, Wisigoths, Burgondes, Vandales, Alains, Suèves. Au Ve siècle siècle, les Wisigoths disposent d’un royaume centré sur Toulouse tandis que les Francs se sont imposés dans le bassin parisien. Ils ne tarderont pas à établir leur hégémonie sur la quasi-totalité de la Gaule avec les guerres de Clovis. Les Vandales, les Alains et les Suèves sont passés en Gaule mais pour rejoindre la péninsule ibérique : l’impact démographique est quasi-nul. Quant aux Francs, ils étaient 50.000 à 100.000 pour une population d’au moins 5 millions d’habitants (probablement 7 à 8 millions). Les Wisigoths, peut-être les plus nombreux, étaient environ 100.000 lorsqu’ils étaient établis en Gaule du Sud. L’apport démographique apparaît marginal. L’ensemble des peuples barbares additionnés n’ont pas excédé numériquement 5 % de la population autochtone. Si l’organisation politique se trouve bouleversée, la population n’a finalement que très peu changé.

A partir du début du VIIe siècle, ce sont les Arabes et les Berbères, qui, traversant les Pyrénées, pillent la France. Ils échouent devant Toulouse (721) et près de Poitiers (732). La seule région où ils arrivent à s’installer un certain temps est celle de Narbonne (719-759), durée insuffisante pour laisser une trace démographique durable. Par ailleurs à Narbonne, la garnison musulmane est massacrée par la population locale avant la capitulation de la ville.

La dernière invasion date du IXe siècle. Venant de Scandinavie, les Vikings pillent les villes du royaume franc, à partir de la mer et en remontant les fleuves, semant la terreur. En 886, ils mettent le siège devant Paris puis repartent suite au paiement d’un tribut. En 911, Charles le Simple leur cède la Normandie où ils s’installent mais « le nombre relativement limité des immigrés et leur fréquentation quasi séculaire avec les populations romano-franques gommèrent rapidement les différences. […] Les immigrés étaient surtout des guerriers ou soldats d’aventure, donc une population où prédominait presque exclusivement l’élément masculin. […] Ces hommes se marièrent donc dans le pays dès la première génération, ce qui provoqua un mixage rapide. » (DUPÂQUIER Jacques (dir.), Histoire de la population française, tome I, Des origines à la Renaissance, Paris, PUF, 1988, p. 159).

De l’an mil à la fin du XIXe siècle : une population stable

Au Xe siècle, la fusion des populations gallo-romaines et germaniques est parvenue à son terme, le fond de la population ne changera pas jusqu’à la fin du XIXe siècle. Ainsi, du milieu du Moyen Âge aux débuts de la IIIe République, c’est-à-dire pendant au moins les quatre cinquième de l’existence de la France (de 843 à nos jours) les apports étrangers sont dérisoires, anecdotiques dans une France qui compte 20 millions d’habitants sous Louis XIV. Et encore consistent-ils très majoritairement en des migrations de personnes ou de familles proches de la France (Italie, Espagne, Suisse, pays germaniques).

Les apports étrangers sont donc marginaux et concernent particulièrement les élites : reines de France (Blanche de Castille), ministres (Mazarin), artistes (Jean-Baptiste Lully), savants (Léonard de Vinci). Dans les campagnes, la mobilité est très faible et les seules migrations significatives sont internes, des campagnes vers les villes, ou concernent des catégories très particulières – et minoritaires – de la population (militaires, marchands et négociants, etc.). Les étrangers appartiennent généralement auxdites catégories : en 1777 à Bordeaux, on compte 111 négociants et commissionnaires étrangers (dont 52 Allemands, 33 Anglo-Irlandais, 17 Hollandais) ; en 1787 à Marseille, il y a 209 négociants protestants étrangers dont 157 Suisses et Genévois. Du côté militaire, la prise de Limerick par les Anglais (1691) entraîne l’émigration d’au moins 12.000 officiers et soldats irlandais vers la France, pays allié dans la guerre de la Ligue d’Augsbourg.

Les historiens modernistes ont souligné la très faible mobilité des habitants de l’ancienne France. Le peuple français, essentiellement rural, est majoritairement constitué de petits propriétaires sédentaires attachés à leur lopin de terre. L’étude des registres paroissiaux révèle que les couples qui se marient sont généralement nés dans la paroisse, et quand ils ne le sont pas, ils sont souvent originaires d’une paroisse voisine (à moins de dix kilomètres). Plusieurs générations se succèdent ainsi dans chaque paroisse. Comme l’écrit Pierre Goubert, « ce ne sont pas les agitations, les brassages, les migrations d’hommes qui caractérisent l’ancienne France, mais bien la sédentarité » (L’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1969, p. 46).

Les guerres révolutionnaires puis napoléoniennes constituent au tournant du XIXe siècle une saignée démographique. La population de certaines villes recule et la natalité stagne du fait d’un comportement malthusien des Français. C’est dans ce contexte qu’a lieu une première vague d’immigration, assez modeste par rapport à celles qui vont suivre, pour combler les besoins de l’industrie : 381.000 étrangers sont recensés en 1851 pour un peu plus de 36 millions de Français (1,05 % de la population) ; ils sont 1.001.000 en 1911 (2,86 % de la population). Une partie des migrants choisit de ne pas faire souche et de repartir au pays. Chez les étrangers, les Belges sont les plus nombreux (432.300 en 1881, soit 43,2 % des étrangers), suivis par les Italiens (240.700 à la même date, soit 24,0 %) et loin derrière les Espagnols (73.800) et les Suisses (66.300). Les Turcs, les Africains et les Asiatiques réunis sont à peine 2000 en 1881. Si le voisinage n’est pas sans incident (massacre d’Aigues-Mortes en 1903), l’assimilation se fait néanmoins très rapidement : dès 1888, sur 11.308 mariages impliquant au moins un étranger, 8245 sont des mariages sont mixtes, ce qui invalide l’idée d’une xénophobie générale.

En 1889, la IIIe République instaure le droit du sol (jus soli), modifiant les articles 8 et 9 du Code civil : les enfants d’étrangers nés en France deviennent français sauf s’ils refusent la nationalité française.

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Au port de Vénasque : Espagnols allant travailler en France (1907).

De la Grande Guerre au regroupement familial

La Première Guerre mondiale emporte 1.322.000 métropolitains dans un pays à faible natalité, sans compter les blessés, créant de fait un vide démographique et une nouvelle vague d’immigration. En 1931, il y a en France 2,8 millions d’étrangers pour 38 millions d’habitants, mais avec une proportion de retours au pays importante. Jacques Dupâquier estime que l’apport des étrangers à la population française (étrangers et descendants d’étrangers naturalisés) est passé de 2 millions à 4 millions de personnes de 1914 à 1950.

Après la Seconde Guerre mondiale, la prospérité économique des Trente Glorieuses amène une troisième grande vague d’immigration, une immigration de travail. En 1976 il y a 3,7 millions d’étrangers.

En 1974 est stoppée théoriquement l’immigration du fait du retournement de la conjoncture économique, mais en 1976 est adopté le regroupement familial : les immigrés ont le droit de faire venir en France leur famille proche, famille qui pourra accéder à la nationalité française. Lors de ces années, une double rupture s’opère avec l’ampleur inédite de l’immigration et le caractère non-européen d’une part significative des migrants. En 1946, 5 % de la population française est immigrée (étrangers additionnés aux Français ayant acquis la nationalité) ; en 1975, 7,4 % ; en 2010, 8,6 %. L’Afrique devient, devant l’Europe, le premier continent pourvoyeur de migrants. D’après le site de l’INSEE, en 1962, 78,7 % des immigrés en France sont nés en Europe et 14,9 % en Afrique (2,4 % en Asie et 3,2 % en Amérique ou Océanie) ; en 2010, ce sont 43,4 % des immigrés en France qui sont nés en Afrique et 38,1 % en Europe (14,5 % en Asie et 4 % en Amérique ou Océanie).

Actuellement, plus de 200.000 étrangers arrivent légalement sur le territoire national ; si l’on soustrait les départs (qui comprennent des Français), le solde annuel de l’immigration est environ de 120.000 personnes (hors immigrés illégaux), ce qui représente un peu plus de la population d’une ville comme Metz. Connaître la part de la population ayant une origine étrangère récente est difficile ; la démographe Michèle Tribalat estime que les immigrés, leurs enfants et petits-enfants représentent 23 % de la population métropolitaine (13,5 millions de personnes). De fait, la France, dont la population n’avait pas fondamentalement été modifiée au moins depuis le haut Moyen Âge, change de visage. Déjà, en 1988, le tome IV de l’Histoire de la population française sous la direction de Jacques Dupâquier prévenait : « la montée des populations originaires du Tiers Monde dans la présence étrangère en France est à présent un fait dont les dimensions ne sont plus niables. Les conséquences de ce phénomène majeur, et nouveau dans l’histoire moderne de la population en France, et ses développements futurs vont peser d’un poids très lourd dans l’avenir du pays » (DUPÂQUIER Jacques (dir.), Histoire de la population française, tome IV, De 1914 à nos jours, Paris, PUF, 1988, p. 492).


Bibliographie :
DUPÂQUIER Jacques (dir.), Histoire de la population française, 4 tomes, Paris, PUF, 1988.
SÉVILLIA Jean, Historiquement incorrect, Paris, Fayard, 2011, pp. 284-289.

Sitographie : Sites de l’INED et de l’INSEE.

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