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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Les derniers siècles du Moyen Âge jettent les bases d’un contexte politique nouveau. Tandis que les puissances à vocation universaliste (Empire, théocratie pontificale) s’effacent, les monarchies nationales montent en puissance. Dans les pays d’Europe occidentale naît un certain sentiment national du fait de l’identification des peuples à leur roi, processus accéléré par les guerres. Parallèlement, la centralisation progresse et les institutions se perfectionnent, permettant au monarque de contrôler de vastes ensembles territoriaux.

La naissance des monarchies nationales

L’effacement des pouvoirs universalistes

A la fin du Moyen-Âge, le régime monarchique paraît être le meilleur possible du fait de la conception organique de l’Etat qui prévaut à l’époque (« un corps, donc une seule tête »). Deux pouvoirs se voulant supérieurs aux autres ont pendant plusieurs siècles menacé la souveraineté royale : celui de l’empereur et celui du pape. En France, où la féodalité a profondément marqué la société, deux ordonnances royales (1303, 1314) affirment que le roi de France ne peut pas faire hommage à un pouvoir extérieur. Quel que soit sa faiblesse territoriale, le roi de France n’est le vassal de personne. A l’empereur germanique, le roi de France répond qu’il est « empereur dans son royaume ». Face au pape, le roi de France manie l’opinion publique et n’hésite pas à recourir à des moyens « directs » pour montrer que le temps où le pouvoir laïc craignait les papes est passé (attentat d’Anagni : en 1303, à Anagni, un envoyé du roi Philippe IV le Bel aurait giflé Boniface VIII, qui prétendait disposer des trônes). D’autre part, des intellectuels comme Guillaume d’Ockam (Dialogus, 1340) ou Marsile de Padoue (Defensor pacis, 1324) n’hésitent plus à critiquer les ambitions temporelles du pape, lequel est relégué dans ses strictes fonctions spirituelles.

Une construction idéologique

Une des composantes du pouvoir monarchique est son aspect mystique, divin. Le sacre, qui accompagne le couronnement, s’inscrit dans un cadre religieux par l’onction du saint chrême (par l’archevêque de Reims en France, à Aix – parfois Mayence – en Allemagne). Le roi se voit doté de pouvoirs surnaturels, les pouvoirs thaumaturgiques (guérison des écrouelles en France et en Angleterre), et est l’objet d’une vénération populaire. L’origine divine du pouvoir se manifeste par la mise en place d’une véritable « religion royale » marquée par l’alliance entre l’Eglise et l’idée monarchique et le culte de saints protecteurs du royaume (saint Jacques en Espagne, saint Denis en France, saint Maurice en Germanie).

Les notions de continuité monarchique et de « sang royal » s’imposent. Le pouvoir n’est jamais vacant : les juristes français parlent de l’ « indisponibilité de la Couronne » illustrée par la formule « Le roi est mort, vive le roi ». En France, cette idée est soutenue dans le Moyen Âge central par une remarquable stabilité dynastique : de 987 à 1328, le roi dispose à chaque fois d’un enfant mâle à qui léguer la Couronne (c’est le « miracle capétien »).

Les progrès de la centralisation

A l’échelon central, depuis le XIIIe siècle, les services se spécialisent. En France, le tournant se situe sous les règnes de Philippe Auguste et Louis IX. Les grands corps de l’Etat apparaissent : le Conseil, la Cour des pairs (constitué de grands vassaux, juges des causes féodales), le Parlement de Paris (fonction judiciaire) puis les Parlements de province au XVe, et la Chambre des Comptes (contrôle des finances). En Angleterre, la justice est confiée au Banc du roi, à la Cour des plaids communs et à la Chambre étoilée (pour les crimes politiques). Les finances anglaises sont contrôlées par l’Echiquier.

Au niveau local, le nombre d’agents royaux augmente et leur formation est améliorée. En France, les baillis (dans le Nord) ou les sénéchaux (dans le Sud) voient leur autorité s’étendre au-delà du domaine royal. Ils sont assistés par des recevaux pour les finances et des capitaines pour les affaires militaires. En Angleterre, le roi bénéficie de la faiblesse relative des particularismes locaux. Dans le cadre traditionnel des comtés, divisés en centaines, les membres de la petite aristocratie locale (la gentry) remplissent les fonctions de sheriff (collecteur des revenus royaux), de coroner (officier de la Couronne, enquêteur), d’escheator (gestionnaire des biens de la Couronne).

La centralisation demeure néanmoins insuffisante. Le nombre d’agents royaux, bien qu’allant en croissant, reste modeste, et ces agents ne sont pas toujours bien contrôlés. Les délais entre les prises de décision et l’application restent très importants. Aussi, les villes, les princes et les assemblées représentatives (cortes en Espagne) constituent des freins au mouvement centralisateur.

Les malheurs du temps

Le retour des famines

Au milieu du XIVe siècle apparaît le « petit âge glaciaire » qui va perdurer jusqu’au milieu du XIXe siècle. Le climat est moins propice aux cultures : les hivers rigoureux gèlent les semences alors que les étés pluvieux pourrissent les récoltes. De grandes famines réapparaissent en Europe alors que le continent en avait été à peu près épargné durant trois siècles : 1315-1317 en Europe du Nord et de l’Ouest, 1346-1347 en Europe méridionale, 1437-1438 et 1480-1482 en Europe septentrionale. Les transferts de produits alimentaires n’étant pas possible d’une région à une autre, la mortalité est considérable. La famine est sélective, les pauvres sont touchés en premier. Les difficultés d’approvisionnement entraînent une montée des prix du grain et la spéculation des riches, malgré les efforts des autorités qui tentent de maintenir un prix raisonnable et de trouver d’autres sources d’approvisionnements.

Les ravages de la peste

Lorsque la peste arrive en Europe en 1347 par le biais d’un bateau génois, elle rencontre des organismes affaiblis par une sous-alimentation chronique. Sa propagation fulgurante s’explique par les déplacements du rat, transportant le bacille et vivant alors près des hommes. La maladie gagne toutes les régions d’Europe par le biais des grandes voies de communication (marchands, fuyards, armées en campagne). L’homme est atteint soit par une piqûre de la puce contenant le bacille de la peste soit par la voie pulmonaire (contagion aérienne). La peste se manifeste essentiellement sous deux formes :

  • La peste bubonique : à la suite de la piqûre de la puce, des plaques noires se forment à la surface de la peau puis un bubon à l’aine ou aux aisselles. La mort survient dans un intervalle de trois jours à quatre semaines, seuls 10 à 20 % des malades guérissent.
  • La peste pneumonique : par contagion, les poumons sont infectés et la mort survient en moins de trois jours.

De 1347 à 1350, la peste frappe violemment les populations européennes : c’est la « peste noire » qui fait succomber entre un quart et un tiers de la population européenne. Après une période d’accalmie, elle revient sous la forme de cycles réguliers moins meurtriers (retours de peste). Si les contemporains ont analysé le phénomène et décrit les symptômes de la maladie, ils sont incapables de voir le rôle essentiel du rat. La croyance en une origine divine de la peste (punition de Dieu) entraîne des processions et l’apparition de flagellants. L’émotion engendrée par l’hécatombe se matérialise dans l’art avec les danses macabres, où l’on voit sous la forme d’une frise un mort emporter par la main un représentant d’un corps de la société (la peste n’épargne personne).

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Une danse macabre (miniature du XVe).

Des guerres permanentes

A la fin du Moyen Âge, les guerres deviennent plus meurtrières non seulement pour les soldats mais aussi pour les « civils ». Si l’on cherche toujours à capturer des ennemis pour des rançons, les combats gagnent en violence. Les forteresses prises d’assaut sont incendiées et ses habitants passés au fil de l’épée. Les armées en campagne brûlent les récoltes, prennent le bétail, s’attaquent aux bâtiments. Aussi, le coût de la guerre pour les belligérants accroît la fiscalité des Etats concernés : en France, le roi Charles V, dans les années 1369-1380, laisse le pays exsangue, ce qui provoque des révoltes de 1378 à 1383. Enfin, faute d’une armée de professionnels permanente, durant les trêves, les soldats sans emploi (routiers ou écorcheurs) n’hésitent pas à mener des pillages pour gagner leur pain.

Guerres et bouleversements politiques

Le déclin du Saint Empire Romain Germanique

Aux XIVe et XVe siècles, l’Empire perd une grande partie de son prestige. La longue lutte contre la papauté l’a durablement épuisé. Les moyens dont dispose l’empereur sont réduits (finances et administration). Les princes d’Empire sont plus de 300 mais quelques-uns seulement sont puissants et fondent de véritables Etats. En 1356, l’empereur Charles IV de Luxembourg (1347-1378) promulgue la Bulle d’Or qui réorganise l’Empire. Désormais l’empereur doit être élu par sept grands électeurs égaux : les archevêques de Mayence, Cologne et Trêves, le roi de Bohême, le margrave de Brandebourg, le duc de Saxe-Wittenberg et le comte palatin du Rhin. Malgré ce système nouveau, l’Empire ne reprend pas sa place prédominante en Occident. Son influence s’estompe en Italie du Nord et les territoires occidentaux sont convoités par la France et les Etats bourguignons. La Bohême se révolte en 1419 et la poussée turque se montre de plus en plus menaçante. La puissance germanique s’efface au profit des monarchies nationales (France, Angleterre, Espagne).

La guerre de Cent Ans

A l’origine de la guerre de Cent Ans se trouve une querelle dynastique. Après la mort de Charles IV en 1328, dernier Capétien direct sans héritier, Edouard III d’Angleterre (1327-1377), petit-fils de Philippe IV le Bel (1285-1314) par sa mère, se voit écarté de la Couronne par la récente exclusion des femmes (« loi salique »). Le cousin de Charles IV, Philippe VI de Valois (1328-1350), monte sur le trône et inaugure une nouvelle dynastie. Le roi d’Angleterre, de son côté, doit rendre hommage au roi de France pour ses possessions en Guyenne, en se mettant à genoux, situation jugée humiliante. En 1337, Edouard III décide de faire valoir ses droits sur la Couronne et remet en cause la légitimité de Philippe VI. Il rompt l’hommage et se proclame roi de France.

Commence alors la guerre, qui est d’abord marquée par des succès anglais : la flotte française est détruite dans le port de L’Ecluse (1340), les archers anglais déciment la chevalerie française à Crécy (1346), Calais est capturé en 1347. La peste noire impose aux deux pays plusieurs trêves. Le conflit reprend en 1355 : le fils d’Edouard III, surnommé le Prince noir, prend Bordeaux et remporte la grande victoire de Poitiers (1356) où il capture le roi de France Jean II le Bon. En 1360 est conclut le traité de Brétigny-Calais, très favorable aux Anglais. La France reprend l’initiative avec Charles V (1364-1380) et son connétable Bertrand du Guesclin, lequel reprend de nombreux territoires. Les deux royaumes concluent une longue période de trêve.
L’avènement d’Henri V (1413-1422) réenclenche le conflit. Profitant de la guerre civile en France (armagnacs contre bourguignons) et de la folie de Charles VI (1380-1422), il remporte l’écrasante victoire d’Azincourt (1415) et impose le traité de Troyes (1420) qui le reconnaît héritier du trône et déshérite le futur Charles VII (1422-1461). Quand Charles VI meurt, le Nord et l’Ouest de la France sont occupés par les Anglais et leurs alliés Bourguignons. Charles VII, qui contrôle le sud de la Loire, n’est rien d’autre que le « petit roi de Bourges ». En 1428, les Anglais mettent le siège devant Orléans, dernière place forte tenue par Charles VII sur la Loire. A ce moment intervient Jeanne d’Arc qui, à la tête d’une armée, délivre Orléans (1429) et obtient l’écrasante victoire de Patay. Le sacre à Reims de Charles VII renforce sa légitimité. La capture de Jeanne devant Compiègne puis son supplice (1431) n’empêche pas la poursuite de la dynamique française. La ville de Paris est reprise en 1436, puis les victoires de Formigny (1450) et de Castillon (1453) achèvent le redressement français. Bien qu’aucun traité n’y mette officiellement fin, la guerre de Cent Ans est terminée.

La péninsule ibérique et la fin de la Reconquista

A la fin du XIIIe siècle, la Reconquista est presque achevée : seul subsiste le royaume musulman de Grenade, en haute Andalousie. La peste noire du XIVe siècle et la division entre les Etats chrétiens donnent un temps de répit à ce royaume menacé. Ce n’est qu’avec les « Rois Catholiques » Ferdinand d’Aragon (1474-1516) et Isabelle de Castille (1474-1504) que reprend la reconquête. Le mariage du roi et de la reine unit les deux Couronnes castillane et aragonaise. Grenade est finalement assiégée et prise en 1492. Les musulmans étant chassés de la péninsule, les rois espagnols peuvent regarder vers des horizons plus lointains : la même année, le navigateur Christophe Colomb découvre l’Amérique.

Bibliographie :
BALARD Michel, GENÊT Jean-Philippe, ROUCHE Michel, Le Moyen Âge en Occident, Paris, Hachette supérieur, 1999.
BERSTEIN Serge, MILZA, Pierre, De l’Empire romain à l’Europe. Ve-XIVe siècle, tome 2, Paris, Hatier, 1995.
HEERS Jacques, Précis d’histoire du Moyen Âge, Paris, PUF, 1990.

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