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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La France sort traumatisée de la Grande Guerre, qui plombe le pays économiquement, politiquement et démographiquement. Les Français aspirent au retour de la Belle Epoque, considérée comme un âge d’or, en opposition avec la guerre devenue un mal absolu. Le régime montre une bonne capacité d’adaptation et semble inébranlable : la IIIe République se voit attaquée sur sa droite, mais les idées fascistes restent marginales jusqu’à la fin des années 1930. La chute du régime provient de la déroute militaire face au IIIe Reich, due à un réarmement militaire trop tardif et à la non-préparation des esprits à la guerre : le souvenir de l’hécatombe de la Grande Guerre est resté très présent dans les esprits.

La France de l’après-guerre (1919-1931)

Les marques de la guerre

La Grande Guerre constitue un tournant dans l’histoire de la France. Le nombre de militaires disparus est estimé à 1 322 000 de métropolitains (sur 7 900 000 de mobilisés métropolitains, soit 16,7 % de perte). Les troupes coloniales sont légèrement moins touchés proportionnellement à leurs effectifs (71 000 hommes disparus par rapport aux 465 000 transportés en France, soit 15,2 %). En valeur absolue, les pertes ont surtout touché la catégorie des agriculteurs, qui formaient le gros des troupes. En valeur relative, une bonne partie de l’élite intellectuelle est touchée : 7400 instituteurs ont été tués et 41 % des élèves de l’Ecole normale supérieure a disparu. 3 millions d’hommes ont aussi été blessés. Les pertes civiles en revanche ne dépassent pas 40 000 personnes. Ces pertes directes se doublent de pertes indirectes dues au déficit des naissances. Dans presque tous les villages de France, au moins un monument aux morts est élevé qui devient un lieu de rassemblement et de commémoration. La célébration du 11 novembre devient une fête nationale en 1922.
Au niveau économique, les dommages s’élèvent à 34 milliards de francs. 17 000 édifices publics et 565 000 maisons ont été détruits ou endommagés, plus de 2,5 millions d’hectares de terrain agricole doivent être remis en état, ainsi que 62 000 km de route, 5600 km de voies ferrées et 1900 km de canaux. A cela s’ajoute la perte de 23 milliards de francs-or placés à l’étranger (12 milliards sont perdus en Russie après la victoire des bolchéviks, 11 en Autriche, Allemagne et Empire ottoman). Tous les secteurs industriels connaissent une baisse de la production mais la guerre a permis une rationalisation du travail.

Les forces politiques des années 1920

La guerre a conforté le régime républicain qui s’est montré capable de mener une action forte dans un contexte difficile. Pour autant, les clivages traditionnels persistent :

  • La droite contre-révolutionnaire : l’Action française. La Ligue d’Action française a été fondée en 1905 autour de la revue du même nom, apparue en 1899, et qui devient quotidien en 1908. Elle joue un rôle majeur durant l’entre-deux-guerres et bénéficie du prestige de son maître à penser, Charles Maurras. Celui-ci prône une monarchie organisée hiérarchiquement et une nation reposant sur la tradition, la langue et la religion. Ce courant synthétisant royalisme et nationalisme reste faible électoralement mais exerce une forte influence dans le milieu intellectuel.
  • La droite antiparlementaire : les représentants de ce courant sont favorables à un pouvoir autoritaire (mais pas à une dictature). Ce mouvement préfère la démonstration de rue à la voie électorale.
  • La droite parlementaire : elle est issue à l’origine de républicains modérés ayant refusé d’adhérer, en 1899-1900, au Bloc des gauches. Ce courant reste méfiant à l’égard du laïcisme républicain et rejette toute solution étatiste aux problèmes sociaux.
  • Le centre droit : il s’agit des républicains modérés (mais « non modérément républicains » selon la formule de Waldeck-Rousseau) qui n’ont pas hésité à s’unir avec les radicaux et les socialistes dans le Bloc des gauches face au péril nationaliste. Ils sont attachés à la laïcité, refusent l’intervention de l’Etat en matière sociale.
  • Les radicaux : le Parti radical s’identifie au régime d’avant-guerre et est favorable à un renforcement de l’exécutif et à l’intervention accrue de l’État en matière économique. Il recrute essentiellement chez les classes moyennes.
  • Les socialistes : après l’armistice, la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière) se divise sur les questions de la révolution bolchévique et sur l’adhésion à la IIIe Internationale fondée par Lénine en 1919. Le congrès de Tours de décembre 1920 se termine par la scission du parti (création de la SFIC).
  • Les communistes : la SFIC (Section française de l’internationale communiste) naît au congrès de Tours et se rapproche de Moscou. Le parti combine l’action illégale (campagnes anti-coloniales) et légale (élections). Jusqu’en 1924, il est une force politique plus importante que la SFIO.
L’évolution politique

Les législatives de 1919 aboutissent à une éclatante victoire de la droite (le Bloc national), qui emporte 415 sièges sur 616. Les résultats sont marqués par un fort renouvellement du personnel politique (60 % des députés le sont pour la première fois) et une nette présence des anciens combattants (44 %, d’où le surnom de Chambre « bleu horizon » en référence à la couleur des uniformes). En janvier 1920, Paul Deschanel succède à Poincaré à la présidence de la République. Le Bloc national mène une politique de défense sociale (lutte contre les éléments révolutionnaires) et d’apaisement religieux (non-application de la loi de 1905 en Alsace-Lorraine, réconciliation avec le Saint-Siège).
En 1924, ce sont les socialistes alliés aux radicaux (Cartel des gauches) qui remportent les législatives avec 4,5 millions de voix contre 4,2 millions pour la droite. Les 26 communistes élus votent systématiquement contre le Cartel. Le président radical modéré du Sénat, Gaston Doumergue, devient président de la République. Le Cartel annonce vouloir retourner à une politique laïque stricte mais se heurte à une dure opposition qui oblige le gouvernement à reculer sur l’application de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat en Alsace-Lorraine. De même, les congrégations religieuses qui s’étaient reconstituées pendant la Grande Guerre sont maintenues. Par ailleurs, le Cartel ne parvient pas à résoudre la crise financière. Il tombe en juillet 1926 et laisse place à l’Union nationale (1926-1928) dirigée par Poincaré, qui stabilise les finances (dévaluation du franc de 80 %, hausse des impôts indirects).
1928 marque le retour de la droite au pouvoir. Si le premier tour des législatives est favorable à la gauche, le second tour voit le mauvais reports des voix des radicaux sur les socialistes et l’isolement des communistes.

La France en crise (1931-1936)

La crise économique

La crise économique qui débute en 1929 aux Etats-Unis ne touche la France qu’à partir de 1931 même si des signes avant-coureurs se manifestent auparavant (crise du textile dès 1928, crise de l’automobile en 1929, recul de la production à partir de juin 1930). Jusqu’en 1931, les commentateurs présentent la France comme une « île heureuse » préservée de la dépression générale. La désillusion se fait jour fin 1931 avec un net recul de la production industrielle et une progression forte du chômage. Les exportations de juillet-août 1932 ne représentent que la moitié de celles du premier semestre 1929. A partir de 1933, alors que des pays comme les Etats-Unis ou l’Allemagne montrent des signes de reprise, la France s’enfonce davantage dans la crise. Elle n’en sortira pas avant la Seconde Guerre mondiale.

La crise économique atteint les Français avec la baisse du pouvoir d’achat, la montée du chômage et les mesures déflationnistes. Tous les Français ne sont cependant pas touchés de manière égale : les retraités et les pensionnaires voient ainsi en 1931 leur revenu revalorisé. Les catégories les plus gravement touchées sont celles des cultivateurs, petits commerçants et petits industriels (perte de pouvoir d’achat de 20 à 30 %).

La crise politique et morale

Dans ce contexte économique difficile, les forces politiques connaissent des frictions internes, voire des exclusions et scissions. La Fédération républicaine, principal parti de droite, perd sa frange la plus modérée et se droitise (Xavier Vallat, ancien militant de l’Action française, et Philippe Henriot, un antiparlementaire, accèdent tous deux à la vice-présidence). Le parti radical, à l’origine à gauche, évolue vers la droite, se comportant en parti centriste capable de rassembler la plupart des Français.

A la SFIO, la question de la participation au gouvernement avec les radicaux suscitent de houleux débats. Sur le plan stratégique et doctrinal, Marcel Déat, théoricien du parti, défend une solidarité entre le prolétariat et les classes moyennes contre les thèses marxistes traditionnelles. Il se heurte à un certain nombre d’autres cadres, dont Blum. En 1933, Déat et ses partisans sont exclus et fondent avec des dissidents le Parti socialiste de France (qui restera une force politique mineure).

A la marge de ces grandes forces politiques, les ligues antiparlementaires se développent : la ligue des Croix-de-Feu (créée en 1928) du colonel de La Rocque, les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger (à partir de 1924), la Solidarité française de Jean Renaud (à partir de 1933) et le Parti franciste de Marcel Bucard comptabilisent des dizaines de milliers d’adhérents.

Face aux difficultés, les gouvernements successifs paraissent impuissants. En janvier 1934, l’affaire Stavisky (affaire d’escroquerie éclaboussant plusieurs hommes politiques) met le feu aux poudres. Le 6 février 1934, jour où le nouveau gouvernement Daladier doit se présenter devant la Chambre, l’Action française, la Solidarité française, les Jeunesses patriotes et les Croix-de-Feu lancent un appel à manifester. En début de soirée, la manifestation dégénère en émeute devant la Chambre des députés. 15 morts et plus de 1400 blessés sont recensés. Dès le 7 février, Daladier démissionne. La gauche perçoit cette manifestation comme une tentative de renversement de la République (même si ce n’était pas son but initial).

L’évolution politique : vers le Front populaire

Les élections de 1932 voient la victoire nette de la gauche qui obtient 4,9 millions de voix contre 3,8 pour l’ensemble de la droite. Les communistes reculent légèrement (800 000 voix contre 1 million en 1928) tandis que les socialistes progressent (presque 2 millions). Les radicaux se maintiennent (1,8 million). A droite, la Fédération républicaine enregistre un score médiocre (1,2 million) et le centre-droit se maintient (1,3 million). La période est caractérisée par l’instabilité gouvernementale : Edouard Herriot, appelé à former le gouvernement le 10 mai, chute dès décembre sur la question du remboursement des dettes aux Etats-Unis (une grande partie des députés n’admet pas que la France soit contrainte de payer ses dettes à l’égard des Américains alors que l’Allemagne a dû cesser ses paiements). 4 présidents du conseil tentent de former un gouvernement durable de décembre 1932 à janvier 1934. Après les événements de février 1934, l’idée de la nécessité de s’unir face au péril fasciste fait son chemin à gauche. En octobre 1934, le communiste Maurice Thorez appelle à la constitution d’un Front populaire pour « le pain, la paix et la liberté ». Le 14 juillet 1935, Daladier, Blum et Thorez défilent ensemble dans un cortège de 500 000 personnes. Les trois hommes prêtent serment pour l’unité.

La montée des périls (1936-1939)

L’expérience du Front populaire

La victoire du Front populaire est acquise au second tour des élections de 1936, le 3 mai. La gauche ne fait cependant pas un raz-de-marée, le droite ne perdant que 80 000 voix. A l’intérieur de la gauche des reclassements s’opèrent : le parti communiste double ses suffrages (et passe de 10 à 72 députés), la SFIO garde les siens et les radicaux perdent 350 000 voix. Le parti socialiste étant le groupe le plus puissant de la majorité victorieuse, il a vocation à former le gouvernement. Les communistes faisant pourtant partie de l’alliance ne souhaitent pas y participer. Blum ne prend ses fonctions de président du Conseil qu’en juin : entre-temps à lieu une énorme vague de grève traduisant l’impatience du monde ouvrier.

Dès début juin 1936 sont signés les accords Matignon où les patrons s’engagent à augmenter les salaires de 7 à 15 % et à appliquer les lois sociales qui seront votées par la nouvelle Chambre. Le 11 juin sont votés les 15 jours de congés payés à l’unanimité sauf une voix. Le 12 juin est votée la loi limitant à 40 heures la durée hebdomadaire de travail (mesure non prévue dans le programme du Front populaire). Par ailleurs, la scolarité obligatoire est avancée de 13 à 14 ans, un ministère des sports et loisirs est institué, un Office du blé est créé (il vise à limiter la misère paysanne) et une partie de l’industrie de guerre est nationalisée.

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De gauche à droite : Blum, Thorez et Salengro le 14 juillet 1936.

Les difficultés et la chute du Front populaire

Dès juillet 1936 débute la guerre d’Espagne qui voit le camp socialiste se déchirer sur la question de l’intervention militaire. Un Front populaire est au gouvernement en Espagne, ce qui suscite des sympathies idéologiques, mais on craint un embrasement général en Europe. Les socialistes finissent par décider de la non-intervention contre l’avis des communistes. Le Front populaire sort fragilisé de ces débats.

A partir de février 1937, Léon Blum décide de faire « la pause » : il est mis fin aux réformes sociales, ce qui provoque le mécontentement des communistes. Le spectre de la guerre apparaît et les crédits militaires sont débloqués. Sur le plan économique, la politique du Front populaire est un échec, l’augmentation des salaires n’ayant pas amené une augmentation du pouvoir d’achat et la croissance économique ne repartant pas. L’opposition reprend de la vigueur et s’agite : l’extrême-droite se reconstitue et se radicalise, les milieux catholiques se montrent ouvertement hostiles au gouvernement et le patronat prépare sa revanche.
Léon Blum est renversé en juin 1937 par les radicaux qui doutent de sa politique. Le Front populaire dure jusqu’en novembre 1938 mais reste marqué par l’immobilisme et les impasses politiques.

La France face à la menace allemande

En quelques années, Hitler met fin à l’Europe issue du traité de Versailles. En mars 1936, il occupe la zone rhénane démilitarisée, en violation des accords de 1919. La politique de conquête commence en 1938 lors de la réunion de l’Autriche et de l’Allemagne (Anschluss). En septembre 1938 il annexe le territoire des Sudètes, minorité germanophone en Tchécoslovaquie. Ces coups de force ne suscitent guère que des protestations verbales de la part des démocraties européennes. La question des Sudètes aboutit à la conférence de Munich où sont réunis les quatre grandes puissances européennes (Allemagne, Italie, France, Royaume-Uni) qui, en septembre 1938, approuve le rattachement opéré par Hitler. Ce recul « honteux » est dû à la conjonction de plusieurs facteurs : l’impréparation à la guerre de la France, le refus de la Grande-Bretagne de résister par la force, le pacifisme des populations et d’une grande partie des intellectuels (les accords de Munich sont accueillis très favorablement par la presse et l’opinion). Au parti socialiste, les antifascistes et les pacifistes se déchirent. A droite, certains prônent une politique de fermeté tandis que d’autres constatent l’incapacité de la France à mener une guerre offensive.
En mars 1939, Hitler, prenant pour prétexte les tensions entre Tchèques et Slovaques anéantit la République tchécoslovaque en violation des accords de Munich. La France et le Royaume-Uni décident alors de donner leurs garanties à la Pologne, la Roumanie et la Grèce, menacées par l’expansion allemande. Le 18 mars, Daladier obtient l’autorisation de la Chambre de prendre tous les décrets nécessaires à la défense du pays. Le 23 août est signé le pacte de non-agression germano-soviétique. L’invasion de la Pologne par les troupes du IIIe Reich en septembre 1939 entraîne l’entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne.

Bibliographie :
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, Histoire de l’Europe du XIXe au début du XXIe siècle, Paris, Hatier, 2006.
SIRINELLI Jean-François (dir.), La France de 1914 à nos jours, Paris, PUF, 2004.

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