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Le boulangisme vu par Jules Ferry


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Modifié : 16/02/2012 à 21h47


Le phénomène que nous avons appelé le boulangisme me semble un fait de génération spontanée : il éclate comme un coup de foudre, en plein Paris, un jour de fêle militaire ; c'est une inspiration du peuple assemblé ; les savants d'aujourd'hui diraient : une autosuggestion de la multitude. Ce peuple est celui de Paris, le plus inflammable, quoique le plus sceptique, le plus gouailleur et, pardonnez-moi cette expression vulgaire, qui rend ma pensée mieux que tout autre, le plus « gobeur » de tous les peuples. Il n'est pas si différent des foules crédules qui ont imposé, en plein dix-neuvième siècle, les supercheries de Lourdes comme miracles authentiques, aux évêques mêmes qui n'en voulaient pas. Il les raille, mais il leur ressemble. Il ne fait pas des miracles, mais il crée des héros. Dans l'un comme dans l'autre cas, la vérité et la vraisemblance importent peu à ces imaginations populaires, courtes et puissantes, naïvement visionnaires, qui ont besoin, à certaines heures de trouble ou d'attente, d'incarner dans une forme vivante leurs passions et leur chimère. C'est ainsi que, dans le monde musulman, surgit de temps en temps, sans raison apparente, un médiateur, un messie, un mahdi ! Il y a du mahdisme, bien plus que du césarisme, au début de cette aventure.
L'intrigue politique n'est venue qu'après. Les partis ont exploité un certain état d'esprit de la multitude : ils se sont appliqués à détourner à leur profit une popularité inattendue, ils ont groupé sous une formule nouvelle leurs haines et leurs espérances ; ils ont enfin trouvé dans le héros des foules un compagnon prêt à tout faire. La révision, la République nationale, le plébiscite, c'est la part des habiles, les uns trompant, les autres trompés. La part du peuple, c'est le cheval noir, l'aigrette du commandement, la légende militaire, le soldat rêvé, attendu depuis vingt ans, le mahdi. On s'expose à ne rien entendre aux péripéties de notre politique intérieure, sous la troisième République, si l'on fait abstraction un seul instant de la deminutio capitis européenne, que les événements de 1870 nous ont infligée.
La France est une nation sage, mais ce n'est pas un peuple résigné. Il semble que de son âme elle ait fait deux parts : c'est son gouvernement qu'elle charge d'être sage, et cette sagesse se traduit par une conduite toujours la même et, l'on peut ajouter la seule possible, puisque c'est celle qu'ont suivie, l'un après l'autre, tous les gouvernements et tous les ministres, y compris ceux où siégeait le général Boulanger.
C'est un parti pris de discrétion et de fermeté, de labeur silencieux et de longue patience. Mais, à côté de cette politique positive et nécessaire que le suffrage universel a vingt fois ratifiée, il subsiste dans les profondeurs de l'âme française des instincts puissants, des regrets et des souvenirs, d'impérissables espérances. A côté du patriotisme rationnel et qui sait attendre, il faut compter avec le patriotisme impatient, celui de la jeunesse et celui des foules, avec le patriotisme irresponsable qui, souvent, fait payer injustement aux sages la prudence dont ils ont la charge.

Paul Robiquet, Discours et opinions de Jules Ferry, Paris, A. Colin, 1898, t. VII, pp. 171-172.





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