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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Depuis la fin du VIIe siècle, la monarchie de Tolède traverse une grave crise tant au niveau politique que social marquée une instabilité dynastique. Les rivalités entre le roi et les aristocrates affaiblissent considérablement la capacité de résistance du royaume tandis qu’une part de la population – juifs et esclaves – a tout intérêt à un changement de pouvoir. En 711, lorsqu’une importante armée de Berbères musulmans traverse le détroit de Gibraltar, le royaume wisigothique est donc particulièrement vulnérable. Tariq ibn Ziyad, à la tête des forces musulmanes, conquiert la péninsule en seulement trois ans avant que des expéditions soient menées en Gaule. La brillante monarchie wisigothique s’effondre après deux siècles d’existence.

Avant la conquête

L’expansion arabe en Afrique du Nord

A partir de la mort de Muhammad en 632, les tribus arabes islamisées de la péninsule se lancent d’une phase d’expansion pluridirectionnelle : en direction de l’Empire perse sassanide, de l’Empire byzantin et de l’Afrique du Nord. Après la chute des Byzantins d’Afrique, les troupes musulmanes doivent se heurter à la résistance berbère emmenée par une femme, Kahéna. Les Arabes rasent Carthage et fondent Tunis à proximité, cité destinée d’abord à être un arsenal. Un millier d’artisans chrétiens y sont acheminés d’Egypte pour construire une flotte destinée à lutter contre la puissance maritime byzantine en Méditerranée occidentale. En 705, le gouverneur de Kairouan, Mûsâ ibn Nusayr, est envoyé dans la nouvelle province d’Ifrîqiya (transposition arabe de l’Africa byzantine) pour l’organiser. C’est sous son gouvernement qu’est réalisée la conquête du royaume wisigothique d’Espagne.

La crise de la monarchie de Tolède

La crise de la monarchie wisigothique est multiforme : sociale, économique mais avant tout politique. Le roi goth était à l’origine le premier des aristocrates (primus inter pares), élu par ses pairs. La nature du pouvoir royal change dès la conversion de Récarède au catholicisme en 587, qui marque une rupture dans l’histoire du royaume. En 687, le roi Egica énonce qu’aucun homme ne pourra être sujet d’un aristocrate (uniquement sujet du roi). Ce même roi associe en 693 son fils au trône contre les règles habituelles de transmission du pouvoir. Ce fils – Witiza – accède au pouvoir et ne se fait pas acclamer par l’aristocratie. Lorsqu’en 710 Witiza meurt, une crise éclate : le duc de Bétique, Rodéric, se fait acclamer par les aristocrates et prend le titre de roi. Mais le fils de Witiza, Agila, est le roi légitime.

La crise politique se double d’une crise sociale. Les esclaves sont très nombreux dans l’Espagne wisigothique et leur condition se détériore fortement à la fin du VIIe siècle avec les difficultés économiques et lorsqu’Ervige autorise à nouveau leur maître à leur infliger la mort ou des mutilations. Cette dégradation de la condition d’esclave explique les nombreuses fuites qui contraignent les souverains wisigoths à prendre de sévères mesures pour les rattraper : obligation pour la population de dénoncer les esclaves en fuite sous peine de se voir infliger 200 à 300 coups de fouet.
D’autre part, les persécutions s’accentuent contre les juifs. La législation anti-juive ne cesse de se renforcer, les juifs étant perçus comme le seul obstacle à l’unité du royaume. Ils se voient progressivement interdits d’avoir une épouse chrétienne, de posséder des esclaves ou des domestiques non-juifs, d’exercer des charges publiques et de fréquenter les convertis. Le prosélytisme juif est puni de mort. En 681, Ervige, au XIIe concile de Tolède, décide de rendre le baptême obligatoire pour tous les juifs dans un délai d’un an (sous peine d’un exil perpétuel, de voir ses biens confisqués et d’avoir le crâne rasé). En 694, Egica, lors du XVIIe concile de Tolède, réduit tous les juifs à la condition d’esclave et décrète la confiscation de leurs biens. Cette politique anti-juive n’est néanmoins pas appliquée rigoureusement partout, et il reste des juifs en 711 qui ont tout intérêt à un changement de pouvoir.

L’invasion et ses conséquences

La conquête de l’Hispania

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La bataille du Guadalatete (par Jaume).

Ce sont presque exclusivement des Berbères qui sont envoyés en Espagne, dirigés par un affranchi lui aussi berbère, Tariq ibn Ziyad. Un personnage de religion chrétienne, nommé Julien (que les sources arabes appellent Yulyân), gouverneur wisigoth ou byzantin de Tanger et de Ceuta, aurait incité les musulmans à traverser le détroit. Selon les sources arabes, il se serait lié d’amitié avec Tariq et aurait voulu se venger du roi wisigoth qui aurait mis enceinte sa fille, alors à la Cour de Tolède. Déjà, en 710, un raid de pillage victorieux est mené par Tarif, chef berbère, avec l’aide de Julien. Le printemps de l’année 711 voit le débarquement des Berbères, au nombre de 12 000 (certaines sources donnent d’autres chiffres), avec le concours du gouverneur Julien qui met à disposition ses navires.
Rodéric, qui combat alors les Basques dans le Nord de la péninsule, accourt à la rencontre des troupes musulmanes et subit une défaite écrasante sur les rives du Guadalete, à proximité d’Algésiras, le 19 juillet 711. Cette victoire de Tariq, où le roi goth aurait d’ailleurs trouvé la mort, marque l’effondrement de la monarchie de Tolède. Par la suite, Tariq remporte une seconde victoire sur d’autres forces wisigothiques près d’Ecija, et aurait vu venir à lui une foule de mécontents. Les juifs du Sud de la péninsule lui auraient apporté leur soutien, en gardant notamment militairement certaines villes conquises pour permettre aux armées musulmanes d’aller batailler dans le Nord. Mûsâ arrive en Espagne avec une armée arabe en 712. Toutes les villes sont prises sans grande difficulté sauf Séville et Merrida, les seuls deux grandes villes ayant opposé une résistance sérieuse. Saragosse tombe en 714. Cette même année, Mûsâ et Tariq sont appelés à Damas par le calife al-Walîd, accusés de s’être accaparés une grande part du butin. Les deux personnages subissent de durs traitements, le premier meurt en 716, le second en 720 à Damas.

Les réactions des autochtones

En 714 il n’y a donc plus de pouvoir wisigoth en Espagne. Une petite partie de la population fuit dans les Asturies ou en Gaule, mais il s’agit essentiellement d’aristocrates. Les autochtones ne perçoivent pas l’ampleur du changement qui va suivre et demeurent sur place : les Chrétiens et Juifs bénéficient du statut de dhimmi (protégé), pouvant continuer à pratiquer leur culte et conservant leur liberté physique en échange du paiement d’un impôt spécifique, la djizya. Les édifices religieux, églises comme synagogues, sont conservés mais aucun nouveau lieu de culte ne peut être construit, sauf circonstances exceptionnelles et extra muros.

La résistance s’organise dans les montagnes du Nord, les Asturies. En 718, une armée musulmane tente de déloger les rebelles menés par Pélage. Le chef et son armée se sont réfugiés dans les gorges de Convadonga, où, dans une grotte, la Vierge Marie leur serait apparue, signe de la protection divine. Les forces de Pélage rejettent les envahisseurs : cette première victoire des Chrétiens marque symboliquement le début de la Reconquista. Trois ans plus tard, cette fois en Gaule, les forces musulmanes seront mises en déroute devant Toulouse : le gouverneur d’al-Andalous, al-Samh al-Khawlani, est tué pendant la bataille.

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