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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Rattachée à l’émeute du 6 février 1934, la question du fascisme en France demeure insoluble. En 1983, la parution du livre tapageur Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France de Zeev Sternhell lança la théorie d’un fascisme hexagonal, provoquant une rupture dans la classique esquisse de René Rémond. Le livre de celui-ci, La droite en France de 1815 à nos jours (1954), avait érigé le schéma historique d’une France divisée entre trois droites majeures (orléanisme, légitimisme et bonapartisme), pérennisant l’idée que la France serait parvenue à réchapper au fascisme en dépit du malaise socio-économique des années 1930.

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L’essor de l’anti-républicanisme : un terreau fertile

Une République critiquée

Les tenants de l’existence d’un fascisme de masse croient discerner dans l’émeute parisienne du 6 février 1934, quelque peu répercutée en province, la preuve d’une France qui ne tint son rôle de gardienne éclairée des Droits de l’Homme que par l’intervention d’un gouvernement de Front Populaire, à l’époque surnommé « Front Commun ». Remontons en arrière : la paix de 1919 amorçait une ère de critiques plus ou moins fortes à l’égard des institutions de la IIIe république. Jean-Jacques Becker et Serge Berstein notent que « si la France de l’après-guerre envisage avec satisfaction le démantèlement de l’appareil dirigiste mis en place au cours du conflit et la disparition des pratiques autoritaires qui avaient marqué la période du gouvernement Clemenceau, cette satisfaction est de courte durée. » Les critiques, en provenance des adversaires aussi bien que des alliés du régime, portent sur trois plans : le Parlement est, par son mode de recrutement, « la délégation des intérêts particuliers » (De Gaulle) ; « il faut aussi que l’exécutif, destiné à ne servir que la seule communauté, ne procède pas du parlement » car le gouvernement serait entravé par les hasardeuses combinaisons constituantes, préférant par là-même assurer sa propre stabilité ; est également critiqué « la paralysie de l’exécutif et l’absence du sens de l’intérêt national des parlementaires » qui font reposer la conduite de la nation aux mains de l’administration (J.-J. Becker et S. Berstein).

Deux courants révisionnistes se font jour, l’un souhaitant toucher aux méthodes de travail plutôt qu’aux institutions (Léon Blum), l’autre préconisant « une réforme de l’État beaucoup plus radicale, puisqu’il voit dans la subordination de l’exécutif au législatif la cause du dysfonctionnement des institutions » (tel qu’André Tardieux, chef de file de la droite). Or, les républicains, et particulièrement à gauche, considèrent comme intolérable une quelconque réforme constitutionnelle de l’État puisque celui-ci est désormais assimilé au parlementarisme tel que défini et pratiqué sous la monarchie de Juillet puis voté en 1875. Collectivistes et socialistes s’allient à l’Alliance démocratique (droite modérée) pour préserver l’édifice construit, malgré certaines pertes : des socialistes comme Déat, Marquet et Montagnon critiquent l’idéologie socialiste qu’ils estiment désuète concernant la lutte face aux fascismes désormais au pouvoir. Berstein note que « Autorité, Ordre, Nation » devient leur credo. Léon Blum, frappé de stupeur, les verra quitter la SFIO.

Le tournant du siècle : Italie et Allemagne

Loin de se borner aux groupuscules anti-républicains comme ce fut le cas jusqu’en 1926, ces vues débutent un travail de modélisation de larges parties de l’opinion française dès 1927-1928, y compris chez les ligues d’anciens combattants s’étant aventurées sur le terrain de l’action dite « civique » mais plutôt politique, à partir de 1923.

L’esprit anti-républicain ne se développe pas seulement à cause d’une crise structurelle. En effet, les crises conjoncturelles gagnent en intensité : dès 1922, Benito Mussolini accède à la fonction de Premier ministre d’Italie (proclamant les lois fascistissimes en 1925-1926) suivi en 1933 par le national-socialiste Adolf Hitler qui, en 1935, promulgue les lois antisémites. En 1917, Lénine a certes conquis le Kremlin et permis aux droites européennes de faire bloc contre les communistes qui se proposaient de répéter, par la violence, l’expérience bolcheviste dans toute l’Europe ; mais plus que tout autre, le conflit des décennies 1920-1930, opposant les pays démocratiques européens aux pays fascistes européens, permet de ressusciter en France l’opposition entre républicains et anti-républicains, en permettant toutefois, à une bonne part de ces derniers, de prendre une forme inédite. La crise économique de 1929, s’ajoutant à cela, exacerbe les tensions idéologiques en jetant à la rue des hommes ruinés, des familles déshonorées, dont le peu d’argent sert à s’intégrer dans les ligues.

Le conflit de génération joue également son rôle : les Français devenus majeurs au cours des années 1910 et 1920 connurent leur part de République à l’image de leurs aînés de l’éphémère régime républicain de 1848 : néanmoins, a contrario du coup de force de Louis-Napoléon Bonaparte brisant la légalité républicaine pour les vingt années suivantes, cette génération nouvelle n’a retenu (et quelque part, pensé) la République parlementaire que dans l’impuissance. La progressive dépréciation de la puissance exécutive face aux constituants, couplée à la Grande Crise et aux scandales politico-financiers, poussent les jeunes français à rêver une société nouvelle. Cet état d’esprit est particulièrement vivace dans le milieu estudiantin où se forment bon nombre de ligueurs de l’Action Française, des Jeunesses Patriotes, des Phalanges universitaires, de la Solidarité Française et d’autres formations plus ou moins mineures et, pour l’époque, plus ou moins fascisantes.

Les organisations dites plébiscitaires, qui s’inscrivaient dans le courant de fond bonapartiste, en profitent elles aussi : ainsi, à titre d’exemple, les deux organisations majeures recueillant une acceptation bonapartiste au sens large (usage des référendums, auto-proclamation de la ligue comme au-dessus de la mêlée droite-gauche, souhait de disposer d’un pouvoir exécutif fort), et qui correspondent aux Croix de Feu du colonel La Rocque et aux Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger, ont respectivement en 1934-1935, à l’apogée du mouvement ligueur, 500.000 (selon l’historien Guillaume Gros) et 100.000 membres.

Le problème des ligues

L’Action Française fasciste ?
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Dans le climat de crise politique et morale de l’entre-deux-guerres se développent de nombreux mouvements tendant à entretenir un climat de haine à l’égard du régime. « Certaines de ces ligues ont un caractère circonstanciel », notent J.-J. Becker et S. Berstein, à l’image de la Ligue nationale républicaine fondée par Millerand suite à son départ forcé de l’Élysée et la Légion, créée en 1924 par Antoine Rédier pour « faire échec au communisme que la victoire du Cartel risque de pousser à toutes les audaces. » Enfin, la Fédération nationale catholique du général de Castelnau, faite dans un but de défense des intérêts catholiques, est fondée en février 1924. Mais une ligue prospère particulièrement sur le terreau de l’extrême-droite : l’Action Française, d’abord virulent organe de presse né à l’occasion de l’affaire Dreyfus et tirant à 100.000 exemplaires, puis organisation royaliste sous l’égide d’un écrivain provincial féru de littérature, Charles Maurras (1868-1955).

Antisémite, anti-républicain, formellement opposé à la franc-maçonnerie et obsédé par l’idée d’une prise de pouvoir par les communistes, Maurras donne un contenu matériel au nationalisme français dès l’aube du XXe siècle, et dote l’Action Française d’une milice : les troupes de choc des Camelots du Roi. Mais si l’Action Française bénéficie d’un essor rapide, elle ne peut survivre que par l’agitation verbale de ses maîtres à penser (C. Maurras, L. Daudet, M. Pujo, H. Vaugeois) et par celle de la rue : bien que son premier congrès d’après-guerre regroupe 12.000 personnes, sa réelle influence politique demeure limitée en raison de son extrémisme incontestable, de sa virulence et de son but avoué d’étrangler la gueuse. La période de la Grande Guerre pousse Maurras à limiter son anti-judaïsme et l’ère du Bloc National met son action agitatrice entre parenthèses. Néanmoins l’antisémitisme demeure partagé par une ample fraction de l’opinion publique.

L’Action Française s’inscrit dans le courant contre-révolutionnaire : soucieux de livrer un Roi à la France, Charles Maurras multiplie les écrits. Mais en dépit de sa violence littéraire et du contenu idéologique de celle-ci, dont le journal de son organisation s’avère le traducteur quotidien, la doctrine de l’Action Française demeure aux antipodes du fascisme, même si elle s’inscrit dans un courant de fond rejetant les conquêtes les plus importantes de la Révolution française : égalité civique et liberté politique.
René Rémond note que « le nationalisme monarchique, tout intégral qu’il se déclare, ou peut-être précisément parce qu’intégral, est un nationalisme intransigeant, restrictif, exclusif : celui de Barrès revendiquait la Révolution de 1789 comme un des plus glorieux chapitres de notre histoire ; Maurras la retranche sans balancer. En dépit d’un vocabulaire qui se donne des airs plébéiens, et d’une démagogie qui reste soigneusement verbale, le nouveau nationalisme est épuré de toute référence au principe démocratique, exempt de toute infiltration populaire. »
Et de continuer : « L’Action Française est le contraire de la démocratie : sa philosophie politique, fondée sur une conception hiérarchique de la société et respectueuse des supériorités natives, est foncièrement aristocratique. Son programme social se réduit à l’anachronique restauration des cadres corporatifs […]. Affirmer le ‘politique d’abord’, c’est encore une façon de nier le social et de maintenir le statu quo. » Les Croix de Feu adoptent d’ailleurs leur refrain « Social d’abord ! » en opposition à Maurras.

Georges Valois, admirateur de Benito Mussolini, est l’un des théoriciens de l’Action : mais son désaccord avec Maurras révèle la nature d’un problème que l’on aurait pu croire résolu. Car si l’ex-maître de l’Action Française éprouve une forme d’admiration pour le parti mussolinien, celle-ci tient en fait davantage à l’efficacité qu’eut l’Italie fasciste à briser l’élan de la gauche péninsulaire qu’à autre chose. Valois en tire la conclusion qui s’impose en quittant la ligue royaliste afin d’opérer la construction d’une organisation ouvertement fasciste, et dont la collusion doctrinale avec le système italien des années 1922-1944 est révélée par le nom : il s’agit du Faisceau, fondé le 11 novembre 1925.
Le mouvement fut d’abord favorablement vu depuis l’Action, mais ses positions hétérogènes inquiètent Maurras. Et bien que début 1926 Valois revendique 40.000 membres, sa formation périclite dès l’autonome de la même année et, en avril 1928, sa dissolution met un terme à l’aventure fasciste de Georges Valois. De la même manière la plupart des autres ligues explicitement fascistes termineront leur carrière à l’image du Faisceau : en peau de chagrin.

Le cas La Rocque

La Rocque dispose à l’époque de l’organisation la plus puissante et disciplinée. Membre non fondateur de la ligue des Croix de Feu, initialement « les combattants décorés de première ligne », son ascension rapide le propulse comme vice-président puis président de la formation. Farouchement anti-communistes, les Croix de Feu s’ouvrent finalement à tous les anciens combattants ainsi qu’aux déçus de l’évolution de cette République pour laquelle ils avaient combattu.

L’une des déclarations du colonel de la Rocque semble à première vue entraîner son auteur vers un rejet pur et simple de la consonance fasciste : « Les conceptions fasciste et nationale-socialiste, en imposant à la France un régime contraire à ses aspirations, à son génie, contraire au respect de la personnalité, la jetteraient immanquablement vers les horreurs de la Révolution rouge » : autrement dit, tout régime fasciste risque d’offrir au communisme une chance d’accéder au pouvoir. Cette attitude sera confirmée par l’Histoire : le PCF aurait-il été aussi puissant, dans la France d’après-guerre, réalisant même 21% aux élections présidentielles de 1969, si l’Occupation n’avait pas élevé le communisme au rang de martyr de la cause résistante ?

Un certain nombre d’historiens anglo-saxons ont cru, à tort, discerner une forme de fascisme au sein des Croix de Feu, ce qui leur a attiré les foudres judiciaires de Gilles de la Rocque, soucieux de préserver l’honneur de son père. Il n’est guère aisé de déceler l’existence d’un fascisme laroquiste : la ligue n’est pas révolutionnaire, et ne prétend pas utiliser l’État et la politique pour changer la société en vue du but final de toute société politique fasciste qu’est la création d’un Homme nouveau.

Dans la mystique Croix de Feu, où se situe l’aryen, où se situe même l’Homme soviétique voulu par les dirigeants bolchéviques ? Nulle caractéristique fasciste majeure ne vient accréditer les cris d’orfraie, encore moins la dissolution, portés par le gouvernement de Front Populaire à l’égard des anciens combattants du Colonel de la Rocque. Mais nier la présence de caractères mineurs du fascisme en son sein est également une erreur : le culte du chef existe et La Rocque ne fait rien pour le solder. Mieux : plusieurs recoupements entre La Rocque et Mussolini par rapport à la culture nationale, vis-à-vis du souhait d’une organisation politique fortement centralisée, et encore à l’égard de superbes défilés au pas cadencé auxquels participaient des Croix de Feu aux visages patibulaires accréditent l’idée selon laquelle, bien que clairement non adepte du fascisme, la formation du colonel de la Rocque s’en situait néanmoins à la frontière.

Benito Mussolini écrivit : « Pour le fascisme, le monde n’est pas de ce monde matériel qui apparaît à la surface, où l’homme est un individu isolé de tous les autres, existant en soi, et gouverné par une loi naturelle qui, instinctivement, le pousse à vivre une vie de plaisir égoïste et momentané. […] Le fascisme est une conception religieuse, qui considère l’homme dans son rapport sublime avec une loi supérieure, avec une Volonté objective qui dépasse l’individu comme tel et l’élève à la dignité de membre conscient d’une société spirituelle. » Et de poursuivre : « Dans l’État fasciste, la religion est considérée comme une des manifestations les plus profondes de l’esprit et, en conséquence, elle est non seulement respectée mais défendue et protégée. » À cela les paroles du colonel de la Rocque répondent comme en écho.

Le 28 janvier 1938, il lance : « Il faut parvenir le plus tôt possible au rapprochement des cœurs devant les dangers qui menacent la nation française, la civilisation chrétienne dont elle est issue et faute de quoi elle ne pourrait point vivre. » La Rocque réitère son attachement au christianisme dans Le Petit Journal du 2 juin : « Sans ma conviction religieuse, chaque jour plus profonde à la mesure même de ma charge chaque jour plus alourdie, je ne sais si je serais capable de servir sans faiblesse vos aspirations terrestres, ô mes fraternels amis de toutes confessions, ô croyants et incroyants. » La Rocque aime à évoquer « les règles supérieures de la morale chrétienne » et exige que « l’ordre social nouveau » se base « sur le fondement de la tradition chrétienne ». Il souhaite « ressusciter parmi nous la paix chrétienne » et vénère « Sainte Jeanne d’Arc ». Nulle ressemblance avec Adolf Hitler : « Un christianisme allemand ? Quelle blague ! On est ou bien chrétien ou bien allemand, mais on ne peut pas être les deux à la fois. »

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Mussolini et La Rocque s’accordent également sur le souhait de la réconciliation des classes (contre la lutte des classes) afin de placer l’énergie sociale au service de la nation. Le chef des Croix de Feu puis du PSF réclame une troisième voie entre l’expérience marxiste et le capitalisme libéral. Il souhaite même une participation ouvrière aux bénéfices de l’entreprise et, le Front Populaire au pouvoir, déclare que ses idées y sont aussi.
La Rocque, cependant, affirme son dégoût des systèmes autocratiques. Dans Le Petit Journal du 6 mars 1938, il avoue sa « profonde aversion à l’égard des méthodes et des conceptions dictatoriales » tandis que quelques mois auparavant, au Congrès national de Lyon, le 25 novembre 1937, il disait : « Nous sommes un parti démocratique, un parti qui lutte contre la dictature ». Trois jours après : « La dictature chez nous serait une offense à la nature, à l’âme française. Que pas un de vous ne se tourne vers l’étranger et n’y cherche des aspirations. » Louis Veuillot, homme d’Église, dit : « Il suffit, pour en être convaincu, d’enregistrer, sur ce point, les déclarations formelles et réitérées du colonel et de recueillir, en même temps, l’écho des applaudissements dont elles sont soulignées. »

Le souci de se cantonner au respect des institutions déjà existantes et de ne point passer outre la légalité démocratique s’incarne et se confirme tout à la fois dans l’épisode du 6 février 1934 : tandis que les ligues dures s’escriment à démolir le service d’ordre protégeant le pont de la Concorde, les Croix de Feu, pourtant présentes rue de Bourgogne, refusent de s’engager dans la rue Saint-Dominique qui borde la Chambre des députés : cette action salutaire pour la République amplifie le rejet dont La Rocque fait preuve pour l’extrême-droite, Maurice Pujo se saisissant de sa plume pour son livre Comment La Rocque a trahi et Jean Renaud, chef de la Solidarité Française (pâle-copie des Chemises Noires italiennes), éditant J’accuse La Rocque.

Pierre Milza précise dans une interview : « La Rocque n’est pas fasciste, il souhaite une France à la fois traditionnelle et populiste, jouant un peu sur les deux tableaux. […] La Rocque n’a jamais souhaité renverser la République, il veut en changer. Il veut créer une République à la fois paternaliste, sociale-chrétienne, en tout cas sociale et traditionnelle. » C’est à la lumière de ces multiples déclarations et de l’évènement du 6 février que les Croix de Feu n’apparaissent en fin de compte qu’à l’image de ce qu’ils ont toujours prétendu être : une ligue légaliste soucieuse de délivrer la parole du peuple. Son programme plébiscitaire y répond : un État fort et efficace doublé d’un recours régulier à la souveraineté nationale sans faire appel au traditionnel corps intermédiaire qu’est le Parlement.

La Rocque lui-même amorce un dernier point commun avec le parti bonapartiste correspondant au refus de classer sa formation à droite ou à gauche, dont il est pourtant proche par ses appels répétés à l’amélioration des conditions ouvrières : « Le patriotisme n’est pas le monopole de la droite et l’aspiration sociale n’est pas davantage monopole de gauche. Nous méprisons la droite autant que la gauche. Ces classifications bornées et désuètes ont fait trop de mal au pays, ont causé trop de déceptions et de justes colères ! Le Parti Social Français se refuse à les reconnaître. » Croix de Feu et PSF s’inscrivent l’un et l’autre dans la droite ligne du sillage bonapartiste d’une démocratie à la fois directe et autoritaire, le caractère ligueur des premiers leur conférant néanmoins certains traits mineurs du fascisme : mais à ce compte-là, quantité de ligues seraient classées extrémistes.

Le 6 février : une tentative de putsch fasciste ?

La nuit du 6 février 1934 demeure la pièce angulaire de la controverse d’un hypothétique fascisme hexagonal. Dans son livre, d’ailleurs contestable sur beaucoup de points, intitulé L’idéologie française, le philosophe (mais en est-il seulement un… ?) Bernard Henri-Lévy use du 6 février afin de soutenir l’idée d’un fascisme français latent depuis Charles Péguy et même… Voltaire. L’idée est osée. Dans les faits, le faible nombre de ligueurs ayant suivi les appels au rassemblement, le 6 février, est frappant. Les 99 ligues ayant vainement tenté de pénétrer dans le Palais-Bourbon ne rameutent que 40.000 individus, la moitié des ligueurs se recrutant pourtant au sein de la région parisienne. Et bien qu’à la tribune de la Chambre des députés l’élu Philippe Henriot ait demandé à trois reprises, au cours du mois de janvier 1934, la chute du régime, cette virulence verbale reste exceptionnelle.

L’idée d’une conjuration fasciste, du moins de droite, pour faire tomber la République a paru séduisante, y compris aux forces de gauche qui pouvaient ainsi endosser leur meilleur rôle, celui de phare de la démocratie et de défenseur des droits de l’Homme : « Le 6 février fut l’aube du fascisme en France », dira en 1941 Robert Brasillach. Du sien, peut-être ! Sans doute également celui de Pierre Drieu la Rochelle, autoproclamé à la fois socialiste et fasciste. Mais fiction n’est point réalité. L’idée aujourd’hui admise est que nul complot n’avait été prévu et, à examiner de près l’activité des formations du 6 février, il apparaît qu’aucun plan concerté n’avait été mis en place : chaque ligue semblait autonome dans ses actes et éloignée de ses congénères afin d’éviter, plus ou moins bien, une contamination des autres.
De surcroît, la faiblesse des armements usités à l’encontre des forces de l’ordre est à relever : bien qu’un certain nombre d’activistes de droite soient munis de cannes-épées et de rasoirs effilés afin de trancher les jarrets des chevaux, nombre de députés interrogés par la commission d’enquête parlementaire chargée de prospecter les causes et le déroulement de la tragique soirée, avouent par la suite que les manifestants n’avaient pas été si bien armés qu’ils auraient dû l’être pour un coup de force.

Le 7 février 1934 vit une floraison de titres accrocheurs, notamment de la part de l’Humanité (PCF) et le Populaire (SFIO), décrivant l’émeute comme une tentative de coup d’État fasciste : il apparaît en fait que ce ne fut qu’une manifestation de colère ayant mal tourné.

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Nombre d’armes trouvées chez les manifestants (rapport officiel de la préfecture de police) du 6 février au 9 (émeute communiste).

En conclusion, si les années 1920 et 1930 voient une incontestable fièvre ligueuse, avec les Croix de Feu, l’Action Française, les Jeunesses Patriotes, disciples des éphémères organisations de la fin du XIXe siècle (Ligue des Patriotes, Ligue de la Patrie française), amassant un succès réel dans les rangs de la jeunesse et des anciens combattants, l’apparence d’un fascisme en France doit cependant être ramenée à de plus justes proportions. La poussée des ligues, leur contenu doctrinal et les nombreux badauds ayant pris part au 6 février, contribuent surtout à démontrer le déclin du consensus national autour des institutions d’une République qu’une grande partie de l’opinion française de droite songe désormais à réformer.

Bibliographie :
BECKER Jean-Jacques & BERSTEIN Serge, Victoire et frustrations (1914-1929), Paris, Seuil, 1990.
CHERAU Gaston, Concorde ! Le 6 février 1934, éd. Denoël & Steele, 1934.
DE GAULLE Charles, Mémoires de Guerre : le Salut, éd. Plon, 1959.
LEVY Bernard-Henri, L’idéologie française, Paris, Grasset, 1981.
REMOND René, Les droites en France, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.
VEUILLOT François, La Rocque et son parti, éd. Plon, 1938.

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