Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le métier de bourreau est le fruit de nombreux siècles d’évolution en matière d’exécution des peines : dans les temps les plus anciens, le peuple lui-même exécutait le coupable par lapidation ou d’autres voies. Par la suite, dans la Grèce antique, à Rome et au Moyen Âge, le peuple perdit son rôle actif dans les exécutions capitales pour un rôle passif : par sa présence, il officialisait la mise à mort du condamné, qui sortait physiquement de la communauté, tandis que la charge de l’exécution revenait au seul bourreau, appelé aussi « exécuteur des hautes oeuvres » dans la France moderne.

Un être à part

Le recrutement, la nomination, les revenus

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Cartouche rompu vif (supplice de la roue) en 1721 à Paris.

Dans la France moderne, le bourreau est un officier de justice, c’est-à-dire titulaire d’un office de justice, qui dépend d’une circonscription judiciaire (sénéchaussée, parlement, etc.). Le candidat doit être de bonnes moeurs, loyal, et il faut qu’il soit bon chrétien. Il ne doit pas fréquenter les prostituées, être ivrogne, participer à des rixes ou jouer aux dés. Le juriste flamand Joost Damhouder (mort en 1581) juge qu’il faut choisir des hommes « qui ne soyent joueurs ordinaires, paillards publiques, calomniateurs, blasphémateurs, meurdriers, larrons, homicides ou qui ne sont ou n’ayantt este sugetz à semblables vices, mais prendront gens de bien, maistres de leur art, seurs, hardys, doux, courtois, miséricordieux et affables, exerceans quelque mestier honneste, qui parlent doucement aux patiens qu’il auront à géhenner, les traitent doucement, les consolent et admonestent à patience Chrestienne, et certaine espérance en Dieu. » (Practique judiciare es causes criminelles…, Anvers, 1564).

C’est à partir du XIVe siècle que le bourreau se voit remettre du magistrat ses lettres de provision d’office, document officiel confirmant sa nomination et indiquant les revenus à percevoir, lettres de provision à faire enregistrer.

Les revenus sont calculés à partir d’un barème, chaque tâche à accomplir étant associée à un montant. Le bourreau, son travail terminé, remet sa note de frais aux autorités. Ainsi, Jean de Le Porte, bourreau de Douai en 1459, reçoit de la ville 36 livres par an, 10 sols pour couper une oreille, battre un garçon ou une fille, 20 sols pour pendre et étrangler un « larron » ou pour couper une main, 11 sols pour enfouir un mort, etc.
Le bourreau jouit de revenus supplémentaires : tout d’abord, il est logé gratuitement, exempté de certains droits à payer tels que la taille, les droits de mouture au moulin banal ou les taxes sur le vin. En outre, il dispose du droit de havage, qui l’autorise à prélever une poignée sur certaines denrées arrivant sur les marchés (grains, légumes, fruits, oeufs, poissons, volaille, fromage, bois, charbon, etc.). En contrepartie de ce droit, le bourreau doit généralement surveiller les marchés et nettoyer ensuite les immondices. Il exerce aussi son autorité sur les lieux de débauche, et à ce titre perçoit une taxe sur les prostituées et les revenus des tripots.

Enfin, le bourreau fait parfois office de chirurgien ou médecin pour sa connaissance du corps humain ! Des malades viennent le voir pour des fractures, luxations ou autres maux. En 1764, le registre de la paroisse Saint-Michel de Poitiers qualifie le bourreau (alors décédé) d’« exécuteur de la haute justisse, et restaurateur du corps humain ». Bernard Varennes, bourreau à Toulouse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, se disait aussi « raccommodeur de fractures ».

Un être méprisé

Malgré l’importance du rôle du bourreau dans le fonctionnement de la justice et plus généralement de la société, celui-ci est méprisé, et le commun adopte à son égard l’attitude qu’il adopterait vis-à-vis d’un pestiféré.

Il doit porter un habit ou des signes distinctifs afin d’être reconnu de tous en public ; à la messe, lui et sa famille s’assoient sur un banc spécial ; difficile de trouver des parrains et marraines pour baptiser ses enfants ; ces mêmes enfants sont très rarement scolarisés ou mis chez un apprenti ; personne ne veut de la famille dans le voisinage. De fait, le fils du bourreau n’arrive que rarement à s’affranchir des préjugés et à sortir du milieu, et il doit bien souvent se résigner à devenir bourreau à son tour (ou assistant – valet – de bourreau). Le bourreau se marie avec une fille de bourreau et ainsi se mettent en place de véritables « dynasties » d’exécuteurs (les Sanson – les plus connus -, les Jouenne, les Chrétien, les Férey, les Roch, etc.).

L’intendant de la généralité de Rouen décrit en 1775 à Turgot, alors contrôleur général des Finances, la condition du bourreau :
« Ce genre d’hommes est absolument retranché de la société, ils ne trouvent dans les établissement publics aucun secours, ni pour eux, ni pour leurs enfants, ni même pour leurs parents, victimes d’un préjugé répandu et qu’il serait impossible de détruire. Leurs pauvres parents ne sauraient même pas se faire recevoir dans les hôpitaux. Ils ne peuvent se procurer les choses nécessaires qu’en les payant plus cher que les autres citoyens. Ils ne peuvent envoyer leurs enfants dans les écoles où ils ne seraient pas soufferts, ce n’est que par des moyens dispendieux qu’ils peuvent se soutenir et soutenir leurs familles. »

Pourtant, il arrive que des condamnés soient ouverts d’esprit : en 1642, François-Auguste de Thou doit mourir. Il embrasse son bourreau et lui dit « Ah ! Mon frère, mon cher amy, que je t’ayme ! Il faut que je t’embrasse, puisque tu me dois aujourd’huy causer un bonheur éternel : tu me dois mettre dans le paradis. » Quand l’exécuteur s’approche pour lui couper les cheveux, le jésuite qui est son confesseur s’empare des ciseaux ; de Thou réplique : « Quoy ! Mon père, croyez-vous que je le craigne ? N’avez-vous pas bien veu que je l’ay embrassé ? je le baise, cet homme-là, je le baise. »

La charge d’exécuteur est si méprisable qu’il arrive que l’on propose à des condamnés à mort de devenir bourreau en échange de l’abandon des poursuites. De fait, certains graciés devront exécuter eux-mêmes leurs complices ! Ces nouveaux bourreaux, inexpérimentés et ne supportant pas la charge, finissent parfois par prendre la poudre d’escampette, si bien que le bourreau doit être régulièrement renouvelé !

Le spectacle des exécutions

Un spectacle populaire

Les exécutions peuvent prendre plusieurs formes : la pendaison, la roue, la décapitation (pour les nobles), voire le bûcher ou l’écartèlement. Elles attirent les masses. Le toulousain Pierre Barthès décrit dans Les Heures perdues la décapitation de trois frères protestants, première décapitation depuis 84 ans : « Ils ont servi de spectacle à une foule extraordinaire de peuple, qui ne pouvant contenir dans la place, ni aux fenêtres des maisons, regorgoit sur les toicts, et sur les murailles susceptibles de les porter, pour la nouveauté d’une exécution si peu ordinaire et si meurtrière. »

De même, peu avant la Révolution, Louis-Sébastien Mercier donne une description vivante d’une exécution capitale et de la ferveur de la foule :
« Quelle voix sinistre et retentissante, emplissant les rues et les carrefours, se fait entendre jusqu’au sommet des maisons, et crie qu’un homme plein de jeunesse va périr, égorgé de sang-froid par un autre homme, au nom de la société ? Le colporteur, en courant et hurlant, vend la sentence encore humide ; on l’achète pour savoir le nom du coupable, et apprendre quel est son crime : on a bientôt oublié l’un et l’autre. C’est une condamnation subite qui vient épouvanter les esprits au moment où l’on ne s’attendoit pas. La populace quitte les atteliers et les boutiques, et s’attroupe autour de l’échafaud, pour examiner de quelle manière le patient accomplira le grand acte de mourir en public au milieu des tourments. Le philosophe qui, du fond de son asyle, entend crier la sentence, gémit ; et se remettant à son bureau, le coeur gonflé, l’oeil attendri, il écrit sur les loix pénales et sur ce qui nécessite le supplice ; il examine si le gouvernement, la loi n’ont rien à se reprocher ; et tandis qu’il plaide la cause de l’humanité dans son cabinet solitaire, et qu’il songe à remporter le prix de Berne, le bourreau frappe avec une large barre de fer, écrase le malheureux sous onze coups, le replie sur une roue, non la face tournée vers le ciel, comme le dit l’arrêt, mais pendante ; les os brisés traversent les chairs. Les cheveux hérissés par la douleur, distillent une sueur sanglante. Le patient, dans ce long supplice, demande tour à tour de l’eau et la mort. Le peuple regarde au cadran de l’Hôtel de Ville, et compte les heures qui sonnent ; il frémit consterné, contemple et se tait. »

La foule peut réagir diversement. Quelques-fois, elle encourage le bourreau, comme pour l’exécution de Casin Cholet à Paris en 1465, accusé d’avoir semé la panique dans la capitale en annonçant mensongèrement que les Bourguignons étaient entrés dans la cité : suite à la nouvelle, des hommes s’étaient suicidés, des femmes avaient accouché prématurément. D’autres fois, elle entre en communion avec le supplicié : tandis que le bourreau est occupé à briser à coups de barre de fer les os de Jean Corbelet à Caen en 1760, le condamné entonne le Veni Creator, et à la suite de la première strophe, le peuple se met à chanter à l’unisson jusqu’à la mort. Enfin, lorsque le bourreau exécute mal son travail, il est hué et insulté par la foule qui peut s’en prendre physiquement à lui.

Les exécutions ratées

Il arrive que les exécutions se passent mal. Quand l’exécution n’est pas accomplie au pied de la lettre, le bourreau peut se voir jeter en prison par les autorités ou condamné à une amende.

La décapitation est la forme d’exécution la plus difficile à accomplir (jusqu’à l’arrivée de la guillotine), la tâche nécessitant une grande expérience, que les bourreaux n’ont pas tous. En 1571 à Provins, un noble protestant nommé de Sérelle est condamné à être décapité pour avoir tué son frère et divers autres crimes. Claude Haton, témoin de l’excéution, rapporte que le bourreau, Robert Sénécart, était hésitant sur la marche à suivre car il n’avait jamais encore coupé de tête. Il s’est aussi muni d’une épée beaucoup trop légère. Sénécart manque son premier coup et ne fait que blesser Sérelle. Aux deuxième et troisième coups, il frappe trop haut, au niveau du crâne. Sénécart, ayant perdu espoir, renonce à la décapitation par l’épée et choisit de lui scier le cou. Sérelle, yeux bandés et mains liées, se relève alors et secoue le bourreau tandis que le peuple hurle à l’incompétence. Sérelle tente de s’enfuir et tombe de l’échafaud, mais au terme d’un nouveau corps à corps, Sénécart lui coupe la gorge à la manière des bouchers. Il remonte alors le corps sur l’échafaud et achève péniblement l’exécution avec son couteau. Sénécart tombe dans une profonde dépression, jugeant que le métier de bourreau n’est pas pour lui, et meurt trois mois plus tard.

Le fait de rompre vif (le supplice de la roue) un homme consiste à l’attacher à une croix de saint-André, jambes et bras écartés, et à briser les os des bras, jambes et reins à coups de barres de fer avant de replier le corps du démantibulé, face vers le ciel, sur une roue de carrosse placée en auteur. Des coups mal placés peuvent accentuer les souffrances ou au contraire les abréger. A Toulouse en 1762, Barthès raconte l’exécution ratée d’un homme rompu vif : « L’exécuteur n’étant pas bien remis d’une maladie qu’il venoit d’essuyer, quoique présent a cuy, en confia l’exécution à son premier valet, qui s’en acquita très mal ; en ce qu’après luy avoir rompu le bras gauche il crut sans doute que sans faire le tour du patient il pourroit rompre l’autre bras avec la même facilité, mais n’ayant pas bien mesuré son coup, il luy écrasa la moitié du visage, ce qui indigna tout le monde contre ce bourreau qui faisait si mal son coup d’essay. »

En 1529, à Lyon, suite à une émeute déclenchée par la cherté du blé, une vingtaine de personnes sont condamnées à être exécutées, et parmi elles, un jeune prêtre. Alors que Jean Jacquenot, le bourreau, descend de l’échelle après avoir pendu et étranglé le prêtre, la potence s’effondre. L’homme, encore vivant, est immédiatement soigné ; sa survie est attribuée à une intervention divine visant à sauver un homme innocent.

Plusieurs bourreaux laissèrent leur vie lors d’une exécution, s’étant attirés les foudres de la foule outrée par leur incompétence. En 1516, Florent Bazart, exécuteur de Paris, doit décapiter un gentilhomme et y échoue. Le peuple furieux le menace et lui lance des pierres. Bazart quitte l’échafaud et se réfugie dans la cave sous le pilori. Le peuple cherche à l’en sortir de force, et met le feu au bâtiment. L’examinateur du Châtelet, maître Pierre Cousteau, avec plusieurs sergents arrivent sur les lieux, éteignent l’incendie et récupèrent le corps du bourreau sans vie. Ils arrêtent quelques responsables des désordres ; parmi eux, un dénommé Lostière qui sera condamné à être fustigé puis pendu par le nouveau bourreau.


Bibliographie :
ARMAND Frédéric, Les bourreaux en France, Paris, Perrin 2012.
MAUREL Jean, L’art de juger les affaires criminelles au XVIIIe siècle en Rouergue et à Toulouse, Toulouse, Les Amis des Archives de la Haute-Garonne, 2012.

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