En 48, devant le Sénat, l'empereur Claude défendit la possibilité pour les plus notables des Gaulois de citoyenneté romaine de pouvoir accéder au Sénat, comme tout autre citoyen romain. Afin d'appuyer son argumentation et de vaincre les résistances, il insista sur la longue tradition d'ouverture de la citoyenneté romaine, rappelant que d'illustres familles romaines furent étrangères et intégrées.
XXIII. Sous le consulat d'Aulus Vitellius et de Lucius Vipstanus, il fut question de compléter le Sénat, et à cette occasion les principaux habitants de la Gaule Chevelue, depuis longtemps alliés et citoyens de Rome, sollicitaient le droit de pouvoir parvenir aussi aux dignités. Il s'éleva à ce sujet de vives contestations. Plusieurs, devant le prince même, s'y opposèrent avec force : « l'Italie n'était pas épuisée au point de ne pouvoir fournir assez de sujets au Sénat de sa capitale ; jadis, avec les seuls peuples de son sang, Rome y suffisait bien, et certes on n'avait point à se repentir des vieux temps de la république ; on ne parlait encore que des prodiges de gloire et de vertu qui avaient signalé ses murs primitives. N'était-ce point assez que les Vénètes et les Insubriens eussent envahi le Sénat, sans y introduire encore un ramas d'étrangers, comme dans une ville captive ? Quelles prérogatives auraient donc désormais le peu de patriciens qui restaient, et les sénateurs pauvres du Latium ? Ces nouveaux venus avec leurs richesses engloutiraient toutes les places, eux, dont l'aïeul ou le bisaïeul avait été général des nations ennemies, avait taillé en pièces des armées romaines, avait tenu Jules César assiégé dans Alésia : c'étaient là des faits récents ; que serait-ce si l'on rappelait le souvenir de leurs ancêtres, qui de leurs mains avaient renversé le Capitole et les murailles de Rome ? Il fallait sans doute les laisser jouir du titre de citoyens ; mais les décorations sénatoriales, les honneurs de la magistrature, ne devaient point être ainsi prostitués. »
XXIV. Ces raisons, et d'autres semblables, ne firent aucune impression sur le prince ; et, ayant convoqué le Sénat, il y répliqua sur-le-champ en ces termes : « Clausus, le premier de mes ancêtres, était Sabin d'origine ; et, le même jour, il fut admis et parmi les citoyens, et parmi les patriciens de Rome. Cet exemple domestique me dit qu'il faut m'attacher au même plan et transporter dans le Sénat ce que chaque pays aura produit de plus illustre : car je n'ignore point qu'Albe nous a donné les Jules, Camerium les Coruncanius, Tusculum les Porcius, et, sans fouiller dans ces antiquités, que l'Étrurie et la Lucanie, que l'Italie entière, nous ont fourni des sénateurs ; qu'enfin, peu contents d'adopter quelques citoyens isolés, nous avons prolongé l'Italie même jusqu'aux Alpes, afin d'associer les nations et les contrées à la domination romaine. Ce fut une époque de tranquillité profonde au dedans et de gloire au dehors, quand nous allâmes chercher des citoyens au delà du Pô ; quand, pour réparer l'épuisement que causait à l'empire le transport de nos légions sur toute la terre, nous y incorporâmes les plus braves guerriers des provinces. Regrettons-nous d'avoir pris à l'Espagne ses Balbus, et à la Gaule Narbonnaise tant d'hommes non moins illustres ? Leur postérité subsiste encore, et leur amour pour cette patrie ne le cède point au nôtre. Pourquoi Lacédémone et Athènes sont-elles tombées malgré la gloire de leurs armes, sinon pour avoir toujours exclu de leur sein les vaincus, tandis que notre fondateur Romulus, bien plus sage, vit la plupart de ses voisins, le matin ses ennemis, le soir ses concitoyens ? Des étrangers ont régné sur nous ; des fils d'affranchis ont été magistrats ; et ceci ne fut point une innovation, comme on le croit faussement : ce fut un usage fréquent des premiers siècles. Mais les Sénonais nous ont fait la guerre! Apparemment que les Volsques et les Aeques ne nous ont jamais livré de batailles ? Les Gaulois ont pris Rome ; mais nous avons livré des otages aux Toscans, et nous avons subi le joug des Samnites. Encore, si nous parcourons l'histoire de nos guerres, verrons-nous que nulle autre n'a été aussi promptement terminée que la guerre contre les Gaulois. Depuis ce temps, la paix a été solide et constante. Croyez-moi donc, pères conscrits, consommons cette union de deux peuples qui ont des murs, des arts, des alliances communes ; qu'ils nous apportent leur or, plutôt que de l'isoler dans leurs provinces. Ce qu'on croit le plus ancien a été nouveau : Rome prit d'abord ses magistrats parmi les patriciens, puis indistinctement dans le peuple, puis chez les Latins, puis enfin parmi les autres peuples d'Italie. Ceci deviendra ancien à son tour, et ce que nous défendons par des [exemples] en servira [d'exemple] un jour. »
XXV. Le discours du prince fut suivi d'un sénatus-consulte, en vertu duquel le droit de pouvoir entrer dans le sénat de Rome fut conféré d'abord aux Éduens. On accorda cette distinction à l'ancienneté de leur alliance, et à ce qu'ils sont les seuls des Gaulois qui se qualifient de frères du peuple romain.
Tacite, Annales, livre XI, XXIII-XXV. Traduction de J.-B.-J.-R. Dureau de Lamalle, t. I, Paris, Garnier frères, 1866, pp. 327-329.
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