La dislocation de l'Empire carolingien, l'émiettement des royaumes, les attaques des Sarrasins au sud et des Vikings au nord, transforment les cadres politiques en Occident. L'Occident passe d'un système politique centralisé à un système politique divisé entre les mains d'une multitude de seigneurs. Parallèlement, la mise en place des institutions féodales coïncide avec un essor économique et une profonde mutation de la société. Les hommes sont de plus en plus nombreux, en dépit des guerres et des maladies. C'est dans ce cadre général d'expansion générale qu'apparaît la seigneurie et les relations féodo-vassaliques.
Les défrichements débutent dès le VIIIe siècle mais sont interrompus par les invasions hongroises ou normandes vers 900. Ils reprennent durant le Moyen-Âge central avec une plus grande vigueur. Les premières conquêtes sont le fait d'initiatives paysannes spontanées, afin d'agrandir la surface des terres cultivables. Dans un deuxième temps, à partir du milieu du XIe, il s'agit d'entreprises seigneuriales (clercs et laïcs) planifiées. Ces conquêtes se font sur la forêt, les landes, les friches, mais aussi sur les terres humides (marécages) ou la mer (polders en Flandre, sur le delta du Rhône en Camargue).
L'essor démographique est à la fois une cause et une conséquence de l'essor agraire. L'accroissement des hommes se mesure mal en l'absence de sources suffisamment précises et nombreuses; néanmoins, l'observation des cimetières de l'époque met en évidence l'allongement de la durée de vie, et la fractionnement des manses indique de plus nombreuses familles. La population européenne aurait été multipliée par deux entre le Xe et le XIIIe siècle (20 à 40 millions d'habitants vers l'an mille, 50 à 60 millions vers 1250). La France serait passée de 5 à 9 millions d'habitants entre la fin du Xe siècle et la fin du XIIe.
La période se manifeste par un phénomène de regroupement de l'habitat, le village devenant le cadre général de la population rurale. Ces regroupements sont, soit spontanés et motivés par la recherche de protection, soit encadrés par les seigneurs pour un meilleur contrôle de la population. Ils se font autour d'éléments stables : une église (village ecclesial), un cimetière, une abbaye (bourg abbatial), un château (castrum, castelnau ou bourg castral), un marché (bastide).
La seigneurie est la structure d'encadrement général des populations à partir du XIe siècle. Les historiens distinguent pour des raisons de facilité ce qui relève de la seigneurie foncière (propriété des terres) et de la seigneurie banale (pouvoir) mais ces deux types de seigneurie sont indissociables dans la société féodale. La seigneurie foncière ne peut être comprise qu'en lien avec la seigneurie banale.
Durant le haut Moyen Âge, de nombreux petits paysans sont propriétaires de leurs terres. L'alleu est une terre dont le paysan dispose de la propriété pleine et entière, héritée des ancêtres. A partir du XIe siècle, le nombre d'alleux paysans régresse, même s'ils continuent à représenter une part non négligeable des terroirs dans la région de la Meuse, en Artois, Hainaut, Flandre, dans les pays du Midi, en Provence ou dans le Languedoc.
Les grandes propriétés seigneuriales, laïques et ecclésiastiques, se renforcent par la conquête de nouveaux domaines ou la confiscation d'alleux. Ces grands domaines, différents des villae des polyptiques du Haut Moyen-Âge, ne sont généralement pas d'un seul tenant, pas d'un seul bloc. Chaque seigneur a un grand nombre de tenanciers qui cultivent son domaine (la réserve en exploitation directe est relativement peu importante) et chaque paysan peut avoir plusieurs seigneurs pour les différentes parcelles cultivées.
L'aristocratie opère une ponction sur les fruits du travail paysan, en vertu de sa possession de la terre (la rente seigneuriale). Les redevances foncières se divisent en deux catégories : proportionnelles ou fixes. Les redevances fixes sont payées en nature (blé, vin, etc.) ou en argent (le cens). Les redevances proportionnelles sont payées en nature (champart, parfois terrage, tasque, quint, quart, moitié). Sur toutes les terres est payée la dîme, redevance proportionnelle à 1/10 de la production, revenant normalement à l'Eglise mais souvent accaparée par le seigneur. Bien qu'en diminution, les corvées subsistent (redevance en travail) : labour, moisson, vendange, etc.
A ces redevances dues tous les ans s'ajoutent des redevances casuelles : droits d'entrée sur une tenure au moment de la conclusion du contrat, droits payés à la mort du tenancier ou du seigneur (relief), droits payés lors de la vente ou de la mise en gage de sa tenure par le paysan (lods et ventes).
Le ban est un pouvoir de coercition, de commande et de contrainte, hérité du pouvoir royal du haut Moyen Âge, qui a été accaparé par les seigneurs et ecclésiastiques. Ces seigneurs s'arrogent localement le droit de fortification (mottes, tours, châteaux), la fonction militaire (le seigneur s'entoure de milites, hommes d'armes), la fiscalité locale (péages, droit de marché), la fonction judiciaire sur les paysans. La seigneurie banale est faible ou inexistante dans les contrées où les rois ont su garder un pouvoir fort, comme en Angleterre, Normandie ou Flandre.
Le prélèvement banal sur les paysans est de plusieurs ordres :
Les paysans voient apparaître également de nouvelles impositions (« nouvelles coutumes » ou « mauvaises coutumes »), imposées par la force, parfois justifiées par le prix de la protection du seigneur (tolte en France du nord, tolte ou queste dans le Midi, forcia en Catalogne); et se voient assujettis à des monopoles ou banalités : les seigneurs construisent des fours, moulins, pressoirs, forges et imposent aux paysans de les utiliser contre redevance. Le seigneur peut aussi s'assurer du monopole de la vente du vin pendant une certaine période (le banvin).
Les liens féodo-vassaliques régissent les rapports internes à la classe aristocratique, ils désignent un système hiérarchique d'homme à homme dont le fief est la base matérielle.
La vassalité désigne l'aspect personnel de la relation entre le vassal et le suzerain. Il s'agit d'un lien privé, un lien de clientèle qui créé des solidarités. Ce lien a été très utilisé par les souverains carolingiens pour renforcer la fidélité de leurs agents. L'entrée en vassalité s'exécute en deux étapes : l'hommage et le serment. Au XIIe siècle, le rituel est à peu près fixé : le futur vassal s'agenouille, place ses mains jointes dans celles du seigneur (immixtio manuum), se relève et échange avec son suzerain le « baiser de paix » qui clôt le contrat et symbolise un lien charnel. Après quoi peut se dérouler la cérémonie du serment : le vassal promet fidélité sur les Evangiles ou une relique, donnant à l'engagement un caractère sacré (Dieu en est témoin).
La vassalité créé des obligations réciproques : le suzerain doit protéger le vassal, le vassal doit aider le suzerain. Le vassal promet de ne porter atteinte ni aux biens ni au corps de son suzerain et promet aide et conseil (auxilium et consilium). De son côté le suzerain doit subvenir aux besoins de son vassal (fief), lui assurer une protection et le défendre en justice.
Le fief est une source de revenus et de pouvoir. Les biens concédés par le suzerain sont souvent des biens fonciers (une terre ou une collection de terres) mais il peut s'agir aussi de droits de péage, de droits de justice ou d'une simple somme en argent (« fief-rente »). Le fief est concédé par un rituel : l'investiture. Lors de la cérémonie, le seigneur remet symboliquement à son vassal une motte de terre ou un objet. En cas d'infidélité, le seigneur peut reprendre son bien par la commise (en réalité cela dépend souvent des rapports de force entre le seigneur et son vassal). Au XIe siècle, les fiefs se patrimonialisent : s'ils sont théoriquement viagers, dans les faits, ils deviennent héréditaires, moyennant le paiement du relief lors de la mort du seigneur ou du vassal (renouvellement du lien à chaque génération).
Parallèlement à l'évolution des liens d'homme à homme, émerge une nouvelle classe de professionnels de la guerre : à partir des années 1030 commence l'ascension sociale des chevaliers (autrefois appelés les milites, auxiliaires armés de la seigneurie) qui entrent dans les relations féodo-vassaliques et accèdent à la petite noblesse. L'apparition de la chevalerie ne se fait ni de la même manière ni au même rythme dans l'ensemble de l'Europe. Elle s'opère rapidement en France avec l'introduction de l'étrier permettant de nouvelles pratiques de combat et le développement du poids de l'armement (cotte de maille, heaume, bouclier, épée, hache...). Ailleurs, la mutation est plus lente, notamment en Germanie, Angleterre, Espagne ou Italie du sud.
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