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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

En ce début de XXIe siècle, la reconnaissance et la protection des droits humains constituent une des grandes priorités mondiales pour les Occidentaux. Pour ces derniers, l’humanité ne connaîtra une paix durable que si toutes les sociétés adoptent les droits de l’Homme, les appliquent et acceptent une surveillance internationale. Cependant, cet objectif est contrarié par les réticences des non-Occidentaux et les difficultés concernant les interventions militaires dans les régions où ces principes sont bafoués (droit d’ingérence).

La protection des droits humains

La multiplication des cadres de protection

A l’échelle mondiale se déroule une dynamique toujours en cours visant à renforcer les protections des droits de l’Homme : Déclaration universelle des droits de l’Homme, résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (1948), Pactes des Nations unies sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966), lutte contre les discriminations, etc. Ces dispositifs sont ratifiés par un nombre important d’Etats en augmentation régulière, le respect des droits de l’homme s’imposant comme une caractéristique de plus en plus incontournable d’un Etat respectable. Ces Etats pourraient les ignorer mais distilleraient alors de la méfiance chez les touristes et investisseurs étrangers.

La mise en place d’une justice internationale

Dans la continuité d’une tendance initiée par le tribunal international de Nuremberg où 22 hauts dignitaires nazis furent jugés, 11 d’entre eux condamnés à mort et pendus (sauf Goering, bras droit d’Hitler qui se suicida dans sa cellule) et 11 autres condamnés à la prison à perpétuité, pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », la juridiction des conflits devint croissante.
Depuis la chute du mur de Berlin suivie peu de temps après par l’écroulement de l’URSS, le jugement des politiques et militaires impliqués dans des massacres de civils a connu un regain de vigueur. Les tribunaux se multiplient comme ceux qui concernent l’ex-Yougoslavie (TPIY, 1993) et le Rwanda (TPIR, 1994). La Cour pénale internationale (CPI), juridiction à vocation universelle et permanente, naît à La Haye en 2002.

Les résultats sont cependant mitigés. Ces tribunaux ne peuvent fonctionner que si les Etats les reconnaissent, ce qui n’est pas le cas de la CPI que boudent notamment les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou Israël. D’autre part, les procès peuvent traîner laborieusement en longueur comme par exemple celui de l’habile Slobodan Milosevic, qui gouvernait la République de Serbie lors des guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie, et qui a rendu coup sur coup à tous les chefs d’accusation portés contre lui, transformant le tribunal en une véritable tribune pour le nationalisme serbe et finissant par mourir brutalement de maladie.

Les droits de l’Homme en question

Une invention occidentale

Pour leurs fondateurs, les Occidentaux, les droits de l’Homme sont définis comme universels et intemporels, donc devant s’appliquer partout dans le monde pour le plus grand bien de tous. Ses origines se situent dans un contexte bien précis, l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles, en plein développement démographique, technique, scientifique, commercial, où furent débattus des sujets philosophiques tels que la place de l’homme dans la société, le pouvoir, le droit naturel, le contrat social,… Ces principes philosophiques, une fois codifiés, furent répandus à travers le monde par le biais de la colonisation. Au XIXe siècle, ce sont les Occidentaux qui, s’interrogeant sur les implications des droits de l’Homme, abolissent l’esclavage.

Les droits de l’homme pour les non-Occidentaux

En revanche, pour beaucoup de non-Occidentaux, les droits de l’Homme apparaissent comme une des manifestations de la volonté hégémonique occidentale, de ce besoin irrépressible d’exporter partout dans le monde ses valeurs. Alors que les droits de l’homme sont fondés sur l’individualisme, beaucoup de régions colonisées (Inde, Afrique, Chine,…) sont basées sur une vision holiste de la société : l’homme n’est qu’un élément parmi un « tout » plus vaste (famille, caste, communauté,…), le bien collectif primant sur la recherche du bonheur individuel. Ainsi dans les années 1960 apparaît à Singapour un discours sur les « valeurs asiatiques », censées concilier développement économique et conservation des valeurs traditionnelles (pour éviter de sombrer dans la « débauche » occidentale : individualisme exacerbé, alcoolisme, drogue,…). Dans le monde musulman, une Déclaration des droits de l’Homme en Islam a été adoptée au Caire en 1990, par l’Organisation de la conférence islamique (OCI), qui modifie sur certains points la Déclaration universelle : égalité de l’homme et de la femme en dignité mais non en droits, interdiction de choisir sa religion et d’en changer, etc.
Mais les non-Occidentaux peuvent-ils prendre à l’Occident ce qui leur convient (technologie, avancées scientifiques, développement économique,…) et rejeter ce qu’ils redoutent (émancipation de la femme, liberté d’expression,…) ?

Le droit d’ingérence

L’impératif de solidarité universelle

Au tournant des années 1990, avec la dislocation du bloc soviétique, et la possibilité retrouvée de l’ONU d’assurer sous certaines conditions son rôle de gendarme du monde, s’impose la notion de droit d’ingérence, codifiée par la résolution 668 de l’ONU en 1991. En cas de violation massive des droits de l’Homme dans un Etat (massacre d’une partie de la population pour des motifs ethniques ou politiques,…), l’extérieur a le droit et le devoir d’intervenir pour rétablir la paix. Cette opération, qui ne nécessite pas le consentement de l’Etat dans lequel elle se déroule, rentre en contradiction avec le principe de la souveraineté nationale, pour laquelle en particulier les Etats issus de la décolonisation se sont tant battus (ces Etats décolonisés voient le droit d’ingérence comme une manifestation du néo-colonialisme).

Le droit d’ingérence représente une petite révolution par rapport à l’approche classique qui prévalait jusqu’alors : la souveraineté des Etats. L’Etat souverain ne peut plus désormais faire ce qu’il veut dans son territoire au nom de sa souveraineté. Le principe du droit d’ingérence matérialise une sorte de solidarité universelle entre tous les hommes, celle-ci primant sur les intérêts étatiques ou nationaux. Le droit d’ingérence s’inscrit ainsi dans une dynamique d’édification de l’humanité comme une société politique.

Les difficultés pratiques du droit d’ingérence

Dans les faits, les interventions au nom du droit d’ingérence se déroulent ou se finissent souvent mal.
L’intervenant est toujours un étranger sur le territoire à pacifier. Vols de matériel retrouvé sur le marché noir, bousculade d’enfants, mœurs incompréhensibles, manifestations de haine à l’égard de l’« occupant » agacent l’intervenant et la lassitude ainsi que la peur s’installent. Celui-ci finit par s’enfermer dans des casernes et des zones sûres. Aussi, il est impossible même pour l’ONU ou les plus grandes puissances de changer un peuple malgré lui en démocratisant son régime politique par exemple. Le philosophe britannique John Stuart Mill (1806-1873) écrivait en 1859 à ce propos : « Si un peuple n’a pas de la liberté un amour suffisant pour être lui-même capable de l’arracher à ses oppresseurs intérieurs, la liberté qui lui sera octroyée par des mains étrangères n’aura rien de réel, ni de permanent. Aucun peuple, jamais, n’est devenu libre et l’est resté si ce n’est parce qu’il était déterminé à l’être, car ni ses dirigeants, ni aucune autre partie ne pouvaient l’obliger à ne pas l’être. »
Que ce soit en Afghanistan, en Irak, à Haïti, les peuples se rebellent souvent contre toute transformation (économique, politique, sociale) qui leur est imposée et, une fois l’intervenant extérieur fatigué ou écœuré reparti, les conflits se déchaînent à nouveau.

Au-delà de cette vision désastreuse du droit d’ingérence, finissons sur une note plus optimiste : on peut raisonnablement soupçonner une évolution lente et peu visible des mentalités des populations visées mais néanmoins significative sur le long terme. L’intervention au nom du droit d’ingérence constitue une « cassure » dans l’Histoire du pays concerné. Les conséquences pourraient être notamment la prise de conscience de la femme de sa condition et la nécessité d’un développement économique.

La montée de l’humanitaire

Avec la notion du droit d’ingérence fut inventée la notion paradoxale de « guerre humanitaire » où l’on utilise la violence pour empêcher des populations d’être l’objet de violences plus importantes encore.
L’humanitaire peut cependant être détourné de son objectif originel :

  • L’humanitaire peut être détourné par les belligérants qui vont tenter de l’instrumentaliser à leur profit. Au Kosovo par exemple, la branche canadienne de CARE (organisation humanitaire des Etats-Unis) a signé avec son gouvernement un contrat sur lequel elle s’engageait à recruter des volontaires chargés d’espionnage sous couvert d’humanitaire.
  • L’humanitaire peut aussi servir de prétexte facile pour des interventions qui ont des objectifs avant tout économiques et/ou politiques.
  • L’humanitaire sert aussi à améliorer l’image de l’Etat interventionniste tant auprès de sa population (par le biais des médias) qu’auprès des populations de l’Etat dans lequel il intervient.
  • Il n’est pas toujours sûr que l’aide humanitaire arrive à ses destinataires : elle peut être détournée par des factions armées (Somalie, Tchétchénie,…) et ainsi alimenter le conflit (par l’apport de ressources alimentaires, financières, d’otages,…). D’autre part, il peut être désespérant de voir des enfants soignés qui, une fois rétablis, sont recrutés dans les milices…

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