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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La période de l’entre-deux-guerres du point de vue culturel est marquée par les problématiques de la rupture (la Grande Guerre amène des changements) et de la continuité (retour à la Belle Epoque ?). Si la première décennie voit un certain retour à l’ordre et le souhait de jouissances (ce qui vaut le nom d’ « années folles » aux années 1920), les années 1930 sont caractérisée par une atmosphère sombre due à la crise économique, au désordre politique et à la montée des tensions internationales. Un grand nombre d’intellectuels s’engagent pour défendre des positions idéologiques (pacifisme, nationalisme, etc.), notamment pendant les années 1930. La culture de masse, née au tournant du XIXe siècle, s’amplifie et se diffuse dans l’entre-deux-guerres offrant au public des valeurs unificatrices.

L’Etat et la culture

Les débats autour de l’école

L’héritage de la Belle Epoque suscite dans les cercles intellectuels de vifs débats, l’école étant perçue comme un moyen de transformer la société. Le dualisme très fort entre le primaire et le secondaire est ainsi pointé du doigt par le groupe des « compagnons de l’université » qui publie un manifeste pour l’école pour tous (ils militent pour une continuité entre le primaire et le secondaire et pour la formation d’une élite plus large). Un certain nombre de professeurs et de syndicalistes se rallient à ce point de vue comme Ludovic Zoretti ou Léon Brunschvicg mais la réforme de structure est trop ambitieuse financièrement pour être adoptée. En 1926, le gouvernement d’Union nationale atténue la distinction entre le primaire et le secondaire en multipliant les bourses et en instaurant la gratuité des premières années du secondaire (gratuité étendue jusqu’au baccalauréat en 1933). En 1936, le ministre du Front populaire Jean Zay porte l’obligation scolaire de 13 à 14 ans mais se heurte à l’opposition des Chambres sur la question de l’école unique. C’est en 1936 que le ministère de l’Instruction publique est renommé « ministère de l’éducation nationale ».
Au niveau des programmes, les pédagogues estiment qu’entre 1914 et 1918, l’école s’est éloignée de sa mission humaniste et le SNI (syndicat national des instituteurs, principal syndicat de la profession) recommande de refuser les manuels nationalistes. Cette volonté d’apaisement se traduit par l’appel à de nouveaux auteurs comme Charles Vildrac (ami de Barbusse et Duhamel) et par la mise à jour du Petit Lavisse, purgé de ses éléments les plus agressifs. En 1934, lors d’un discours sévère, Pétain reprochera à l’école républicaine d’avoir oublié ses obligations patriotiques.

La question religieuse

La question religieuse s’apaise dès l’après-guerre. La laïcité est maintenue mais la Chambre bleu horizon de 1919 tente de liquider les contentieux liés à la séparation de 1905 : les congrégations qui s’étaient reformées durant la guerre sont maintenues ainsi que le concordat en Alsace et en Moselle. Les relations se rétablissent entre le Vatican et l’Etat français ce que témoigne la canonisation de Jeanne d’Arc en 1920, héroïne nationale de la France. En 1924 malgré tout, le Cartel des gauches tente d’appliquer la laïcité à l’Alsace et la Moselle mais doit reculer face aux protestations très fortes des catholiques français (la question ne réapparaîtra plus par la suite). L’Eglise catholique met en place dès les années 1920 de nouvelles méthodes d’évangélisation : en 1926 est créée la Jeunesse ouvrière chrétienne, en 1929 la Jeunesse agricole chrétienne puis en 1932 la Jeunesse étudiante chrétienne. Le scoutisme, autre forme d’encadrement, se développe dans les années 1920 (100 000 jeunes catholiques y seront passés dans l’entre-deux-guerres). La période est également marquée par un certain nombre d’intellectuels catholiques : François Mauriac, Georges Bernanos, Jacques Maritain, Henri de Lubac et Pierre Teilhard de Chardin.

Vers une politique culturelle

Jusqu’au milieu des années 1930, une conception libérale sur le rôle de l’Etat en matière culturelle prévaut. Il n’existe pas de ministère de la culture mais seulement un secrétariat aux Beaux-Arts dont le rôle est d’intervenir sur les questions du patrimoine et de la vie culturelle. Mais face à l’embrigadement de la culture à des fins de propagande dans les pays totalitaires (URSS, Allemagne nazie, Italie de Mussolini), l’idée d’un contre-modèle démocratique se fait jour. Les socialistes et les communistes soutiennent l’idée d’une popularisation de la culture, celle-ci ne devant pas rester l’apanage d’un groupe de privilégiés. Si le Front populaire ne met pas en place un ministère de la vie culturelle (contre le souhait de Jean Zay), il instaure un sous-secrétariat à la santé publique chargé du sport et des loisirs (confié à Léo Lagrange) qui répond aux congés payés et à la diminution du temps de travail. Un certain nombre d’actes marquent le soutien à la culture : création d’un brevet sportif populaire, création d’une école normale d’éducation physique, création du musée de l’Homme (musée d’ethnographie), aides aux compagnies théâtrales de province.

La montée d’une culture de masse

La presse écrite entre crise et renouvellement

La Belle Epoque avait été l’âge d’or de la presse écrite. Au cours des années 1920, les tirages stagnent et ce média se voit concurrencé par la radio. Le lectorat s’est effondré durant la Grande Guerre et la grande presse, du fait de sa soumission à la censure, sort dévalorisée du conflit. En 1914 on compte 80 quotidiens différents à Paris, en 1924 plus qu’une trentaine. Cinq grands titres s’imposent et encadrent la concurrence en négociant des tarifs privilégiés : le Petit Parisienle Journalle Petit Journalle Matin et l’Echo de Paris. Il est très difficile pour les nouveaux titres de bousculer ce consortium. L’après-guerre voit aussi un renouvellement des genres journalistiques avec notamment le grand reportage marqué par des noms comme Albert Londres ou Joseph Kessel ; et un renouvellement de la présentation en de la conception avec une place plus grande laissée à la photographie, des montages astucieux ou une mise en page originale.

L’émergence de la radio et du cinéma

La radio, mise au point à la fin du XIXe siècle et utilisée à des fins militaires durant la Grande Guerre, devient civile et se répand dans les années 1920. En 1929 on compte 500 000 postes récepteurs en France, vers 1940 environ 5 millions. Alors qu’aux Etats-Unis, les chaînes sont gérées par des entreprises privées et en Angleterre par l’Etat (la BBC détient le monopole), la France choisit le juste milieu avec la coexistence d’un secteur public et d’un secteur privé. Ce nouveau média se veut plus proche du public et offre un nouveau rapport avec l’actualité en couvrant par exemple en direct les grands événements. Le premier homme politique à percevoir l’importance de ce média est Gaston Doumergue qui organise une causerie hebdomadaire radiophonique.

L’exploitation du cinéma a commencé avant la guerre et se généralise après. En 1918, 1400 salles de cinéma se répartissent partout en France ; 1939, elles sont 4000. A la fin des années 1930, le cinéma constitue la première industrie culturelle. Plusieurs grands réalisateurs se distinguent comme Jean Renoir, Marcel Carné ou Jean Grémillon. Entre 1928 et 1932, le cinéma parlant supplante le cinéma muet.

Le renouveau artistique

En peinture et en littérature, la diversité des courants artistiques l’emporte. L’après-guerre voit la percée du mouvement surréaliste porté par André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault. Le mouvement se veut subversif et se caractérise par le rejet de l’art classique, des valeurs bourgeoises et de la guerre. En 1924 est publié le Manifeste du surréalisme qui met en avant le rôle de l’inconscient : les jeux d’écriture comme le cadavre exquis, les calembours, l’utilisation d’objets décontextualisés participent de cette idée. Le surréalisme attire des peintres comme Arp, Dali, Tanguy ou Magritte. Les surréalistes se rapprochent durant un moment du mouvement « dada », qui prend son essor à Paris avec Tristan Tzara vers 1920 et qui a recours à la provocation et à l’absurde. Les dadaïstes mettent en scène par exemple en 1921 un procès fictif de Maurice Barrès, accusé d’avoir abandonné ses idées anarchistes de jeunesse. Les deux mouvements se différencient néanmoins assez vite, le dadaïsme mettant plus l’accent sur l’absurde et se préoccupant moins de politique. A la fin des années 1920, les surréalistes se déchirent pour ou contre le communisme auquel seul Louis Aragon finit par adhérer.

Le rôle croissant des intellectuels

Le paysage intellectuel de l’après-guerre

L’avant-guerre avait été marquée par les deux camps qui s’étaient opposés lors de l’affaire Dreyfus (dreyfusards et antidreyfusards). Après la guerre, ce clivage persiste même s’il s’atténue. Maurice Barrès, figure de proue du nationalisme français, vit ses dernières années de sa vie comme un personnage officiel (il assiste à la signature du traité de Versailles et siège à la tribune officielle le 14 juillet 1919). Il meurt en décembre 1923 et a droit à des obsèques nationales. L’Action française, mouvement nationaliste, monarchiste et chrétien, dont le maître à penser est Charles Maurras, voit son influence se développer (la revue du même nom tire à 150 000 exemplaires en 1918). Le mouvement connaît des sécessions comme celle de Georges Valois qui fonde le Faisceau, accusant l’Action française de rester sur des modèles anciens et de ne pas avoir compris la nouveauté que représente le fascisme. Autre coup dur : l’Action française voit ses relations avec l’Eglise se dégrader au milieu des années 1920 du fait de la priorité qu’accorde Maurras à la politique sur la morale (1927 : excommunication des membres de l’Action française).
A gauche, le parti radical apparaît après la guerre comme le parti de la République, héritier de la Révolution française et de la philosophie des Lumières. Il s’allie aux socialistes en 1924 et en 1936 mais peut gouverner avec la droite libérale (1926). Léon Brunschvicg, qui adhère à la philosophie du parti radical, développe une philosophie basée sur la confiance en le progrès de la raison humaine, refusant de céder au courant de la décadence de l’Occident. Le philosophe Alain (pseudonyme d’Emile-Auguste Chartier) sort renforcée dans son pacifisme de la guerre, jugeant que la guerre est contraire aux principes démocratiques (Mars ou la guerre jugée). Il adhère à la doctrine radicale et sera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale le chef de file du mouvement pacifiste.
Le parti communiste (SFIC), né de la scission avec la SFIO en 1920, exerce une attraction auprès des intellectuels : Anatole France s’en rapproche à la fin de sa vie, Henri Barbusse (auteur de Le feu) y est adhérent ainsi que Louis Aragon à partir du milieu des années 1920.

La question de l’engagement

A partir des années 1920 se pose la question de l’engagement en faveur d’un parti pour un certain nombre d’intellectuels. Julien Benda, proche des milieux dreyfusards, publie La trahison des clercs en 1927 où il estime que les intellectuels perdent leur libre-arbitre lorsqu’ils se mettent au service d’un parti. Benda distingue la haine de classe et la haine de race et juge que l’intellectuel doit s’en tenir à l’écart. Pierre Drieu La Rochelle soutient Benda lors de la parution du livre, jugeant que le rôle de l’intellectuel est celui d’un « gardien de phare ».
D’une façon générale, l’engagement progresse, même parmi les plus réticents , lesquels ne parviennent pas à faire abstraction de leur époque (crise du capitalisme, sociétés totalitaires) : Cocteau signe des appels contre la guerre, Giono se range derrière le pacifisme, Giraudoux manifeste son anxiété face à la montée des périls internationaux dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu (1935).

Les évolutions des années 1930

Les années 1930 sont celles de la crise et de la montée des périls. La SDN ne semble plus en situation de pouvoir maintenir la paix. Les intellectuels se divisent en trois camps : les antifascistes, les propagandistes d’un fascisme à la française et les anticonformistes à la recherche de nouveaux modèles.
En 1932, à l’initiative des communistes est créé l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) puis le Comité de lutte contre la guerre et le fascisme (dit aussi Comité Amsterdam-Pleyel) où se retrouvent Barbusse, Gide et Rolland. Les émeutes du 6 février 1934 provoquent une onde de choc à gauche : le 12 février, les socialistes et les communistes manifestent à Paris, le mouvement antifasciste s’accélère. Le congrès antifasciste de Paris de juin 1935 rassemble un grand nombre de personnalités dont Gide, Aragon, Malraux, Nizan, Giono, Rolland, Mann, Brecht.
Du côté de la droite et de l’extrême droite, Drieu La Rochelle, plutôt proche des milieux radicaux dans les années 1920, s’intéresse aux nouveaux modèles politiques et bascule dans le fascisme après le 6 février 1934. Jacques Doriot, issu des rangs communistes, fonde le Parti populaire français en 1936, mouvement qui se rapproche le plus d’un fascisme à la française.
A côté des antifascistes et des propagandistes d’un fascisme à la française, un troisième camp est celui des « non conformistes » (expression de Daniel Rops, journaliste et éditeur) qui se rassemblent sur la dénonciation du désordre établi (désordre international, économique, politique, intellectuel). Dans ce vaste courant se rangent le mouvement « X crise » composé d’intellectuels issus de Polytechnique proposant de remplacer la république des professeurs et des avocats par la république des experts ; les spiritualistes pour lesquels la crise est révélatrice de l’épuisement de la civilisation occidentale ; et les réalistes partisans d’une politique de modernisation économique et d’une réforme de l’Etat.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale des recompositions s’opèrent : les intellectuels se divisent entre pacifistes (soit pour des raisons idéologiques : Alain, Jean Gionio ; soit pour des raisons pragmatiques : Charles Maurras qui juge que la France n’est pas en état d’affronter une nouvelle guerre) et entre partisans de la fermeté (Emmanuel Mounier, Georges Bernanos, Romain Rolland).

Bibliographie :
Rioux, Jean-Pierre ; Sirinelli, Jean-François. Histoire culturelle de la France – 4. Le temps des masses. Seuil, 2005.
Sirinelli, Jean-François (sous la dir.). La France de 1914 à nos jours. PUF, 2004.

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