Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

L’Ibérie avant la conquête romaine est un territoire morcelé, divisé en de multiples peuples (Vaccéens, Vettons, Turdetaniens, Cantabres,…) dont les deux principaux sont les Celtibères (au centre de la péninsule) et les Lusitaniens (au centre-ouest). Rome prend pied dans la péninsule lors de la seconde guerre punique (218-202 av. J.-C.), et, suite à sa victoire contre Carthage, commence à mener une politique impérialiste en conquérant une grande partie de l’Ibérie (Sud et Est). La péninsule est pourtant loin d’être domptée et il faudra attendre 133 pour que cessent les hostilités.


La première phase des guerres en Ibérie (195-180)

Opérations militaires

En 197, Rome prend la décision de créer deux provincia : la Citérieure (sur la côte Est) et l’Ultérieure (au Sud-Ouest), toutes deux administrées par un préteur (renouvelé en théorie chaque année, dans les fais généralement tous les deux ans) à la tête d’une légion de 5000 hommes renforcés par des contingents italiques.

Dès 195 av. J.-C., les autochtones qui refusent de servir dans l’armée romaine et qui voient d’un mauvais oeil l’installation durable de ces nouveaux venus entrent en rébellion. Caton le Censeur mène une importante activité militaire et clame à la fin de son mandat en 195 que la Citérieure est pacifiée. En conséquence, l’armée de Caton, composée de deux légions et des auxiliaires habituels, est retirée sur ordre du Sénat. Les années suivantes vont démontrer que le Sénat a eu tort de penser la province apaisée : les deux préteurs, P. Cornelius Scipion Nasica (Ultérieure) et Sex. Digitius (Citérieure), envoyés en Ibérie en 194 découvrent une situation instable à leur arrivée.

Des guerres sporadiques éclatent : ainsi, en 192, le préteur d’Ultérieure, L. Aemilius, est battu à l’Est par le peuple des Bastules et à l’Ouest par les Lusitaniens. Signe révélateur de difficultés, le Sénat décide en 188 d’ajouter à la légion de chaque province un contingent de 3000 hommes et de 200 cavaliers. Les préteurs mandatés mènent la guerre avec plus ou moins de succès, les autochtones opposant une résistance farouche.

En 180, Tiberius Sempronius Gracchus arrive en Citérieure en tant que préteur et mène une répression féroce contre les Celtibères auxquels il détruit des dizaines de villes (l’historien latin Florus parle de 150 villes dans son Epitomé). Vainqueur, il traite avec les autochtones et tente d’instaurer une paix durable. Rentré à Rome, il célèbre un triomphe. Le front en Ibérie semble stabilisé et une paix relative s’installe.

L’organisation de la conquête

Durant toutes ces années, il n’y a pas véritablement de politique d’organisation de la conquête planifiée. Les préteurs lèvent la fiscalité, réquisitionnent des céréales (ce qui provoque le mécontentement des indigènes) et des troupes. Le contrôle du territoire se fait par deux moyens principaux : le réseau routier et l’installation de garnisons, de camps et d’établissements permanents composés de Romains et d’Italiques. Au niveau routier, la voie la plus importante relie Tarraco (actuelle Tarragone) à Corduba (actuelle Cordoue) ; le danger des routes fait préférer la voie maritime. Des établissements permanents sont fondés comme Italica (207-206), Gracchulus (179-178) ou Metellinum (entre 180 et 172). Au niveau stratégique, la politique romaine consiste à passer des alliances avec des indigènes à être clément envers les tribus : l’objectif du gouverneur est d’instaurer ou de sauvegarder la paix. Rome recompose parfois localement le paysage politique en créant de nouveaux établissements, en redistribuant des territoires ou en passant des traités.

Viriathe et la seconde phase des guerres en Ibérie (155-139)

A partir de 155, le lusitanien Punique mène des incursions dans la zone lusitanienne dominée par les Romains, mettant fin à la paix relative qui prévalait depuis 180. A la mort de Punique, Caisarus reprend la lutte contre Rome et inflige une défaite aux troupes romaines en 153, ce qui entraîne le ralliement d’autres peuples autochtones dont les Vettons et les Celtibères. La seconde période des guerres celtibériques coûtera environ 12 000 soldats à Rome sur un total de 60 000.

Des consuls sont envoyés dans la région, preuve de l’urgence de la situation. En 151-150, le préteur Servilius Galba mène une répression impitoyable, passant au fil de l’épée les habitants de nombreuses cités. Les Celtibères et les Lusitaniens se soulèvent alors. En 147, Viriathe (ou Viriatus), un berger lusitanien ayant survécu à l’un des massacres de Galba, prend la tête de la rébellion lusitanienne et parvient à infliger à l’armée romaine d’humiliantes défaites. La guerre devient une guérilla sous son commandement, bien qu’il y ait aussi des batailles rangées. Florus écrit qu’il « ravagea pendant quatorze ans, par le fer et par le feu, tous les territoires qui s’étendent au-delà de l’Ebre et du Tage, attaqua même les camps de préteurs et [les] garnisons » (Epitomé). En 142, Viriathe parvient à infliger une défaite aux deux légions du consul Quintus Fabius Maximus Servilianus, ce qui contraint ce dernier à signer un traité humiliant reconnaissant des territoires lusitaniens indépendants ainsi que la reconnaissance de Viriathe comme « ami et allié du peuple romain » (titre hautement honorifique). Néanmoins, en 139, le successeur de Fabius Maximus, Quintus Servilius Caepio, reprend la guerre avec l’accord du Sénat. L’assassinat la même année de Viriathe par ses propres lieutenants, très probablement soudoyés par Rome, marque la fin de la résistance lusitanienne : les Romains peuvent poursuivre la conquête de la région.

Le siège et la chute de Numance (133)

L’origine du conflit

Numance est une cité située en plein territoire celtibère dans le bassin supérieur du Duero, vers le Nord-Est de la péninsule. Principale ville des Arévaques (peuple celtibère), elle compte entre 2000 et 8000 habitants selon les estimations.
En 155, Ségéda entre en conflit avec Rome du fait d’un vide juridique : les Romains avaient conclu un traité avec les habitants qui stipulait que ceux-ci étaient exemptés de tribut et de service militaire ; or, Ségéda décide de se construire un mur fortifié et de contraindre les habitants de cités plus petites de venir s’établir sur son territoire, ce que le Sénat refuse (il y voit une menace). Le Sénat rompt alors le traité (l’exemption de tribut et de service militaire n’est valable dans les clauses du traité que tant « qu’il paraîtra bon au Sénat et au Peuple Romain ») et ordonne le paiement d’un tribut et l’envoi d’un contingent. Les habitants de la cité fuient vers la cité amie de Numance et c’est alors que débute la guerre durant laquelle environ 6000 Romains perdront la vie sur un total de 30 000.

Rome contre Numance

Toujours selon Florus :
« Autant Numance fut inférieure en richesses à Carthage, Capoue et Corinthe, autant elle leur fut égale à toutes par sa réputation de courage et d’honneur : à ne juger que les combattants, elle fut même le plus beau titre de gloire de l’Espagne. car, sans rempart, sans tours, située près d’un fleuve sur une hauteur peu élevée, elle résista seule pendant onze ans avec quatre mille Celtibères à une armée de quarante mille hommes [8000 contre 60 000 selon Appien]; mieux, non contente de leur résister, elle leur porta des coups sensiblement plus durs et leur imposa des traités déshonorants. » (Epitomé, I, 34).

Numance refuse la deditio (rédition sans condition) imposée par Rome et prend les armes sous le commandement d’un certain Karos ou Karykos. Trois préteurs et leurs armées, Métellus le Macédonien, Pompeius Nepos et Hostilius Mancinus, sont successivement repoussés. Hostilius Mancinus est contraint après sa défaite de signer un traité humiliant aussitôt annulé par le Sénat de Rome : le général en signe de déshonneur a été ensuite livré aux portes de Numance, mains liées, par les Romains mais les autochtones n’en voulurent pas. Finalement, Rome se décide à envoyer un homme providentiel, Scipion Emilien, qui s’est illustré par l’incendie de Carthage après la troisième guerre punique. Les Numantins demandent alors à se rendre à des conditions honorables, offre qui est refusée par Scipion voulant une victoire totale. La cité assiégée en proie à la famine est entourée d’un fossé, de murs et de trois camps ; le siège dure 5 mois avant qu’elle ne tombe. Selon Florus, les habitants, plutôt que de se rendre, se seraient suicidés par « le fer, le poison et le feu qu’ils avaient allumé partout ». « On ne trouva pas un seul habitant de Numance pour pouvoir l’emmener enchaîné. […] On ne triompha que d’un nom. »
Ainsi prirent les guerres celtibériques, même si l’Ibérie connaîtra encore quelques révoltes sporadiques dans les décennies qui suivront.

Image
Vestiges archéologiques de Numance.

Sources :
RICHARDSON, John S., Hispaniae. Spain and the Developpement of Roman Imperialism, 218-82 BC, Cambridge University Press, 1986.
Florus, Epitomé, IIe siècle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *