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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le mot « géopolitique » fut inventé par Rudolf Kjellen dans son ouvrage L’Etat comme être vivant (1916). L’auteur y reprenait les idées darwiniennes de l’évolution et de la sélection naturelle, en les appliquant aux peuples. La géopolitique prend en effet ses racines au XIXe siècle dans le scientisme (le triomphe du déterminisme) et le darwinisme social.
La géopolitique est une approche assez nouvelle pour les géographes. En effet, pendant longtemps, la géopolitique a été bannie des sciences humaines au profit des « relations internationales » dont s’occupaient les historiens et les politologues. La géopolitique a été conçue, au tournant du XIXe et XXe siècle non pas comme une science objective mais comme un instrument au service de la puissance des Etats et des expansionnismes. Après avoir connue un « âge d’or » au début du XXe siècle, elle s’est trouvée de fait discréditée après 1945 par la défaite des puissances impérialistes. Sa réhabilitation date du début des années 1970, grâce notamment en France à Yves Lacoste.

Histoire des géopolitiques

La géopolitique allemande

La géopolitique allemande est issue d’une vision très nationaliste des rapports entre peuples et territoires, marquée par l’obsession de l’unité du peuple allemand (pangermanisme). L’Allemagne a été unifiée par Bismarck en 1871 mais de nombreuses minorités germaniques restèrent en dehors des frontières allemandes : en Autriche, en Russie ou en Alsace et Lorraine. Quelques grands théoriciens de la géopolitique allemande ont marqué le début du XXe siècle :

  • Friedrich Ratzel (1844-1904) : géographe allemand, il s’intéresse aux relations entre les milieux naturels et les sociétés, ce qui apparaît aujourd’hui comme une vision très déterministe : comment la géographie physique détermine l’histoire des peuples et la politique des Etats. Il est l’auteur de la théorie du lebensraum (« l’espace vital ») pour lesquels les peuples entreraient en concurrence, comme des animaux ou des végétaux chercheraient à étendre leur territoire au détriment d’autres espèces.
  • Rudolf Kjellen (1864-1922) : inventeur du néologisme « géopolitique » dans L’Etat comme être vivant (1916), reprenant les théories darwiniennes pour les appliquer aux peuples, a une vision très biologique des rapports entre Etats.
  • Karl Haushofer (1869-1946) : il s’agit du véritable inventeur de l’école de Geopolitik allemande. Officier et diplomate, il est meurtri par le défaite allemande 1918 et le traité de Versailles. Il lance la première revue de géopolitique en 1923, le Zeitschfrit für Geopolitik. Nationaliste et pan-germaniste, il pense qu’une alliance naturelle doit s’établir entre l’Allemagne et le Japon, peuples revendiquant leur espace vital. Selon lui, les puissances maritimes (Royaume-Uni, Etats-Unis) étouffent les ensembles continentaux et sont les premiers ennemis à abattre.

Ces thèses furent reprises par les nazis, bien qu’Haushofer se soit rapidement démarqué du parti d’Hitler (sa femme était juive et son fils fit parti du clan d’officier qui tenta d’assassiner le Führer en 1944). Après la deuxième guerre mondiale, la géopolitique, apparaissant comme largement associée au nazisme, fut discréditée. Haushofer se suicida en 1946.

La géopolitique anglo-saxonne

A peu près à la même époque que la géopolitique allemande se développa une école de géopolitique anglo-saxonne. Celle-ci était très centrée sur la question du contrôle des mers.

  • Alfred Mahan (1840-1914) : stratège naval américain formé par la guerre de Sécession (1861-1865), il pense que l’histoire de l’humanité est marquée par une opposition séculaire entre puissances maritimes et puissances continentales. Le contrôle des mers est selon Mahan fondamental et assure la domination du monde.
  • Sir Halford MacKinder (1861-1947) : géographe de formation, il publie Le pivot géographique de l’histoire (1904) où il affirme que celui qui tient le cœur (« Heartland ») de l’île-monde constituée de l’Afrique et de l’Eurasie, a vocation à dominer cette île-monde et donc le monde. Ce Heartland correspond grosso-modo à la Russie et est décrit comme une forteresse imprenable protégée par d’immenses territoires de tout agresseur potentiel. Le Rimland (« terres du bord »), périphérie du Heartland, constitué de l’Europe et de l’Asie du Sud et de l’Est, a vocation à résister au Heartland.
  • Nicholas Spykman (1893-1943) : universitaire américain, il complète et critique la vision de MacKinder. Selon lui, le territoire stratégique fondamental n’est pas le Heartland mais le Rimland, anneau des terres autour du Heartland qui donne accès à la mer. « Celui qui domine le Rimland domine l’Eurasie, celui qui domine l’Eurasie tient le destin du monde entre ses mains ». La théorie de Spykman a inspiré la politique du bloc occidental du containment durant la guerre froide (1947-1991) : il s’agissait de contenir la poussée communiste vers les territoires périphériques à l’URSS dans le Rimland.
La géopolitique française

La France, à cette époque, ne développe pas d’école géopolitique. Diverses raisons expliquent ce fait :

  • La géopolitique apparaît alors non pas comme un nouveau discours scientifique mais comme un auxiliaire de l’idéologie nationaliste étroitement lié à l’Allemagne, rivale de la France.
  • La France est un vieil Etat unifié qui n’a pas de problème de frontières et pas de revendications territoriales majeures. La géopolitique ne commença à intéresser les intellectuels français qu’après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871.
  • La politique est alors considérée comme le domaine privilégié des historiens. Lucien Febvre écrit ainsi en 1922 : « Le sol et non l’Etat, voilà ce qui doit retenir le géographe. »

Pourtant il exista malgré tout quelques études géopolitiques françaises au début du XXe siècle :

  • Paul Vidal de la Blache (1845-1918) : considéré comme le fondateur de la géographie française, il montre en 1917 dans son livre La France de l’Est, en se basant sur la géographie traditionnelle, que l’Alsace-Moselle fait partie intégrante de la France et doit lui être réunie.
  • Emmanuel de Martonne (1873-1955) : géographe célèbre de l’entre-deux-guerres, il participe au redécoupage des frontières de l’Europe de l’Est après la première guerre mondiale.
Eclipse et renouveau

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la géopolitique est discréditée, car assimilée au nazisme. La géographie, jusqu’à la fin des années 1960, ne s’occupe plus de politique. Au début des années 1970, elle connaît un petit renouveau sous la dénomination de « géographie politique » ou de « géographie du pouvoir ». La géopolitique est réhabilitée en France grâce notamment à Yves Lacoste (né en 1929) qui publie en 1973 un livre au titre volontairement provocateur : La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Il fonde en 1975 la revue de géopolitique Hérodote où la géopolitique y est définie comme l’étude des « rivalités de pouvoir sur un territoire ». Lacoste s’intéresse particulièrement aux intersections entre les différents ensembles géographiques (physiques, économiques, nationaux, culturels,…), à leurs superpositions, correspondances et discordances,…

La nouvelle géopolitique reste néanmoins plus modeste dans ses objectifs que la géopolitique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : il ne s’agit plus de conseiller les hommes de pouvoir ou de justifier les expansionnismes mais de comprendre des situations de rivalités de pouvoir sur des territoires, avec les acteurs, les enjeux et les dynamiques.

L’analyse géopolitique

La géopolitique analyse l’espace en tant qu’enjeu, elle étudie les rivalités de pouvoir sur un territoire. Pour Stéphane Rosière, il y a trois dimensions principales dans l’analyse géopolitique : les acteurs, les enjeux et les dynamiques territoriales.

Les acteurs

Les Etats sont les acteurs les plus évidents, mais il y a bien d’autres acteurs géopolitiques :

  • Les organismes supra-étatiques : ONU, alliances économiques (ALENA, MERCOSUR,…), politiques (CSCE), militaires (OTAN, Pacte de Varsovie), mixtes (Union Européenne),…
  • Les collectivités territoriales infra-étatiques (de la municipalité à la région).
  • Les entités trans-étatiques, comme les ONG ou les firmes multi-nationales.
  • Les mouvements politiques (partis), parfois révolutionnaires, qui peuvent recourir à la guérilla.
  • Les syndicats.
  • Les mafias.
  • Les mouvements et organisations religieuses : Le Vatican et l’Eglise catholique, les mouvements islamistes, …
  • Les médias qui jouent un rôle dans la formation de l’opinion publique.
  • Les « grands hommes » : politiques, militaires, artistes, intellectuels, dont l’action peut être décisive dans un conflit géopolitique.
Les enjeux

Un territoire peut être désiré parce qu’il a une valeur affective, sacrée (comme la ville de Jérusalem), pour son intérêt stratégique ou économique (par exemple les ressources minières ou pétrolières) ou pour le contrôle de villes, de populations ou d’industries. La question de l’accès à la mer, du contrôle d’un lieu stratégique (montagne, détroit, …), d’encerclements ou d’alliances peuvent aussi intervenir.
Un territoire sera souvent considéré comme « stratégique » pour un Etat pour des raisons qui tiennent plus de la fierté nationale. Le coût (humain, économique et social) de certaines guerres pour défendre ou prendre un territoire dépasse parfois largement le bénéfice à tirer du contrôle de ce territoire (c’est le cas de l’Alsace-Moselle qui contribua de la Grande Guerre).

Les dynamiques

La géopolitique s’intéresse aussi à l’évolution politique et spatiale des territoires (contrairement à la géographie politique qui les analyse plutôt à un moment donné). La géopolitique étudie donc la genèse des Etats, leurs développements, leurs expansions et contractions, et leurs éventuelles disparitions. Les territoires peuvent connaître des phénomènes d’unification (Italie en 1870, Allemagne en 1871), de sécession (l’Erythrée qui se détache de l’Ethiopie en 1993), de balkanisation (atomisation du pouvoir politique).

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