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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

En 1939 les empires coloniaux sont à leur apogée, les Européens s’étant partagés l’Afrique et une grande partie de l’Asie. Les Britanniques et les Français tout particulièrement dominent le monde. Cependant, les élites locales formées à l’école européenne reprennent les idées occidentales d’État souverain, de nation et le de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Avant même la guerre, les contestations du système colonial se font de plus en plus radicales tandis que l’Europe est confrontée à la montée de nouvelles puissances impérialistes. Vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux ont quasiment disparu, laissant la place à de nouveaux et nombreux États.

La domination coloniale contestée (1918-1945)

La montée des indépendantismes

A partir de 1918, la légitimité de la domination européenne commence à être contestée. La Grande Guerre a affaibli le Vieux continent et l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est rappelée dans les quatorze points du président américain Wilson en 1918.

En Afrique du Nord, les Français et les Espagnols doivent faire face en 1925 à un soulèvement marocain mené par Abd el-Krim mais les mouvements nationalistes n’ont malgré tout que peu d’écho. La crise de 1929 permet l’apparition d’un nationalisme de masse : en 1931 se tient un premier congrès arabe et musulman à Jérusalem, Abd el-Aziz Ta’albi y représentant l’Afrique du Nord. L’Étoile nord-africaine, mouvement clandestin (fondé en 1926), rencontre dès lors une large audience ; en Tunisie, des militants radicaux se rassemblent autour du docteur Matéri et de l’avocat Habib Bourguiba (fondateur du Néo-Destour) ; en 1934, les nationalistes marocains, se constituant en Comité d’action marocaine, présentent en 1934 aux autorités françaises un « Plan de réformes marocaines ».

Dans l’Inde britannique, le nationalisme indien aboutit à la création de l’Indian National Congress en 1885. Dans les premiers temps, les Britanniques se montrent indifférents à ce mouvement de faible ampleur qui n’aspire qu’à des réformes modérées. Au début du XXe siècle, l’Indian Congress reprend pourtant les idées occidentales de « nation » et d’État parlementaire et représentatif. Les notables du Congrès se rapprochent de Mohandas K. Gandhi qui, en 1919, invite les Indiens à la désobéissance face aux lois d’exception et de répression des activités subversives (lois Rowlatt). Dans les années 1930, le mouvement prend de l’ampleur grâce à la crise économique mondiale et Gandhi devient l’interlocuteur privilégié des Britanniques. Avant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne alterne sans succès négociations et répressions.

En Asie de l’Est naissent des organisations patriotiques (le Conseil des musulmans d’Indonésie, la Ligue musulmane, le Viet Nam Quoc Dan Dong – VNQDD – au Tonkin) parfois avant même 1914. Le VNQDD passe à l’offensive en 1930 avec des méthodes terroristes contre les autorités françaises mais l’insurrection est matée et le VNQDD se voit complètement démantelé.

L’anticolonialisme en Europe

En Europe, les socialistes ne remettent pas en cause le colonialisme en tant que tel mais appellent à une « juste colonisation » par le biais de réformes sur le statut des indigènes ; ils en restent à l’analyse de la Seconde Internationale définie en 1928 à Bruxelles : « Il n’est pas douteux que la colonisation capitaliste, quelles que soient ses tares, voire ses crimes, a amélioré les conditions de vie des indigènes, leur hygiène lamentable auparavant… En même temps disparaissaient ces manifestations de la barbarie primitive, les cruautés, les tortures pratiquées avant la conquête. »

Les principaux adversaires du colonialisme se trouvent chez les communistes, qui s’inspirent de la brochure de Lénine, L’impérialisme stade suprême du capitalisme (1917). Les idéologues marxistes affirment néanmoins qu’il ne saurait y avoir d’indépendance des colonies sans révolution prolétarienne dans la métropole et appellent également à lutter contre toute forme de nationalisme, les idéologies panislamiques ou panasiatiques et les « classes réactionnaires ». C’est en Asie que les communistes enregistrent leurs meilleurs résultats avec le Parti communiste indonésien, le Malayan Communist Party et le All-Indian’s Workers and Peasants Party.

Les nouvelles puissances impérialistes

L’hégémonie européenne se voit bousculée au début du XXe siècle par deux nouvelles grandes puissances : le Japon et les États-Unis.
Le Japon se modernise rapidement en s’inspirant de l’exemple occidental et mène une politique agressive. En 1905, le « petit nain jaune » (le Japon) inflige une humiliante défaite à l’« ours russe » avant de s’emparer de la Corée en 1910. A partir de 1931, l’armée prend une part croissante du pouvoir et donne à la politique extérieure du pays une empreinte expansionniste. En 1939, l’armée opte pour une descente vers le Sud (et non une expansion vers l’Ouest) au risque de se heurter à la France et à la Grande-Bretagne.
Les États-Unis, devenus première puissance mondiale et principaux créanciers de l’Europe à l’issue de la Grande Guerre, condamnent fermement la colonisation tout en se faisant protecteurs de l’Amérique latine avec la doctrine Monroe. Les Américains témoignent leur sympathie pour les peuples colonisés au cours de leurs déplacements. Wendell Willkie, candidat républicain en 1940, réclame ainsi en 1942 au cours d’une tournée mondiale la fin du système colonial.

La Seconde Guerre mondiale porte un coup mortel aux empires coloniaux. Très affaiblis, les pays européens ne peuvent plus ignorer les revendications des peuples colonisés. La charte des Nations unies adoptée en 1945, après celle de l’Atlantique en 1941, proclame « le droit des peuples à l’autodétermination ».

Les premières indépendances en Asie

La fin des Indes impériales anglaises

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’indépendance de l’Inde était admise, explicitement ou implicitement, par la majorité des responsables britanniques. Sortie du conflit, la Grande-Bretagne souhaite obtenir certaines garanties (unité du pays, droit des minorités, accord de sécurité), ne voulant pas précipiter les événements. En juin-juillet 1945, la conférence de Simia marque l’échec de la solution unitaire, le musulman Jinnah réclamant le droit de nommer les responsables musulmans dans le nouveau gouvernement.

Les élections à l’Assemblée constituante en décembre 1945 voient s’opposer le Congrès (qui remporte la majorité des sièges) à la Ligue musulmane de Jinnah qui souligne l’incompatibilité des deux sociétés hindoux et musulmanes. Les tensions montent en 1946 entre les deux communautés malgré les efforts des autorités britanniques (heurts sanglants à Bombay, Ahmedabad, au Bihar, au Bengale, au Punjab). Fin 1946, la Grande-Bretagne ne maîtrise plus la situation et décide d’en finir au plus vite : le 15 août 1947, l’Inde accède à l’indépendance mais reste membre du Commonwealth ; le Pakistan à majorité musulmane devient un État à part entière. Des régions entières sombrent alors dans la guerre civile : fin 1947, 4,5 millions de sikhs ont fui le Pakistan et 6 millions de musulmans ont fait le chemin inverse.

Les indépendances de Ceylan et de la Birmanie

Avant l’indépendance, Ceylan et la Birmanie étaient deux territoires britanniques. L’île de Ceylan accède à l’indépendance d’une façon pacifique qui contraste avec les troubles indiens, grâce à des élites cingalaises modérées et la bienveillance de la Grande-Bretagne. Le Premier ministre cingalais demande officiellement le statut de dominion pour son pays en février 1947, requête acceptée par la Grande-Bretagne le 17 novembre 1947 ; deux bases navales et aériennes de l’île sont conservées jusqu’en 1956.

En Birmanie, la Grande-Bretagne tente dans un premier temps de rétablir la tutelle britannique après la libération du pays par Mountbatten en 1945. L’Anti-Fascist People’s Freedom League rejette le statut de dominion proposé et la question birmane reste dans l’impasse jusqu’à l’arrivée des travaillistes en 1946. En 1947, une première conférence anglo-birmane établit l’accès à l’indépendance dans un délai d’un an. Une seconde conférence (même année) établit les modalités de la souveraineté birmane : Union fédérale et sortie du Commonwealth (premier État de l’ex-Empire britannique a choisir cette option). En janvier 1948, l’indépendance birmane est proclamée.

La fin mouvementée des Indes hollandaises

Le 17 août 1945, les nationalistes indonésiens proclament dans l’enthousiasme l’indépendance de l’Etat unitaire d’Indonésie ; une Constitution provisoire est promulguée ; Soekarno et Hatta sont élus président et vice-président de la république. Mais cette émancipation s’est déroulée de manière unilatérale et les dirigeants hollandais ne reconnaissent pas la légitimité du nouveau gouvernement.

Les Pays-Bas réclament le rétablissement de la souveraineté hollandaise avant toute négociation mais la procédure se révèle impossible sans passer par l’épreuve de force. Les Britanniques débarquent à partir du 16 septembre 1945 et permettent le retour de forces hollandaises un mois plus tard. Les Hollandais parviennent à récupérer une partie des régions de leur Empire mais pas l’intérieur de la Java et de Sumatra. Les Britanniques, en proie aux difficultés avec l’Inde, poussent leurs alliés hollandais aux concessions. En novembre 1946, une rencontre entre Soekarno et Van Mook est suivie d’un mémorandum reconnaissant le droit du peuple indonésien à « une existence nationale » mais dans le cadre d’une « Union néerlandaise ». En décembre, le premier ministre hollandais reconnaît le droit à l’indépendance de l’Indonésie. Les Anglais rapatrient leurs troupes, laissant Hollandais et Indonésiens face à face.

Les Hollandais se montrent alors de plus en plus entreprenants. Du 20 juillet au 26 août 1947, les forces hollandaises réoccupent la plupart des villes de Java et d’une grande partie de Sumatra. Mais les Pays-Bas se voient de plus en plus isolés sur la scène internationale : États-Unis poussent à l’indépendance ; Inde et Australie saisissent le Conseil de sécurité de l’ONU. Les hostilités sont arrêtées et l’institution d’un comité d’arbitrage des « Bons Offices » est décidée en août 1948. Les Pays-Bas mettent à profit la fin des combats pour consolider leurs positions et, le 19 décembre 1948, bombardent par surprise Djogjajarta avant de prendre la capitale. La résistance qui se déclenche immédiatement met cependant les Hollandais sur la défensive. Les États-Unis condamnent l’opération. Les Pays-Bas doivent finalement se résoudre aux pourparlers : une table ronde se tient à La Haye d’août à novembre 1949. Les « États-Unis d’Indonésie » obtiennent leur indépendance le 1er décembre 1949, et deviennent en août 1950 la République d’Indonésie.

La décolonisation de l’Afrique

Les indépendances en Afrique du Nord

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les anciennes colonies italiennes, Érythrée, Somalie et Libye, restent sous administration provisoire d’une British Military Administration relevant du War Office. Ces colonies posent problème en raison de lignes de fracture ethnique ou religieuse (comme en Libye où s’opposent la Cyrénaïque et la région tripolitaine). Si l’Italie renonce à tous ses droits et titres sur ses anciennes possessions, les quatre Grands (Grande-Bretagne, France, États-Unis et URSS) ne parviennent pas à se mettre d’accord.

Pour l’Érythrée, l’ONU choisit en 1949 le compromis en faisant du territoire une unité autonome fédérée à l’Éthiopie, ce qui provoque la formation d’une opposition anti-éthiopienne prête à en découdre. Pour la Somalie, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis soutiennent en 1948 l’idée d’une tutelle de l’Italie sur son ancienne colonie pour une durée de dix ans. L’Italie parvient à maintenir la paix jusqu’à l’indépendance en 1960 en dépit des velléités expansionnistes des Somaliens, germes d’un violent conflit postcolonial. Pour la Libye, l’ONU opte pour une indépendance d’une Libye unie, et Idriss, nouveau souverain du royaume fédéral de Libye, proclame l’indépendance en décembre 1951.

Dans les protectorats français de Tunisie et du Maroc, les nationalistes reprochent à la France de ne pas respecter l’autonomie politique inhérente au statut de protectorat. Les indépendantistes cherchent d’abord le soutien de la Ligue arabe : un congrès du Maghreb arabe se tient en 1947 au Caire mais les nationalistes maghrébins sont déçus, les pays arabes se contentant de déclarations de sympathie. Ils se tournent alors vers les États-Unis sans davantage de succès, lesquels ne souhaitent pas froisser leur partenaire qu’est la France, élément essentiel de l’Alliance atlantique. La situation évolue avec l’arrivée au pouvoir de Pierre Mendès France, alors que la France a perdu la guerre d’Indochine. Face à l’impatience de l’ONU et à la menace de troubles, la France décide de liquider ses protectorats : le Maroc obtient l’indépendance le 2 mars 1956 et Mohammed V devient roi ; la Tunisie accède à l’indépendance le 20 mars et Bourguiba est élu président de la République.

La guerre d’Algérie (1954-1962)

En Algérie, la volonté d’indépendance d’une partie des indigènes rencontre l’opposition des pieds-noirs (près d’un million) présents depuis parfois plusieurs générations et qui considèrent le territoire comme une partie intégrante de la France. Le 1er novembre 1954, une insurrection provoquée par le FLN (Front de libération national) et son bras armé l’ALN (Armée de libération nationale) déclenche la guerre d’Algérie. Le FLN se décide à mener une politique de terreur, avec attentats contre les Européens et mutilations ou exécutions des harkis (Algériens ralliés à la cause française) considérés comme des traîtres à la patrie. La France renforce sa présence militaire et bataille à l’ONU pour convaincre le Conseil de sécurité qu’il ne s’agit que d’une affaire intérieure. Un cycle de répression et de violences s’enclenche, et conduit à une impasse.

Amené au pouvoir par une manifestation à Alger le 13 mai 1958, De Gaulle finit par opter pour l’idée de l’indépendance. Pieds noirs, militaires et harkis s’estiment trahis et une partie d’entre eux créée l’OAS (Organisation armée secrète) pour la défense de l’Algérie française. Malgré tout, les négociations aboutissent : les accords d’Evian sont signés le 18 mars 1962 et l’indépendance est proclamée le 3 juillet. Un million de pieds-noirs partent vers la métropole tandis que 60.000 à 80.000 harkis sont massacrés.

L’Afrique subsaharienne

Les premières indépendances en Afrique noire sont pacifiques. La Grande-Bretagne obtient en 1953 le renoncement de l’Égypte à ses revendications anciennes sur le Soudan, Soudan qui accède à l’indépendance en 1956. La décolonisation se déroule sans grande difficulté sur la Gold Coast (futur Ghana) qui accède au self-government en 1953 puis à l’indépendance en 1957. Le processus est plus lent au Nigéria où les Britanniques cherchent un consensus pour établir un État fédéral (rivalité du Nord et du Sud) ; l’État obtient finalement l’indépendance en 1960. La situation est plus délicate en Afrique de l’Est où sont présentes des populations blanches et de nombreuses communautés noires (sociétés multiethniques). Le Tanganyika (future Tanzanie en association avec Zanzibar) obtient l’indépendance en 1961, l’Ouganda en 1962, le Kenya en 1963, la Rhodésie du Nord (future Zambie) et le Nyassaland (futur Malawi) en 1964, la Rhodésie du Sud en 1965.

Malgré les concessions de 1946 (autonomie accrue) et de 1956 (loi-cadre Defferre accentuant la décentralisation et généralisant le suffrage universel dans tous les territoires coloniaux), l’Afrique française choisit l’indépendance et non l’autonomie dans le cadre d’une « Communauté » avec la France comme le propose De Gaulle. En France, la liquidation de l’Empire – excepté l’Algérie – ne scandalise pas l’opinion publique, bien au contraire. En 1957, le Cameroun est doté d’un gouvernement autonome avant de recevoir l’autonomie complète en 1959. En 1960, Madagascar et les autres territoires de l’Afrique noire deviennent indépendants.

Le Congo belge voit son indépendance accordée dans la précipitation par la métropole, en 1960. Le pays sombre immédiatement dans une guerre civile qui ne prendra fin qu’avec le coup d’État du général Mobutu. Le Portugal refuse quant à lui la décolonisation (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Cap Vert, Sao Tome Principe), laquelle n’intervient qu’après la chute de la dictature de Salazar en métropole, en 1974. En 1975, l’Espagne finit par abandonner le Sahara.

Bibliographie :
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, Histoire du XXe siècle. Tome 2. 1945-1973, le monde entre guerre et paix, Paris, Hatier, 1996.
MICHEL Marc, Décolonisations et émergence du tiers monde, Paris, Hachette, 1993.

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