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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La défaite de Napoléon III à Sedan ouvre une période d’incertitudes politiques qui voit une IIIe République proclamée à l’Hôtel de Ville de Paris, nouveau régime qui n’a pas encore trouvé sa légitimité quand éclate l’insurrection communarde. Après l’armistice signé fin janvier 1871 avec la Prusse, des élections générales doivent se tenir et décider du futur de la guerre (poursuite du conflit ou paix). Le 8 février, les résultats sont très favorables aux monarchistes qui se sont prononcés en faveur de la paix. Adolphe Thiers devient le premier président de la République. Mais la population de la capitale, qui a supporté 4 mois de siège, est ultra-républicaine et voit d’un mauvais oeil ce nouveau gouvernement royaliste qui siège à Bordeaux.

La révolution parisienne

Le soulèvement de Paris

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Une barricade dans Paris, le 19 mars 1871.

Le 1er mars, les troupes allemandes entrent dans la capitale, concession faîte par Adolphe Thiers à Bismarck en échange de la conservation de Belfort, ville qui avait jusque-là résisté à la Prusse. Les patriotes parisiens ont de la peine à supporter ce qu’ils prennent pour une humiliation. Ce sentiment de honte s’accompagne de la crainte d’une restauration de la royauté, régime détesté. La suppression du moratoire des effets de commerce, des loyers et des dettes, mesure prise par le gouvernement, conduit à la ruine plusieurs milliers de Parisiens. Le 6 mars, l’Assemblée décide de ne pas regagner Paris, « chef-lieu de la révolte organisée » dit un orateur, mais de s’installer à Versailles : Paris se voit « décapitalisée ».

A partir de la mi-mars, l’agitation va en croissant. La garde nationale, recrutée dans toutes les couches de la société, après le siège, est devenue une force armée plus importante que les forces de l’ordre officielles du général Aurelle de Paladines. Les bataillons de cette armée populaire se fédèrent et se donnent un comité central. Thiers voit le danger et décide de lancer le 18 mars un coup de force en appelant les troupes « officielles », afin de notamment récupérer les 227 canons alignés pour l’essentiel sur la butte Montmartre. Mais l’opération tourne mal : au lieu de se plier aux ordres, la garde nationale fraternise avec les Parisiens. Thiers se replie sur Versailles.

L’échec de la récupération des canons conduit à la mise en place d’un contre-pouvoir parisien incarné par le comité central de la garde nationale. C’est dans le désordre dans les rues de la capitale : on chante, on danse, on s’agite. Deux généraux, Lecomte et Thomas, prisonniers dans un petit local de Montmartre, font office de boucs émissaires et sont massacrés par une foule vengeresse. Thiers saisit l’occasion et déclare une guerre impitoyable : « On ne traite pas avec des assassins ». Le 18 mars, le comité central s’installe à l’Hôtel de ville (que Jules Ferry, alors maire de Paris, doit quitter) et y dresse le drapeau rouge dans la soirée.

Les élections parisiennes

Le 23 mars, l’Assemblée versaillaise vote à 433 voix contre 29 la création en province de bataillons de volontaires pour marcher sur Paris. Dans la capitale, une manifestation de soutien aux députés versaillais le 21 mars est écrasée dans le sang par les révolutionnaires. Des élections ont lieu à Paris le 26 mars, les Parisiens sont invités à choisir leur conseil municipal ; deux types de listes sont présentes : celle des conciliateurs et celle des révolutionnaires. Sur plus de 480.000 inscrits, on compte 230.000 votants, soit une abstention supérieure à 50 % (ce qui s’explique en partie par le fait que beaucoup de Parisiens aient fui la capitale), et les révolutionnaires l’emportent avec 66 sièges sur 85. Les élus conciliateurs démissionneront rapidement. Le 28 mars, la Commune de Paris est proclamée place de l’Hôtel de Ville. A partir de la mi-avril se distingue deux tendances : une majorité « jacobino-blanquiste » partisane d’un comité de salut public et une minorité formée autour d’ouvriers internationalistes hostiles aux principes autoritaires.

Des personnalités comme Clemenceau, Gambetta ou Victor Hugo tentent de trouver un compromis entre les Communards et les Versaillais mais se heurtent à l’intransigeance des deux partis. Le 5 avril, un certain nombre de ces républicains conciliateurs fondent une Ligue de l’union républicaine pour les droits de Paris. Soucieuse de la sauvegarde de la paix civile, elle multiplie les appels et les démarches pour mettre fin à la guerre, sans succès.

La politique de la Commune

L’organisation du pouvoir

Paris est proclamée « ville libre » et la nouvelle municipalité se comporte en un gouvernement ayant rompu avec le gouvernement légitime de Versailles. Le conseil municipal est composé de membres hétéroclites : on compte une grosse minorité d’internationalistes (17 membres) pour la plupart ouvriers, une douzaine de socialistes proches des internationalistes, un petit groupe de « blanquistes » (9 membres) sans Blanqui (arrêté le 17 mars et emprisonné à Cahors), le reste étant composé de républicains de gauche. On y trouve aussi de célèbres idéalistes comme le romancier Jules Vallès, le peintre Gustave Courbet ou le chansonnier Jean-Baptiste Clément (auteur du Temps des cerises). Parmi ce conseil, des extrémistes aussi, comme Raoul Rigault (devenu chef de la police), capable de citer le jour et l’heure de n’importe quelle réplique de Robespierre ou de Saint-Just, ou Jules Allix, qui propose de communiquer avec la province par le biais de prétendus dons télépathiques des escargots (il est interné à l’asile psychiatrique de Charenton dans le Val-de-Marne de 1871 à 1876). Le 16 avril, des élections complémentaires se tiennent (70 % d’abstentions) et douze élus rejoignent le conseil.

Neuf commissions sont créées : finances, armée, justice, police, travail, industrie, services publics, enseignement, relations extérieures. Le 21 avril, le Conseil nomme un délégué pour chacune de ces commissions. La Commune va administrer Paris jusqu’au 20 mai. En très peu de temps, de nombreuses mesures sont prises et appliquées, certaines assez utopiques, d’autres avant-gardistes. Quelques mesures fortement symboliques sont prises : rétablissement du calendrier révolutionnaire, adoption du drapeau rouge, destruction de la colonne Vendôme (symbole du despotisme impérial) entamée le jour du 50e anniversaire de la mort de Napoléon Ier.

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La colonne Vendôme à terre.

Les réalisations sociales

Le 18 avril, la Commune, dans la « Déclaration au peuple français », fait connaître son programme : « C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles et des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage. » Plusieurs mesures sociales sont adoptées : réduction de la journée de travail à 10 heures, fin du travail de nuit dans les boulangeries, rétablissement du moratoire des loyers et des effets de commerce, abolition des amendes patronales et des retenues sur salaire. Les ateliers abandonnés par leurs patrons (assimilés à des déserteurs) sont réquisitionnés. Afin de lutter contre le sous-salariat, un cahier des charges avec indication de salaire minimum est créé. Dans les ateliers, un conseil de direction est élu toutes les deux semaines par les ouvriers et un salarié est chargé de transmettre les revendications. Au niveau de l’égalité hommes/femmes, l’union libre est reconnue et un début d’égalité salariale est mis en place.

L’anticléricalisme communard

Les Communards sont anticléricaux. A la source de cet anticléricalisme se trouvent le combat philosophique multiséculaire entre la libre pensée et le magistère catholique, le compromis entre le Premier Empire et l’Eglise (le concordat), les condamnations de Pie IX à l’égard des idées modernes (socialisme, libéralisme, naturalisme, liberté de conscience, franc-maçonnerie,…) répertoriées dans le Syllabus de 1864. L’Eglise apparaît à tous points de vue dans le camp des contre-révolutionnaires versaillais. Cette haine anticléricale se traduit par des humiliations à l’égard des membres du clergé (parodies de culte, vases sacrés utilisés comme des gobelets), l’attribution de crimes inventés à l’Eglise (on découvre à l’église Saint-Laurent des ossements que l’on interprète comme des restes de femmes violées puis assassinées par des prêtres) et l’exécution de clercs (entres autres, l’archevêque de Paris, Mgr Daboy, et l’ancien confesseur de l’impératrice Eugénie, l’abbé Deguerry, sont fusillés le 24 mai ; dans les jours qui suivent, un certain nombre de prêtres passent par les armes). Le décret du 2 avril 1871 de la Commune supprime le budget des Cultes et sépare les Eglises de l’Etat. L’enseignement confessionnel est interdit, les signes religieux chrétiens sont retirés des salles de classe et les biens du clergé sont confisqués.

La fin de la Commune et sa portée

La Semaine sanglante (21-28 mai)

Le 21 mai, les troupes versaillaises commandées par Mac-Mahon pénètrent dans Paris par la porte de Saint-Cloud et le Point-du-Jour. Le Nord et l’Est de la ville sont aux mains des Allemands qui assistent aux événements en tant que spectateurs, c’est donc à l’Ouest que les combats se déroulent. Les fédérés sont repoussés mais des barricades se hissent. Dans la soirée du 22, les troupes gouvernementales ont atteint la gare Saint-Lazare et Montparnasse. Le 24, elles s’emparent du Panthéon. Le 25, l’ensemble de la rive gauche est contrôlée. Les derniers combats se jouent au cimetière du Père-Lachaise.

En représailles, les communards incendient le palais des Tuileries, le ministère des Finances, la Cour des Comptes et le Conseil d’Etat (23 mai). Le lendemain, ce sont au tour de l’Hôtel de ville, du Palais-Royal et du Palais de Justice d’être victimes des flammes. La cathédrale Notre-Dame de Paris est sauvée par l’intervention d’élèves infirmiers de l’Hôtel-Dieu. Outre les bâtiments, un grand nombre d’archives ont disparu : les registres de l’état civil des Parisiens depuis le XVIe siècle, les archives hospitalières, 120.000 ouvrages de la bibliothèque de la ville, 70.000 autres à la bibliothèque du Palais, une centaine de tapisseries aux Gobelins.

La répression gouvernementale est impitoyable. Toute trace de poudre sur les mains vaut l’exécution. Les historiens s’accordent sur le chiffre de 20.000 communards tués durant la Semaine sanglante, contre un millier de morts pour les troupes versaillaises. 38.000 personnes sont arrêtées et jugées, 10.000 d’entre elles sont condamnées (93 à la peine de mort, dont 23 seulement sont effectivement exécutées ; 3500 à la déportation simple, 1100 à la déportation dans une enceinte fortifiée ; les autres au départ vers la Nouvelle-Calédonie). Un rapport de 1875 pour l’Assemblée nationale montre que la majorité des communards sont des ouvriers manuels dans des petites entreprises (10 % environ sont des employés) : la Commune n’est pas seulement une guerre civile mais aussi une guerre des classes.

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L’incendie du palais des Tuileries (22 et 23 mai).

Un mythe vivace

La Commune a suscité un mythe encore vivace dans l’imaginaire socialiste ou communiste. Du côté socialiste, la Commune paraît être la première « dictature du prolétariat ». Jaurès écrira dans son Histoire socialiste : « [la Commune] fut dans son essence, elle fut dans son fond la première grande bataille rangée du Travail contre le Capital. Et c’est même parce qu’elle fut cela avant tout, d’un républicanisme qui n’était qu’un socialisme s’ignorant et qui allait jusqu’à menacer les bases mêmes du vieil ordre social et à évoquer un ordre nouveau, qu’elle fut vaincue et que vaincue, elle fut égorgée. » D’une manière plus étonnante, la Commune a pu être récupérée par l’extrême droite des années 1880-1890, celle-ci y voyant une insurrection contre la bourgeoisie « juive et maçonne » (Edouard Drumont). Les Communards et leur mémoire n’auront plus droit de cité jusqu’à l’amnistie de 1880, des commémorations auront alors lieu chaque année, en mars et en mai, organisées par diverses tendances du mouvement ouvrier. La Commune n’a pas cependant seulement inspiré le discours socialiste ou marxiste, il a poussé les élites dirigeantes à se pencher sur la question de la misère sociale. Albert de Mun, un des plus célèbres représentants du catholicisme social, officier versaillais en mai 1871, a été décontenancé par le fossé qui séparait alors les insurgés et le reste de la société. Dans les moins qui suivent la Semaine sanglante, il se convainc de la responsabilité des élites dirigeantes dans la détresse du monde ouvrier. Les libéraux aussi entament une réflexion sur la question ouvrière (Jules Siegfried, Emile Boutmy, Anatole Leroy-Beaulieu).

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