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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Les questions autour des Etats et des nations, des minorités, des nationalismes sont fondamentales en géopolitique. Qu’est-ce que sont les nations ? Comment sont-elles nées ? Comment sont apparus les nationalismes ? Quelles sont les relations entretenues entre les Etats et leurs nations ? Autant de questions essentielles à traiter.

La communauté

De la tribu à la nation

Il existe de nombreuses communautés humaines, très diverses tant par la taille que par la nature :

  • La tribu : il s’agit d’un ensemble humain de taille réduite, où les membres sont liés par des liens de parenté. La tribu est une unité de défense et d’attaque et dispose d’un territoire. Aujourd’hui, à cause de la mondialisation, des mouvements de populations et du brassage culturel, le sentiment d’appartenance tribal a fortement diminué.
  • Le clan : très réduit (davantage que la tribu), il apparaît comme une sorte de famille élargie. Il s’agit souvent d’une faction d’un groupe tribal.
  • Les castes : certaines sociétés sont divisées en castes, définies en fonction des métiers et de l’organisation fonctionnelle de la société. Les statuts sont héréditaires et figés institutionnellement. La société tripartite (noblesse/clergé/tiers état) de l’Europe d’autrefois ou de l’Inde d’aujourd’hui sont des exemples de sociétés fondées sur la division de la population en castes.
  • Les ethnies : à ne pas confondre avec les tribus. L’ethnie se définit par des caractéristiques communes essentiellement culturelles et linguistiques et se fonde sur un sentiment d’appartenance communautaire et de différence par rapport aux autres ethnies. Aujourd’hui, l’ethnie pose des problèmes géopolitiques principalement en Afrique subsaharienne.
  • La race : théorie très en vogue à partir du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, portée par les progrès de la biologie (notamment le darwinisme), elle consiste à classifier l’humanité en différentes races en fonction de critères physiques. La théorie raciste débouche généralement sur une hiérarchie des races : ainsi les aryens constituent la « meilleure » race selon le nazisme. L’idée de race a été discréditée pour des raisons politiques et scientifiques.
  • Le peuple : cette notion est très proche de celle de l’ethnie à un tel point que certains auteurs pensent qu’il est inutile de différencier peuple et ethnie. Il s’agit d’un groupe d’hommes qui partagent des caractéristiques communes (culture, langue, histoire, …).
  • La nation : cette notion apparaît au XVIIIe siècle et est très proche de celle de peuple. Le terme de nation est plus politisé que celui de peuple lui-même plus politisé que celui d’ethnie. La nation est la communauté géopolitique par excellence. La prise de conscience d’une nation aboutit généralement à l’élaboration d’un projet politique : la revendication d’un Etat-nation.
Deux conceptions de la nation

La nation peut être définie comme « un peuple ayant formulé un projet géopolitique » (Stéphane Rosière). Cependant, au delà de cette définition, deux conceptions différentes de la nation s’opposent :

  • La thèse objective, d’origine allemande soutenue notamment par Fichte, Treitschke et Ratzel : la nation est une population ayant des caractères objectifs communs, comme la langue, l’histoire ou la religion.
  • La thèse subjective, d’origine française, défendue par l’abbé Sieyès et Ernest Renan : la nation est un ensemble d’individus unis par des besoins communs et la volonté de vivre ensemble. Cette conception française de la nation a été adoptée par les pays accueillant une forte population immigrante comme les Etats-Unis.

La conception allemande est à l’origine du droit du sang, et la française du droit du sol, en ce qui concerne l’acquisition d’une nationalité.

L’origine des nations : les cas français et allemand

En France, l’Etat a précédé la nation. Le territoire de l’Etat a rassemblé des peuples différents que rien ne prédisposait à vivre ensemble : clivage Nord-Sud entre langue d’Oïl et langue d’Oc, entre influence romaine au Sud et influence germanique au Nord. Outre ce clivage, de nombreuses minorités linguistiques et culturelles : Basques, Bretons, Corses,… Au XIXe siècle, le pays, unifié politiquement par les différentes régimes politiques (monarchie capétienne, républiques et Empires) est loin d’être unifié culturellement : de nombreux Français ne parlent pas la langue nationale mais des patois locaux, et leur horizon ne va pas plus loin que les villages voisins. Au XIXe siècle, le développement de l’instruction publique, la réduction des espaces par les progrès des transports (chemins de fer), le service militaire, vont brasser les populations, développer une culture commune et contribuer à unifier le pays.

En Allemagne, la situation est tout à fait différente de celle de la France. Les Allemands ont acquis depuis longtemps une conscience nationale grâce notamment à l’unité linguistique. Mais ces populations de langue germanique ont été longtemps morcelées politiquement, divisées en petits royaumes, duchés, comtés ou cités-Etats. Le Saint-Empire romain germanique du Moyen Âge, censé unifier tous ces petits Etats, les a laissé quasi-indépendants et libres de leur politique. Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que le mouvement des nationalités aboutisse, sous l’impulsion du chancelier Bismarck, à l’unification politique. Contrairement à la France, en Allemagne, c’est la nation qui a précédé l’Etat.

Au-delà des nations

Outre les nations, il existe aussi des identités supra-nationales qui dépassent le cadre des Etats. Deux exemples illustrent cette situation :

  • L’umma, ou communauté des musulmans : les musulmans en général et islamistes en particulier se reconnaissent davantage dans l’umma que dans les multiples Etats qui fragmentent le monde musulman.
  • L’Europe : les mobilités touristiques ou professionnelles entre les Etats européens, la construction politique européenne, la proximité géographique, etc. sont autant de facteurs qui font que certaines élites se reconnaissent davantage dans l’Europe que dans tel ou tel de ses Etats.

Le nationalisme

Nationalisme et géopolitique

Le nationalisme est une doctrine qui tend à poser le principe de la supériorité de la nation et de ses intérêts avant toute autre considération. Les nationalismes européens ont émergé pendant et après la chute de l’Empire napoléonien et vont devenir l’idéologie dominante aux XIXe et XXe siècles.
Les nationalismes sont le moteur de l’expansion des Etats par trois façons :

  • L’expansionnisme : agrandissement du territoire au détriment des voisins.
  • L’annexionnisme : volonté d’incorporer, de digérer les Etats voisins.
  • L’impérialisme : volonté de dominer un autre Etat (économiquement, par un protectorat, …).

Le nationalisme est à l’origine de dynamiques géopolitiques comme l’irrédentisme qui est la volonté d’un Etat d’annexer un territoire parce que ce territoire est peuplé d’individus qui appartiennent à la même nation que celle de l’Etat revendicateur ; ou le rattachisme qui est la volonté des habitants d’un territoire d’être rattachés à un autre territoire (cas des Chypriotes grecs qui souhaiteraient le rattachement à la Grèce).

De nombreux conflits géopolitiques ont été causés par les nationalismes, notamment la fameuse question de l’Alsace-Moselle qui a opposé l’Allemagne et la France de 1870 à 1945.

Les théories sur la naissance des nationalismes

Deux théories différentes essayent de rendre compte de la naissance des nationalismes :

  • La thèse primordialiste : les nations sont premières, et ce n’est seulement que quand les moyens de communication matérielle et informationnelle sont suffisamment développés que la nation prend conscience d’elle-même et développe des mouvements politiques nationalistes (autonomie nationale, unification nationale,…).
  • La thèse instrumentaliste : le nationalisme serait forgé par les élites qui auraient plus ou moins « fabriqué » les nations par un travail de (re)création du passé, d’uniformisation linguistique et culturelle. Selon cette thèse, ce ne sont pas les nations qui créent les Etats mais les Etats qui créent les nations.

Ces deux thèses sont chacune en partie vraie : les nations ont généralement une existence spontanée, due au fait ethnique notamment, mais il est vrai aussi qu’un travail de construction est opéré par les élites pour unifier les peuples du territoire.

Les nationalismes aujourd’hui
En Europe occidentale

En Europe occidentale, le nationalisme apparaît aujourd’hui discrédité dans la majorité de la population par ses excès passés et la construction européenne. La préoccupation majeure concerne un affrontement d’identités plus large : l’Occident démocratique et libéral face au monde islamique. Cependant, l’Europe voit ressurgir des sentiments identitaires : sentiments d’appartenance à une région (exemple des Corses, des Bretons, des Flamands, des Wallons, des Ecossais) ou à une religion (croissance de l’islamisme, multiplication des sectes), ce qui pose le problème épineux du communautarisme.
Le nationalisme n’a néanmoins pas totalement disparu en Europe occidentale mais a pris d’autres formes. Il ne se focalise plus sur les frontières et les territoires mais porte d’autres revendications :

  • La souveraineté nationalev: refus de la mondialisation de l’économie et opposition au « super-Etat » que constitue l’Union Européenne.
  • L’homogénéité ethnique de la population : refus de l’immigration, du cosmopolisme, du métissage afin de préserver l’identité nationale.
Dans l’ex-bloc de l’Est

Le nationalisme connaît depuis la chute du communisme à l’Est de l’Europe un renouveau qui s’est traduit par la partition de la Tchécoslovaquie en une République tchèque et une Slovaquie, ou encore par l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. La Tchétchénie quant à elle souhaite la sécession à l’égard de la Russie et utilise la violence comme moyen pour atteindre ce but.

Dans les pays du Sud

Dans les pays du Sud, le nationalisme, inspiré du nationalisme européen, s’est développé pendant la décolonisation avec les mouvements indépendantistes (droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Cependant, les Etats décolonisés ont hérité des frontières tracés hâtivement par les colonisateurs européens des XIXe et XXe siècles sans trop se soucier des ensembles ethniques. Un problème se pose : doit-on garder ces frontières « artificielles » et maintenir le status quo ? Ou doit-on redécouper les frontières, ce qui donnerait lieu à des tensions et à des conflits inextricables ?

L’Etat

L’Etat, acteur majeur de la géopolitique

Une bonne partie des rivalités de pouvoir sur des territoires impliquent aujourd’hui des Etats, avec leurs institutions politiques et leurs armées nationales. D’ailleurs, traditionnellement, les relations internationales s’intéressent aux rapports entre les Etats et non pas entre les nations.
Il existe néanmoins d’autres acteurs géopolitiques infra ou supra étatiques : subdivisions administratives des Etats (régions et départements en France), OIG, ONG, Eglises, partis politiques, syndicats, mafias, etc.

Il existe aujourd’hui près de 200 Etats dans le monde mais ceux-ci sont très divers, par leur taille, population, puissance, régimes politiques, relations avec leurs voisins, organisation interne.

Un Etat actuellement domine tous les autres dans tous les domaines : ce sont les Etats-Unis. Plusieurs Etats peuvent être considérés comme des puissances secondaires (Japon, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne, Russie,…) ou régionales (Mexique, Brésil, Afrique du Sud,…). A l’opposé de la puissance, certains Etats n’arrivent même pas à contrôler leur propre territoire dont des régions entières peuvent être dominées par des mafias ou guérilléros. Ce sont les « failed States » (Etats échoués).

Durant les deux derniers siècles, les Etats se sont multipliés. cette dynamique a plusieurs causes :

  • L’éclatement des Empires multinationaux « continentaux » entre 1830 et 1921 sous la pression des mouvements nationaux (recul territorial russe, décomposition de l’Empire ottoman, éclatement de l’Autriche-Hongrie).
  • La décomposition des Empires coloniaux, à la suite de la Seconde Guerre mondiale, qui aboutit à la naissance de nouveaux Etats en Asie d’abord puis en Afrique.
  • Après 1991, la fin du bloc de l’Est en Europe permettant l’apparition de nouveaux Etats, et le démantèlement de l’URSS.

Parallèlement à cette prolifération des Etats on observe une dynamique inverse, celle des intégrations régionales (unions économiques). Pour l’instant, l’Union Européenne représente la structure la plus aboutie de ce mouvement avec des institutions collectives, l’unité monétaire et une législation commune importante.

Les frontières des Etats

Si l’intégration régionale progresse, diminuant l’importance des frontières, dans certaines parties du monde la question des frontières fait l’objet de nombreux conflits. C’est sur les limites (frontières) des Etats que s’expriment souvent les conflits géopolitiques.

La plupart des frontières entre Etats résultent de leurs rapports de force à un certain moment de leur Histoire. La nation de frontière « naturelle » est subjective et plusieurs Etats peuvent revendiquer un territoire pour établir une frontière naturelle. Ainsi, depuis le XVIIe siècle, la vallée du Rhin est considérée par les dirigeants français comme la frontière naturelle de la France. En 1871, les Allemands ont posé comme critère la référence à un modèle culturel, la limite occidentale de l’aire de langue germanique, ce qui a conduit à la perte de l’Alsace-Moselle pour la France.

Les rapports entre Etat et nation
Les Etats-multinationaux

Les Etats-multinationaux peuvent être de deux types :

  • Les Empires : un peuple en domine un autre soumis lors d’une expansion territoriale. Aujourd’hui, la plupart des Empires ont été démembrés, sauf la Chine, où le peuple Han domine les Ouïgours, les Tibétains, les Mongols,…
  • Les Etats-multinationaux « démocratiques » : ces Etats-multinationaux ont souvent une structure fédérale, ce qui permet à chacune des composantes nationales d’avoir une certaine autonomie, ce qui n’empêche pas les conflits internes (entre Flamands et Wallons en Belgique, le problème du Québec au Canada,…).
Les Etats-nations

Modèle d’organisation politique dominant dans le monde entier, l’Etat-nation fait correspondre ses frontières avec la limite de la nation. Deux processus différents peuvent aboutir à la naissance d’un Etat-nation :

  • Une nation sans Etat qui réclame son indépendance ou qui demande l’unification de plusieurs Etats peuplés par des populations se réclamant de la même nation (unification de l’Italie en 1870, de l’Allemagne en 1871).
  • Un Etat sans nation mais qui la forge en fédérant ses différentes populations autour de symboles et de références partagées (unification linguistique, re-création du passé, etc.).
Les Etats sans nation

Il s’agit principalement des Etats africains ou plus généralement des Etats récents et « artificiels ». Cette situation se traduit par de nombreux conflits internes entre de nombreuses ethnies qui cherchent chacune à s’emparer du pouvoir.

Les Etats virtuels supra-nationaux

Certaines unions régionales ou OIG (organisations inter-gouvernementales) finissent par devenir des sortes d’Etat, par transferts successifs de souveraineté. L’exemple même de l’Etat supra-national est l’Union Européenne mais cela pourrait aussi concerner à l’avenir l’ONU.



L’Etat-nation est-il un concept dépassé ? Menacé par les entités supra-nationales (ONU, constructions supra-nationales, umma), par l’affirmation des régionalismes (mise en valeur des particularismes locaux voire volonté d’indépendance) ou encore par la mondialisation (uniformisation culturelle, mondialisation de l’économie,…), l’Etat-nation semble en perte de vitesse. Pourtant les populations semblent attachées à ce modèle, ce dont témoigne la montée de la droite nationale en Europe de l’Ouest (rejet de l’immigration, de la mondialisation, de l’Union Européenne,…) face au démantèlement de l’Etat-nation. Il est encore aujourd’hui difficile de penser dans d’autres cadres politiques.

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