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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Lorsque des moines bénédictins s’installent au début du Xe siècle à Cluny, personne n’imagine que le lieu va devenir en deux siècles une place jouant un rôle de premier plan en Occident, tant dans les affaires spirituelles que temporelles. Cette ascension, due aux privilèges obtenus du pape, à la personnalité remarquable des premiers abbés et aussi à une situation géographique favorable, fait de l’abbaye un centre monastique sans équivalent. Entrant dans une phase de déclin à partir du XIIe siècle, malgré quelques sursauts, l’abbaye perdure jusqu’à la Révolution qui porte un coup mortel à ce centre monastique.

La fondation et l’expansion de l’abbaye

Le 11 septembre 909 ou 910, le duc d’Aquitaine Guillaume le Pieux, signe dans la ville de Bourges l’acte de fondation d’un établissement bénédictin en Bourgogne du sud. Le don est fait à l’Eglise romaine et les terres sont placées sous la protection des apôtres Pierre et Paul : la papauté a la charge de protéger l’ensemble, et même Guillaume renonce à tous ses droits sur la fondation. Le duc nomme le premier abbé de Cluny, Bernon (909-926) et prévoit la libre élection des futurs abbés. Les premiers qui se succèdent sont des hommes d’une grande valeur : Odon (927-942), Aimar (942-954), Mayeul (963-994), Odilon (994-1049) et Hugues de Semur (1049-1109). Odon agrège à Cluny d’autres monastères grâce au droit de réforme octroyé en 932 par le pape Jean XI, qui permet à l’abbé de prendre la direction de tout autre monastère souhaitant suivre ses préceptes. Aimar et Mayeul font de Cluny un véritable ordre en renforçant les liens unissant l’abbaye-mère et les monastères affiliés.
Odilon, qui exerce un très long abbatiat (55 ans), adapte l’abbaye à la féodalité en prenant en main le mouvement de la Paix de Dieu, qui condamne la violence à l’égard des paysans et des clercs, et, plus tard, la Trêve de Dieu, qui interdit l’usage des armes du jeudi au dimanche et lors des grandes fêtes liturgiques. A la mort d’Odilon, Cluny compte 70 établissements. Sous Hugues de Semur, les fondations nouvelles et adhésions d’abbayes se multiplient. L’ordre s’étend surtout en France, Lombardie, Espagne et Angleterre.

La règle bénédictine prévoit une équilibre entre prière, travail et repos. Mais à Cluny, l’activité religieuse tient une place de première importance. Les célébrations pour les morts (anciens moines ou abbés, donateurs) sont particulièrement conséquentes : ceux qui font des dons à l’ordre clunisien bénéficient de l’oraison perpétuelle des moines pour leur repos éternel. Pour bien marquer ce dialogue avec le Ciel, Odilon instaure vers 1030 la fête des Morts, toujours célébrée de nos jours, le 2 novembre.

Enfin, l’abbaye bénéficie en 998 de l’exemption de la part du pape, qui soustrait l’abbaye à toute autre autorité que celle du Saint-Siège. L’autonomie et la plus grande liberté d’action permettent la réussite clunisienne.

Le rayonnement

Au XIe siècle, l’ordre clunisien rassemble pas moins de 1000 monastères et 10 000 moines (dont 500 à Cluny) sous la direction de l’abbaye-mère. Cluny est alors devenue une véritable ville, dont l’abbé est le seigneur, avec une importante communauté de laïcs installés à proximité, favorisant son essor. Le lieu reçoit de plus en plus de visiteurs, devenant un lieu de pèlerinage éminent (très grande collection de reliques). Les abbatiales dites de « Cluny I » et de « Cluny II » sont devenues trop petites pour accueillir tous les moines. C’est alors que l’abbé Hugues de Sémur commence en 1088 l’édification de la plus grande église médiévale d’Occident : Cluny III, dotée des dimensions exceptionnelles (longueur de 187 mètres et largeur de 38,50 mètres). Le décor intérieur est alors à la hauteur de l’édifice, avec de nombreuses sculptures, fresques ou rosaces.
Les Clunisiens s’attachent à développer des cérémonies grandioses. L’or, l’encens et les chants sont omniprésents. Le culte des saints prend rapidement de l’importance ; celui de saint Pierre et saint Paul bien évidemment, patrons de l’abbaye, mais aussi saint Marcel, saint Jean l’Evangéliste, saint Martin, saint Jacques, sainte Marie-Madeleine et la Vierge Marie.
L’abbaye est aussi un foyer culturel et intellectuel majeur. La bibliothèque comporte un grand nombre d’oeuvres classiques (Tite-Live, Cicéron, Ovide) mais aussi des livres de médecine ou de musique. Les abbés sont parfois auteurs (Odon écrit une Vie de Géraud d’Aurillac ; Pierre le vénérable rassemble une équipe qui effectue la première traduction du Coran, afin de combattre la doctrine islamique). Un certain nombre de personnages importants du Moyen Âge sont issus de l’abbaye, tel le pape Urbain II.

Cluny, désignée comme la seconde Rome, adopte l’image d’une capitale. L’abbé, devenue une figure majeure de la Chrétienté, devient un médiateur dans l’ensemble de l’Occident, comme dans le conflit qui oppose l’empereur du Saint Empire Henri IV et le pape Grégoire VII (Querelle des Investitures).

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Reconstitution de la grande abbatiale de Cluny.

Chute et mort de Cluny

A la toute fin du XIe siècle apparaissent de nouveaux ordres monastiques prônant l’austérité, en réaction à l’éclat clunisien : la Grande Chartreuse est fondée en 1084 par Bruno de Cologne, Cîteaux en 1098 par Robert de Molesme, Fontevraud en 1101 par Robert d’Arbrissel. Les moines cisterciens et les clunisiens entrent en conflit à plusieurs reprises sur les questions de la vie monastique. Aussi, les dons se font plus rares et sont moins importants. Le déclin commence mais jusqu’au XVe siècle, l’abbaye demeure riche et puissante.

Au début du XVIe siècle, le déclin de Cluny est accéléré par la nomination de personnages médiocres, ne venant d’ailleurs que rarement à Cluny, préférant être auprès du roi. On retrouve plusieurs membres de la puissante famille de Guise, laquelle voit dans la charge d’abbé une source importante de revenus. Lors des guerres de religion, Cluny est pillée par les huguenots à deux reprises : en 1563 et en 1575.
Au cours du XVIIe siècle, Cluny connaît malgré tout des abbés de haut rang comme Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1629-1642), Armand de Bourbon, prince de Conti et fils du prince de Condé (1642-1654) ou Jules, cardinal de Mazarin (1654-1661). Sous Richelieu est introduite la réforme dite de « saint-Maur », visant à réinstaurer plus de rigueur dans la vie monastique. Cette réforme est aussi appelée l’ « étroite observance » (en référence à la « Stricte Observance » au XIVe siècle). Cependant, elle ne remporte pas l’adhésion de l’intégralité de la communauté.

En 1757, Dominique de La Rochefoucault accède à la charge d’abbé suite à la mort de son oncle, l’abbé précédent. Il s’agit du dernier abbé de Cluny, avant la Révolution française. Ce n’est qu’en 1788 que triomphe la réforme de l’ « étroite observance » et qu’est mis en place un vaste programme de construction et d’embellissement visant à redorer le blason clunisien. Malheureusement, il est trop tard : 1789 vient ruiner tous ces projets. Le 13 février 1790, les communautés religieuses sont dissoutes par décret de la Constituante ; en 1791 les 40 derniers moines de l’abbaye sont expulsés et leurs biens confisqués. Dix d’entre eux seront déportés à l’île de Ré. L’abbé émigre en Allemagne où il meurt en 1800.
Le mobilier, les tombeaux et mausolées sont endommagés ou détruits par les révolutionnaires. La vente des bâtiments est prononcée par l’Etat le 21 avril 1798. L’église abbatiale (Cluny III) est quasiment entièrement démolie.

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Affiche de vente, 1804.

Bibliographie :
Jean-Denis Salvèque. L’abbaye de Cluny. Editions du patrimoine 2001.
Stéphane Muzelle. 100 fiches d’histoire du Moyen Âge. Bréal, 2004.

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