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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Bénéficiant de la découverte de l’Amérique et de l’arrivée de ses métaux précieux dans les ports espagnols, de l’héritage territorial de Charles de Habsbourg et son couronnement impérial, l’Espagne va rentrer pour environ un siècle (1530-1640) dans un âge d’or que l’on nomme le « Siècle d’Or espagnol ». Durant cette période, l’Espagne se trouve être l’Etat le plus puissant du monde.

L’Empire de Charles Quint (1519-1556)

L’élection de 1519

A la mort de l’empereur romain germanique Maximilien Ier de Habsbourg en 1519, trois concurrents sont en lice pour la couronne impériale : le roi d’Espagne Charles de Habsbourg alors âgé de 19 ans, le roi de France François Ier et l’électeur de Saxe Frédéric III.

Né à Gand en 1500, Charles de Habsbourg est un prince bourguignon, fils de Philippe le Beau, qui gouverne le comté de Bourgogne et les Pays-Bas. A la mort de son grand-père maternel, Ferdinand d’Aragon, et à cause de l’incapacité de sa mère, Jeanne la Folle à gouverner, Charles hérite des Espagnes, c’est-à-dire des couronnes de Castille et d’Aragon avec leurs extensions : Grenade, Navarre, Naples, Sicile, Sardaigne et les premières colonies d’Amérique.

Charles hérite aussi des possessions héréditaires des Habsbourg : Autriche, duchés alpins, landgraviat d’Alsace; mais pas de la couronne impériale, qui est élective. L’élection se résume vite à un duel entre François Ier et Charles de Habsbourg, qui emploient tous deux de grands moyens pour s’assurer leur élection en achetant les électeurs. Pensant duper tout le monde, les électeurs choisissent Frédéric de Saxe, qui n’avait que peu de chances d’être élu, mais la menace d’une armée espagnole massée près du lieu de l’élection les amène dès le lendemain, Frédéric ayant décliné le titre, à élire empereur Charles de Habsbourg qui devient Charles Quint (Charles V). Il se trouve ainsi désormais à la tête d’un vaste ensemble territorial, le Saint Empire Romain Germanique.
A 19 ans, Charles gouverne déjà un empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais ». Il se met à rêver d’une monarchie universelle sur la Chrétienté, nourrissant l’ambition de l’unification de l’Europe.

Les difficultés du règne
La révolte des communeros en Espagne

En 1518, lors de son premier voyage dans la péninsule, Charles Quint promet de respecter les libertés aragonaises et castillanes, notamment les pouvoirs des cortès (assemblées où siègent les représentants des trois états, clergé, noblesse et villes). Mais il confie le gouvernement à un Flamand, le cardinal d’Utrecht, homme impopulaire qui accroît la pression fiscale. En 1520 éclate la révolte dite des communeros de Castille qui ne reconnaissent que Jeanne la Folle comme seule souveraine légitime. Mais la grande noblesse écrase l’armée des communeros à Villalar en 1521, rétablissant le pouvoir royal.

De la Réforme protestante à la paix d’Augsbourg

A partir de 1520, l’Allemagne est secouée par la crise religieuse de la Réforme provoquée par les idées de Luther. Très rapidement la crise religieuse devient une crise sociale et politique. Sacré par le pape, Charles Quint ne peut se soustraire à l’obligation de défendre la foi catholique. Il oeuvre dans un premier temps dans un esprit de concorde mais les impasses des Diètes de Spire (1529) et d’Augsbourg (1530) conduisent à la guerre. Les princes protestants s’unissent dans la Ligue de Schmalkalden (1531) autour de Philippe de Hesse. Conscient de la nécessité de réformer l’Eglise, le pape Paul III réunit le Concile de Trente dont la première session se tient en 1545. Les protestants ne reconnaissant pas le concile, l’empereur déclenche les hostilités en 1546 et défait les princes luthériens à Mühlberg (1547). Le roi de France Henri II profite de la situation pour envahir les trois évêchés de Lorraine (Metz, Toul, Verdun) en 1552. Charles Quint doit renoncer à reprendre Metz.
Epuisé par la guerre, l’empereur consent à traiter et reconnaît la liberté de l’exercice du culte réformé avec l’humiliante paix d’Augsbourg (1555) qui impose à chaque Etat la religion de son prince.

La menace turque et les Barbaresques

Se rendant compte de l’impossibilité de gouverner un ensemble aussi vaste et dispersé, Charles Quint délègue les pouvoirs et confie notamment à son frère cadet Ferdinand les domaines autrichiens. Ferdinand est élu roi de Bohême et de Hongrie suite à la mort de son beau-frère le roi Louis II tué à la bataille de Mohacs (1526) contre les Turcs de Suleyman Ier (Suliman le Magnifique). Les Turcs ottomans se lancent à la conquête des Balkans : dès 1521, Belgrade est prise puis la majeure partie de la Hongrie est occupée (dont sa capitale Buda). En 1529, les Turcs mettent le siège devant Vienne et mènent des raids jusqu’en Bavière, semant la terreur dans la Chrétienté. Cependant, Ferdinand repousse victorieusement les Turcs devant Vienne.

Soucieux de préserver la sécurité des côtes espagnoles et de défendre la Chrétienté, Charles Quint intervient aussi contre les Barbaresques d’Afrique du Nord : leurs principaux ports sont occupés (Tlemcen en 1530, Tunis en 1535, bombardement et siège d’Alger en 1541 tenue par le pirate Barberousse), permettant un relatif contrôle de la mer.

L’abdication et le partage de l’Empire

Affaibli par la vieillesse et la goutte, épuisé des voyages incessants à travers l’immense Empire, lassé par les guerres à répétition, déçu par ses échecs, Charles Quint décide non seulement d’abdiquer (1555-56) mais, conscient de l’impossibilité de gouverner un Empire aussi vaste et hétérogène, de diviser l’Empire. Les pays bourguignons, les couronnes d’Aragon, de Castille, de Naples, de Sicile et des Indes sont confiées à son fils Philippe qui deviendra Philippe II, et il renonce à la couronne impériale en faveur de son frère Ferdinand, déjà souverain de la Maison d’Autriche et roi de Bohême et de Hongrie (les électeurs allemands confirmeront ce choix en 1558). Il se retire dans le couvent espagnol de Yuste où il trouve la mort en 1558.

L’Espagne de Philippe II (1556-1598)

Un souverain puissant

Malgré le fait que Charles Quint n’ait légué à son fils en 1556 ni les domaines autrichiens ni la couronne impériale, Philippe II reste néanmoins le souverain le plus puissant d’Europe. La possession des Pays-Bas et de la Franche-Comté lui permet de continuer à menacer la France. Il domine la péninsule italienne puisqu’il y possède au Nord le Milanais et au Sud les royaumes de Naples et de Sicile, son autorité n’étant plus concurrencée par la France. Hors de l’Europe, il est le maître de vastes territoires en Amérique qu’il gouverne par l’intermédiaire des vices-rois.
En 1580, à la mort du roi du Portugal Henri le Cardinal, Philippe II revendique la couronne portugaise et une expédition militaire le met sur le trône. Plus que l’union de la péninsule ibérique, cet acte a pour conséquence l’union des deux plus grands empires coloniaux existants alors. Des tonnes de métaux précieux arrivent depuis 1545 d’Amérique, et prélevant le cinquième de ces trésors, ces revenus permettent au roi de financer ses grandes ambitions ainsi que l’entretien de la plus grande flotte et de la meilleure armée au monde. Toutefois, ces dépenses sont si importantes que malgré une hausse constante des impôts, le roi est acculé à trois reprises à la banqueroute (1557, 1575, 1597).

Roi profondément pieux, prudent, paperassier (contrairement à son père, il ne se déplace que très peu), prenant seul ses décisions, Philippe II est considéré par les Castillans comme celui qui a porté le royaume à l’apogée de sa puissance et de son éclat, le protecteur du « Siècle d’Or » espagnol. Il se pose en défenseur du catholicisme, ce qui explique notamment sa participation à la lutte contre les Turcs (victoire navale de Lépante en 1571) et la tentative d’invasion de l’Angleterre protestante par l’Invincible Armada (1588), laquelle est presque entièrement décimée.

La lutte pour l’Espagne et la Foi
L’Inquisition et l’unification religieuse

Philippe II mettra la religion au service de l’unité politique en tentant d’unifier spirituellement toutes ses possessions. Les dissidences religieuses sont poursuivies sans relâche. L’Inquisition condamne un certain nombre de chrétiens suspects de luthéranisme à l’autodafé. Les conversos, juifs convertis au christianisme pour échapper à l’expulsion, que l’on soupçonne de continuer à pratiquer des rites judaïsants, sont aussi victimes de l’Inquisition. Il en va de même pour les morisques, musulmans convertis pour ne pas être exilés mais qui restent fidèles à nombreux usages islamiques. Philippe II décide d’interdire l’usage de la langue arabe et du costume traditionnel. Ces mesures provoquent un soulèvement d’abord à Grenade (1568) qui n’est que difficilement réprimé par don Juan d’Autriche, demi-frère du roi, en 1571. Philippe II décide la dispersion des morisques dans le royaume, pensant ainsi accélérer leur assimilation.

La révolte des Pays-Bas

C’est aux Pays-Bas que Philippe II connaît son plus grave échec. L’accroissement de la pression fiscale associée à la répression religieuse (introduction de l’Inquisition) fait éclater une révolte en 1566 menée par les deux plus grands seigneurs des Pays-Bas, le comte d’Egmont et Guillaume de Nassau, prince d’Orange, qui va ouvrir une longue guerre, s’éternisant et consommant les trésors d’Amérique en frais militaires.

Evolution de l’économie et de la société espagnole

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Séville au XVIe siècle, ville prospère.

Le règne de Philippe II est au coeur de ce qui est appelé le Siècle d’Or espagnol, qui va approximativement des années 1530 aux années 1640. Cette dénomination vaut aussi bien pour l’éclat culturel de la civilisation espagnole (Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Cervantès, Le Greco) que pour sa prospérité économique (jusque vers 1590).
L’économie castillane en particulier, grâce à la croissance démographique, l’arrivée des métaux précieux américains et la hausse des prix, est florissante. L’industrie drapière y est en plein essor et exporte dans l’Europe du Nord-Ouest. L’élevage de moutons, l’industrie des armes et bijoux, des meubles et des cuirs, constituent d’autres grandes richesses.

Néanmoins, la société espagnole se replie sur elle-même, se fermant aux apports extérieurs. La notion de « pureté de sang » se généralise. La mobilité sociale se réduit. L’Etat et l’Eglise surveillent les imprimeurs et les libraires. Cela n’empêche cependant pas la civilisation du Siècle d’Or de continuer de rayonner sur toute l’Europe.

Le déclin espagnol du XVIIe siècle

La décadence politique

Les souverains qui succèdent à Philippe II dans la première moitié du XVIIe siècle sont des rois débiles et chétifs. Philippe III, qui règne de 1598 à 1621, laisse gouverner le duc de Lerma et une équipe de ministres médiocres. La corruption se développe. Le fait majeur du règne est l’expulsion des morisques (1609-1611).
L’avènement de Philippe IV au pouvoir en 1621, roi physiquement dégénéré, conséquence de nombreux mariages consanguins, se désintéresse des affaires du royaume et laisse son favori (valido) le comte-duc d’Olivarès gouverner. Celui-ci, malgré son intelligence et son énergie ne parvient pas à inverser le processus de décadence de l’Espagne. Il sera renvoyé en 1643 et remplacé par Luis de Haro, homme sans énergie.
Charles II (1661-1700) n’a que 4 ans lors de la mort de son père, aussi est instituée une régence en faveur de sa mère, la reine Marie-Anne, paresseuse et incapable. Charles est déclaré majeur en 1675 et, bien qu’intelligent, son état de santé déplorable (on attend sa mort à tout moment) l’empêche de s’occuper réellement de la politique du royaume. Le comte d’Oropesa, qui occupa la fonction de premier ministre de 1685 à 1690, essaye d’enrayer la décadence de l’Espagne en vain.

L’affaiblissement continuel de l’Etat espagnol s’explique par la personnalité lamentable des souverains mais aussi par des causes plus profondes :

  • L’inachèvement de l’unité nationale (permanence des tendances autonomistes dans les provinces autres que la Castille).
  • Une administration obèse, corrompue et incompétente.
  • La crise de l’économie et de la société.
Une société en crise
Crise économique

La crise débute avec la baisse de l’arrivée des métaux précieux d’Amérique (due notamment au développement de la piraterie) vers 1600. Mais aussi, l’afflux de l’or et de l’argent américain au cours du XVIe siècle a en quelque sorte « stérilisé » l’activité industrielle et favorisé l’importation.
L’agriculture rentre en décadence, privilégiant l’élevage ovin à la culture des céréales, obligeant l’Espagne à importer chaque année plus de blé. Une fiscalité excessive et des prix trop élevés (par rapport aux prix étrangers) expliquent également la crise.

Crise démographique

D’environ 8 millions d’habitants en 1600, l’Espagne passe à 6 millions en 1700. Ce véritable effondrement (perte d’1/4 de la population !) s’explique par plusieurs facteurs :

  • L’émigration d’hommes jeunes et actifs vers le Nouveau Monde.
  • L’expulsion des morisques de 1609 à 1611 (près de 275 000).
  • Les épidémies de peste (en particulier celle de 1630) et disettes.
  • Les pertes sur les champs de bataille.
  • Le nombre trop élevé de célibataires (hommes d’Eglise, soldats et marins, domestiques et mendiants).
Le dépeçage des territoires

La guerre contre les Provinces-Unies (les Pays-Bas), qui a ruiné les caisses de l’Etat, tourne à l’avantage des révoltés et se termine en 1621 par l’indépendance.
Le Portugal, annexé à l’Espagne depuis 1580, supporte mal la perte de son autonomie et surtout la perte d’une grande partie de ses colonies dont les Hollandais s’emparent lors de la guerre contre l’Espagne. L’augmentation de la pression fiscale est l’étincelle qui fait exploser la poudrière : en 1640 les Portugais décident de faire sécession par les armes. En 1641, soutenu par le clergé et une grande partie de la noblesse, Jean IV est proclamé roi du Portugal. Une guerre de 27 ans commence entre l’Espagne et le Portugal redevenu indépendant. La victoire décisive portugaise à Villa-Viçosa (1665) force les Espagnols à reconnaître l’indépendance portugaise (traité de Lisbonne de 1668).
Au Portugal et aux Pays-Bas s’ajoutent la perte de l’Artois, de la Franche-Comté, du Roussillon,… Le bilan territorial est lourd.



Après 1600, l’Espagne rentre dans une période de décadence marquée par des rois incompétents qui laissent gouverner les validos, une chute brutale de l’arrivée des métaux précieux d’Amérique et la crise économique qui en résulte, un déclin démographique et un dépeçage territorial. Le Siècle d’Or espagnol prend fin aux alentours de 1640. Au XVIIIe siècle, l’Espagne aura perdu toute son influence tant en Europe que dans le reste du monde.

Bibliographie :
LEBRUN François, L’Europe et le monde. XVIe-XVIIIe siècle, Armand Colin, 2002.
Berstein Serge ; Milza, Pierre. États et identité européenne. XIVe siècle-1815 (Tome 3), Hatier, 1994.
HÉLIE Jérôme, Petit atlas historique des Temps modernes, Armand Colin, 2004.

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