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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La chute de l’Empire romain d’Occident par le fait des invasions barbares et surtout le sac de Rome (476) par Odoacre est présenté en Histoire comme une césure entre le monde ancien et le Moyen-Âge. Cette partition a cependant été contestée : elle conduit à ignorer le maintien de l’Empire romain en Orient et la reconquête de la presque totalité de l’Italie, d’une partie de l’Espagne et de l’Afrique sous Justinien. « Byzance » est par ailleurs une dénomination moderne; en effet, les Byzantins n’ont jamais cessé de s’appeler « Romains ».

La consolidation impériale en Orient

La Tétrarchie de Dioclétien et l’unification de Constantin

Au IIIe siècle, l’empereur Dioclétien établit ce qu’on appelle la tétrachie, c’est-à-dire le dédoublement de l’institution impériale. Deux empereurs, appelés « Auguste », se partagent désormais l’Empire (divisé entre Orient et Occident) et sont dédoublés par deux empereurs subalternes : les « César », afin de mieux défendre les frontières, attaquées de toutes parts. Pour la première fois apparaît l’idée de séparation, cependant l’unité est conservée (l’ensemble ne forme qu’un unique Empire).
Ce système sombre dans l’anarchie : les empereurs se querellent et les César cherchent à devenir Auguste.

En 306, Constantin est nommé Auguste par les troupes de son père, à la mort de ce dernier. En octobre 312, il s’empare de l’Empire d’Occident tout entier après la bataille dite du Pont Milvius contre Maxence son rival, bataille restée célèbre en raison de la vision qu’aurait eue Constantin. Selon Eusèbe de Césarée, en plein midi, Constantin aurait vu une croix lumineuse, accompagnée d’une inscription signifiant : « Par ce signe, tu vaincras ». Sa victoire sur les troupes plus nombreuses de Maxence l’aurait convaincu de l’efficacité de la protection du Dieu des chrétiens. Durant une dizaine d’années, Constantin gouverne l’Occident tandis que Licinius commande l’Orient. Finalement en 324, par sa victoire à Chrysopolis (près du Bosphore), Constantin réunifie l’Empire en devenant son unique empereur.

Constantin décide de créer une nouvelle capitale en Orient, Constantinople (appelée la « Nouvelle Rome »), sur l’ancienne Byzance (nom grec), en 330, à la charnière entre l’Europe et l’Asie.
L’Empire est alors doublement menacé : à l’Est par l’Empire Perse Sassanide ; au Nord, au niveau du Danube (le Limes), par les peuples germaniques.
Sous le règne de Constantin, le christianisme devient la religion privilégiée de l’Empire. Les chrétiens étaient jusqu’à présent mal vus en raison de leur refus de toute violence (donc refus de servir dans l’armée alors que l’Empire est menacé de toutes parts). En 313, l’édit de Milan met fin aux persécutions contre les chrétiens. Constantin se convertira même au christianisme peu avant sa mort. Cette religion est à l’époque en pleine expansion. Elle se veut universelle et permet ainsi d’unifier l’Empire. L’empereur devient le représentant de Dieu sur Terre, ce qui, en lui apportant davantage de légitimité, renforce son pouvoir impérial. La mère de Constantin, Hélène, de religion chrétienne, se rend à Jérusalem et découvre la « vraie » croix. Constantin fait bâtir une Basilique à Jérusalem et une autre à Constantinople. Des théologiens se penchent sur la question de l’impossibilité chrétienne de faire couler le sang ; pour justifier la guerre, Constantin aura recours à l’Ancien Testament.

Echecs dynastiques et consolidation juridique

Jusqu’au Ve siècle, on constate une incapacité impériale à assurer une continuité dynastique. Aucune famille n’arrive à conserver durablement le pouvoir, au contraire l’on voit une alternance d’un petit nombre de familles sur le trône. En 395, Théodose Ier redivise l’Empire. Les lois impériales sont codifiées : le code Théodose de 436 rassemble l’ensemble des lois existantes et constitue le seul cadre législatif qui circule dans l’Empire romain à l’époque. En 529, le code Justinien, qui promulgue de nouvelles lois, ne s’adresse lui qu’à l’Orient. Rédigé en grec (et non en latin), il restera la base juridique de l’Empire Romain d’Orient jusqu’à sa chute au XVe siècle. L’Empire romain d’Occident s’éloigne ainsi progressivement de l’Empire romain d’Orient.

Les transformations de l’institution impériale

La succession impériale repose sur trois fondements : l’armée, le Sénat et le peuple. Ces éléments, hérités de l’Empire romain, demeurent importants dans la désignation de l’empereur. L’armée en particulier joue un rôle décisif, pouvant soutenir un coup d’Etat ou réprimer une guerre civile (comme celle ayant suivi l’assassinat de l’empereur Maurice en 610). Le Sénat (assemblée aristocratique), quant à lui, a été doublé à Constantinople au IVe siècle. Il joue un rôle de confirmation dans la désignation de l’empereur. Parfois, mais cela reste relativement rare, le Sénat met au pouvoir l’un des siens (à l’instar du sénateur Anastase en 491). Le peuple n’intervient pas dans la désignation de l’empereur, il apporte juste son consentement par des acclamations, son rôle étant donc purement symbolique.
L’Eglise apporte sa bénédiction à l’empereur et le couronne ultérieurement. Il n’y a pas de sacrement.

Le pouvoir impérial va de plus en plus évoluer vers une forme de monarchie. L’empereur est, selon le Code Justinien, la « loi vivante ». D’ailleurs, l’empereur finit par être désigné par le terme de « basileus » à connotation monarchique (ce terme désignait les rois grecs).

L’Empire devient chrétien

La victoire du christianisme

L’adoption du christianisme par les empereurs lui donne une impulsion décisive, mais le paganisme résistera longtemps notamment chez les élites intellectuelles. Dès 341, les sacrifices sont prohibés. L’empereur Julien l’Apostat (361-363) essaie de revenir aux pratiques païennes mais tombe face aux Perses. Ses successeurs vont reprendre la lutte contre le paganisme. En 391, Théodose Ier donne au christianisme le statut de religion d’Etat.

Quant aux juifs, ils ne sont pas considérés comme des païens et gardent le droit de pratiquer leur culte, mais au prix de lourdes restrictions : tout prosélytisme leur vaut théoriquement la peine de mort, un juif ne peut pas exercer une autorité sur un chrétien et l’accès aux fonctions publiques lui est interdit. A partir du VIIe siècle, des empereurs comme Héraclius, Léon III ou Basile Ier tentent de convertir les juifs par la force mais sans succès durable.

La christianisation de la société

Les églises se multiplient et le christianisme adopte rapidement une forme populaire. Le culte des saints se répand, rendant le christianisme beaucoup plus présent auprès des populations. Le culte des saints se traduit de deux façons : la multiplication des pèlerinages locaux et la profusion des reliques.
Tout comme le culte des saints, le culte des images pieuses se répand et remplit la même fonction. Il est accompagné de dérives, l’icône devenant peu à peu une relique ou un porte-bonheur. Le phénomène de l’acheiropoïète apparaît, cristallisant la puissance divine dans l’icône (icônes qui pleurent, saignent,…).

Le monachisme est né et s’est développé au cours du IVe siècle en Orient. Il s’agit d’une démarche spirituelle d’ascétisme ayant pour but de se rapprocher de Dieu. Certains de ces ermites adoptent une démarche excentrique tel Syméon l’Ancien (mort en 459) dans la région d’Antioche, qui vécut plusieurs décennies juché sur une colonne de 16 mètres. Ces moines sont très populaires, admirés par une population qui les considère comme des intercesseurs auprès de Dieu et qui en espère des miracles.
Le monachisme va servir de modèle de vie aux Pères de l’Eglise, ces derniers l’ayant défini comme le style de vie le plus louable pour assurer son Salut.
Un autre monachisme, le monachisme cénobitique, établit par Pacôme vers 320 conjugue un ascétisme plus modéré à une vie matérielle commune sous la direction d’un supérieur. Ce type de monachisme connut un grand succès et devint le modèle dominant à partir du VIIIe siècle.
Un dernier monachisme, né en Palestine autour de Sabas, associe les deux formes précédents de monachisme avec le principe de la laure: les moines vivent en ermite la semaine mais partagent un temps de prière commune le samedi et le dimanche.

La formation du dogme

Le Concile de Nicée qui s’est tenu en 325 jette les bases du christianisme et condamne l’arianisme (une hérésie répandue chez les barbares qui pose que le Fils n’est pas consubstantiel au Père). Pourtant, il ne met pas fin aux querelles doctrinales et ouvre la voie aux querelles dites christologiques parce qu’elles portent sur la nature du Christ. Considéré comme l’une des trois personnes de la divinité, le Christ possède une double nature, humaine et divine.
Vers 430, le prêtre Nestorius d’Antioche se met à insister sur la nature humaine du Christ et se heurte à Cyrille d’Alexandrie qui tend à effacer au contraire cette nature (monophysisme). En 431, dans le troisième Concile oecuménique, Nestorius est condamné et exilé. Ses partisans sont persécutés et se réfugient chez les Perses. En 451, au Concile de Chalcédoine, c’est au tour du monophysisme de Cyrille d’être condamné : le Christ est duophysite, c’est une hypostase, une personne avec deux natures. Malgré tout, l’Eglise monophysite subsiste à Alexandrie et reste même très puissante jusque dans l’entourage de l’empereur. Cette doctrine se voit tour à tour persécutée et tolérée. Héraclius tente un compromis avec le monoénergisme mais échoue. En 638, il propose le monothélisme (le Christ était animé d’une seule volonté : divine et humaine) : c’est à nouveau un échec.

Ces querelles théologiques creusent l’écart avec Rome qui reste sur la ligne chalcédonienne. Le problème ne se résoudra finalement qu’avec la perte des provinces orientales de l’Empire où était implantée l’hérésie.

L’Empire d’Orient et les barbares

Les invasions des IV-Ve siècles

La dénomination de barbare, péjorative, désigne les non-civilisés, ceux qui ne parlent pas la langue de l’Empire.

En Orient, l’Empire perse sassanide est le principal ennemi. Au Nord, ce sont les peuplades germaniques qui constituent une menace, les Goths en particulier (Wisigoths et Ostrogoths).
Sur le bord du Danube a été érigée une frontière fortifiée nommée le « limès » constituée d’une série de postes d’observation.
Sous la pression des Huns venus d’Asie, les Goths, à la fois attirés par la civilisation romaine et ses richesses et effrayés par les peuples venant de l’Est, franchissent le Danube. L’Empire opte en premier lieu pour la solution militaire, et envoie une armée à la rencontre des Wisigoths en 378. Elle est battue et l’empereur Valens est même tué au cours de la bataille. L’Empire choisit alors la solution diplomatique et décide de faire des Goths des fédérés : ils ont droit de s’installer dans les territoires de l’Empire mais doivent servir dans l’armée romaine.
Cette décision entraîne une réaction xénophobe de la part des populations. Finalement en 401-402, afin de se débarrasser du problème, l’Empire d’Orient déplace les Wisigoths en Occident. En 410, le roi wisigoth Alaric pille Rome.
Constantinople achète la paix avec les Huns. Ceux-ci se déplacent donc sur l’Empire d’Occident pour mener leurs pillages. Après la mort d’Attila, chef des Huns, la confédération des Huns se disloque.
Les Ostrogoths arrivent ensuite en Thrace : l’empereur d’Orient leur demande alors de reconquérir l’Italie pour son compte. Il se forme ainsi un royaume ostrogoth en Italie.

Reconquête et échecs

Au moment de la prise de pouvoir de Justinien, empereur régnant de 527 à 565, l’Occident est dominé par des royaumes barbares : Ostrogoths en Italie, Francs en Gaule, Wisigoths en Espagne, Vandales en Afrique du Nord,… Pour des raisons religieuses (l’empereur est le missionnaire du christianisme), et pour des considérations économiques (retrouver les meilleures terres productives du bassin de la Méditerranée occidentale), Justinien va tenter de rétablir en partie l’Empire de Constantin.

Profitant d’un trouble dynastique dans le royaume Vandale (usurpation de Gélimer), Justinien envoie un corps expéditionnaire de 15 000 hommes, commandé par le général Bélisaire, en Afrique du Nord. C’est un succès, le territoire étant reconquit en moins d’un an. La rapidité du succès en Afrique encourage Justinien à intervenir dans les affaires des royaumes barbares. Saisissant le prétexte d’une querelle dans la famille royale ostrogothique, Justinien envoie Mundus et Bélisaire reconquérir l’Italie. La résistance est beaucoup plus forte et la conquête dure près de 20 ans, affaiblissant durablement la péninsule (les deux camps utilisent la tactique de la terre brûlée). La majeure partie de l’Italie finit par être rattachée à l’Empire. Puis les Byzantins reprennent pied dans l’Espagne dominée par les Wisigoths en 552, à l’occasion d’une guerre civile, et occupèrent le quart Sud-Est de la péninsule.

Justinien n’a cependant pas mis tous les moyens dans la reconquête : Bélisaire demandant des renforts en Italie doit essuyer le refus de l’empereur ; l’investissement en argent et en hommes pour la reconquête de l’Espagne est bien modeste.

Le résultat de la conquête est néanmoins contrasté. Des fragilités apparaissent rapidement :

  • L’Afrique du Nord reconquise va sombrer dans l’insécurité face aux raids berbères, obligeant les Romains à s’enfermer dans leurs cités.
  • L’Italie ne retrouvera pas sa prospérité d’antan (ainsi Rome est dépeuplée) et va devenir une proie facile pour les barbares, les Lombards ne tardant pas à se lancer à l’assaut de la péninsule.
  • En Orient, l’échec est flagrant: en 540, les Perses attaquent l’Empire, pillant Antioche et obligeant les Romains à signer une paix humiliante (versement d’un tribut à l’Empire Perse).
  • Dans les Balkans, les Avars et les Bulgares lancent des raids et exercent une pression croissante.
Les invasions du VIIe siècle

La dernière tentative militaire pour tenir le limès danubien est l’oeuvre de l’empereur Maurice : elle échoue et l’empereur est assassiné en 602. Le limès s’effondre et en quelques décénnies les Balkans sont submergés par les barbares. En 626, les Avars mettent le siège devant Constantinople. L’Empire Romain est en guerre sur tous les fronts. Les raids des tribus slaves dans les Balkans entraînent l’abandon de villes, détruisant le tissu urbain. Quelques villes cependant tiennent bon à l’instar de Thessalonique. Dans les Balkans, les Grecs reculent, les Latins deviennent marginaux et les Slaves prépondérants.

Profitant des difficultés de l’Empire Romain dans les Balkans, les Perses se lancent eux aussi à l’assaut de l’Empire. Antioche tombe en 610, Jérusalem en 614. A cette occasion, la « vraie » croix découverte par Hélène est emportée. L’Egypte et la Palestine sont occupés. En 626, les Perses abordent le détroit du Bosphore et font face à Constantinople. Une lutte à mort s’engage contre les Perses, le salut venant de l’empereur Héraclius qui remporte une victoire décisive à Ninive en 627. Les Romains finissent donc par dominer les Perses qui sont contraints de signer la paix en 629. L’empereur Héraclius, triomphant, décide de replacer la « vraie » croix à Jérusalem où il fait une entrée solennelle en 630. Pourtant, après ces moments difficiles, l’Empire romain est largement fragilisé. Une nouvelle vague d’invasions, celle des Arabes, portée par la nouvelle foi islamique, va obliger l’Empire ébranlé à reculer jusqu’en Anatolie.

Bibliographie :
Cheynet, Jean-Claude. Byzance. L’Empire romain d’Orient. Armand Colin, 2007.
Ducellier, Alain ; Kaplan, Michel. Byzance. IVe-XVe siècle. Hachette, 2007.

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