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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le XIXe siècle est le théâtre de changements politiques, sociaux et culturels profonds dans les sociétés européennes. Les Restaurations après la chute de l’Empire napoléonien n’amènent pas un retour complet à l’ordre ancien et peu à peu, les idées libérales s’imposent en Europe de l’Ouest (mise en place de régimes constitutionnels, suffrage universel masculin en 1848 en France). La croissance économique et l’industrialisation accompagnent une urbanisation de plus en plus forte et un recul du monde rural incarnant les valeurs traditionnelles. Plusieurs découvertes scientifiques et mouvements intellectuels bousculent enfin les certitudes religieuses (l’évolutionnisme en biologie). Comment les forces religieuses réagissent-elles face à ce contexte nouveau ?

La coexistence avec la modernité (1815-1850)

Un contexte politique nouveau

Après une période de restructuration sous l’Empire, les forces religieuses se sentent prêtes à se lancer dans une reconquête spirituelle. La Sainte-Alliance du congrès de Vienne s’appuie sur le catholicisme, le protestantisme et l’orthodoxie pour consolider ses forces. En France, l’Eglise catholique parvient à retrouver une partie de sa puissance avec la reconstitution d’ordres anciens (Bénédictins en 1837, Dominicains en 1843) et la mise en place d’ordres nouveaux résolument adaptés à la modernité (Augustins de l’assomption en 1845, congrégation qui officie dans l’enseignement secondaire, les missions d’outre-mer et la presse catholique). En Grande-Bretagne, les catholiques parviennent à se réinsérer dans la communauté nationale (droite de vote en 1829). Du côté du protestantisme, le discours conservateur domine ; ainsi, les protestants prussiens associent renaissance nationale, lutte contre les idées révolutionnaires et réveil religieux. En France en revanche, les protestants adhèrent pleinement à l’héritage de 1789 qui les a réintégré pleinement dans la société.

Des réactions entre modernisation et rejet

Une partie du clergé de la première moitié du XIXe siècle tend à se rapprocher des idées nouvelles. Un catholicisme libéral naît, acceptant les principes de la liberté de conscience, de culte, d’enseignement, la liberté de presse et d’association. Cette ligne idéologique se retrouve en France dans la revue L’Avenir, créée en 1830, dont la devise est « Dieu et liberté ». Le pape condamne cependant ces dérives en 1832 dans l’encyclique Mirari vos.
Le protestantisme quant à lui essaie d’associer la foi et la société moderne : le théologien Friedrich Schleiermacher insiste sur « l’intuition religieuse » dépouillée des dogmes et miracles. Au niveau de l’exégèse biblique, une démarche scientifique se met en place pour aborder les Ecritures saintes dans leur contexte (école de Tübingen).

A l’opposé, une grande partie des catholiques comme Louis Veuillot (directeur du quotidien L’Univers) ou Chateaubriand, ou des théoriciens de la contre-révolution comme Joseph de Maistre ou Louis de Bonald, refusent tout compromis avec la modernité et prônent un retour à un ordre chrétien.

Le temps des incertitudes (1850-1880)

Les attaques de la science contre la foi

A partir des années 1850, le progrès des sciences et des techniques ébranlent certaines certitudes religieuses. En Angleterre, Charles Darwin publie en 1859 L’Origine des espèces où une théorie de l’évolution basée sur le hasard et la sélection naturelle est exposée. Les passions se déchaînent, opposant évolutionnistes (Huxley, Haeckel) et traditionalistes favorables à une interprétation littérale de la Bible. Entre ces deux camps tranchés, quelques rationalistes sont troublés par le principe de la sélection naturelle, aveugle et insensible, qui n’offre aucun fondement à une morale laïque, et quelques croyants tentent d’effectuer une synthèse entre évolution et religion (Edmund Gosse).
En France, le courant positiviste naît avec Auguste Comte, qui condamne la religion à n’être que le premier état des sociétés (les deuxième et troisième états étant l’état métaphysique et l’état positif). Ernest Renan déclare en 1848 que « La science est une religion… elle seul fait résoudre à l’homme ses éternels problèmes ». La science apparaît ainsi comme une religion de substitution. En 1863, la publication de la Vie de Jésus (de Renan) fait scandale : Jésus y est qualifié « d’homme incomparable » mais tous les miracles (qualifiés « légendes ») et la nature divine du Christ sont remis en cause.

La contre-offensive catholique

L’Eglise réagit dans un premier temps en condamnant les idées nouvelles. Le conservateur Pie IX (pape de 1846 à 1878) riposte d’une part avec l’encyclique Quanta Cura accompagnée d’un document annexe, le Syllabus qui énumère un ensemble de propositions condamnées (parmi les idées rejetées : le rationalisme, le naturalisme, le libéralisme, le socialisme, la liberté de conscience et de culte, la franc-maçonnerie,…) ; et d’autre part avec l’ultramontanisme, dont le principe de base est de tout ramener au pape, déclaré infaillible (concile Vatican I en 1870), en l’investissant de la mission de régner sur le monde catholique. Le pape devient une sorte de Christ de substitution qui par sa seule présence physique atteste la vérité des dogmes catholiques. Ce mouvement rencontre un grand succès auprès de la population rurale mais touche peu les élites cultivées.
En Italie, le pape s’oppose au processus d’unification : en 1871 Pie IX excommunie Victor-Emmanuel II pour la prise de Rome et en 1874, en prononçant le non expedit, il interdit aux catholiques italiens de prendre part aux élections.
En France, après 1870, une grande partie de l’Eglise s’engage dans la voie du royalisme, pensant que la France ne redeviendra grande que lorsqu’elle aura mis sur le trône son roi légitime, le comte de Chambord. Les cérémonies collectives sur la voie publique se multiplient, donnant une grande place à la pénitence. Le catholicisme se veut populaire, d’autant plus que dans les années 1870, l’Eglise de France est dotée de l’encadrement clérical le plus fort depuis le début du siècle (220 000 clercs, 50 000 de plus qu’en 1789).

Les Eglises en voie d’adaptation (1880-1914)

Des tensions toujours fortes entre le Saint-Siège et les Etats

La fin du XIXe siècle voit la laïcisation triompher sur le terrain politique. Les fidèles, dans leur grande majorité, s’ils respectent les principes religieux, refusent le droit à l’Eglise de leur dicter leurs choix politiques. En 1877, les Français, pourtant restés largement catholiques, amènent les républicains au pouvoir. En 1881-1882, les lois Ferry rendent l’école gratuite, laïque et obligatoire. En 1901, Waldeck-Rousseau fait voter l’interdiction des congrégations religieuses qui jouent un grand rôle dans l’enseignement, afin de soustraire les écoliers de l’influence de l’Eglise catholique. Dès 1902, plusieurs milliers d’écoles sont fermées. Les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège sont rompues en 1904. L’année suivante est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat.
En Italie, la nation à 99 % catholique se construit paradoxalement contre la pape, et le code Zanardelli de 1890 ne mentionne plus le catholicisme comme religion d’Etat. En Allemagne, dès les lendemains de l’unité, le chancelier Bismarck lance l’offensive contre la minorité catholique : le Kulturkampf (« combat pour la civilisation ») ; de 1871 à 1878, une série de mesures sont adoptées qui visent à réduire les positions catholiques (expulsion des jésuites, limitation du pouvoir des évêques) afin de consolider le nouvel Etat.

Le mouvement d’ouverture et le renouveau spiritualiste

L’avènement de Léon XIII, qui succède à Pie IX en 1878, amène un certain assouplissement de la doctrine catholique. En 1892, le pape appelle les catholiques français à se rallier à la République afin de combattre les lois anticléricales de l’intérieur. Son pontificat est surtout marqué par l’encyclique Rerum Novarum (1891) qui révèle la position de l’Eglise sur la question ouvrière. Le socialisme et le capitalisme sont condamnés tandis que la collaboration entre patrons et ouvriers au sein de corporations est encouragée. Les syndicats catholiques sont autorisés. Du côté protestant, le christianisme social est porté par de nombreuses figures comme le pasteur britannique William Booth (fondateur de l’Armée du Salut en 1865) ou les pasteurs français Tommy Fallot et Wilfred Monod.
L’Eglise catholique porte ses efforts sur les jeunes avec les patronages (encadrement des loisirs) et se rapproche également du mouvement intellectuel (symboliquement, en 1891, Mgr d’Hulst admet lors d’un sermon de carême à Notre-Dame de Paris que la théorie de l’évolution est probablement exacte « avec Dieu à l’origine et au terme »). Si la pratique recule dans l’ensemble de la période, les manifestations de piété populaire connaissent un grand succès (entre 1878 et 1903, 3 millions de pèlerins affluent à Lourdes grâce au train). Les élites aussi sont touchés comme Paul Claudel, Joris-Karl Huysmans ou Charles Péguy qui se convertissent au catholicisme.

Bibliographie :
Waché, Brigitte. Religion et culture en Europe occidentale au XIXe siècle. Belin, 2002.

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