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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La mer occupe les deux tiers de la surface terrestre. Pourtant son rôle ne se réduit pas à son importante superficie. Le contrôle des mers permet en effet, en temps de paix, le contrôle des routes et du commerce maritimes, et, en temps de guerre, de déployer et d’appuyer des forces militaires n’importe où sur le globe. La mer possède aussi ses ressources propres : les ressources halieutiques (poissons et produits de la mer), exploitées depuis des millénaires, des hydrocarbures exploités depuis un peu plus d’un demi-siècle, et des ressources énergétiques (vents marins, énergie des marées, …). Enfin, le commerce mondial passant essentiellement par le transport maritime, la dépendance des économies à l’égard de la mer n’a jamais été aussi forte.

Le contrôle des espaces maritimes, élément de puissance

La place de la mer dans l’Histoire
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Sur la mer se sont joués la grandeur et le déclin des Etats. Dès l’Antiquité, la mer a été l’instrument de la politique impérialiste d’Athènes, qui cherchait l’hégémonie en Grèce. Plus tard, c’est lors du conflit avec Carthage que Rome devint une puissance maritime et du même coup la plus grande puissance en Méditerranée. Au haut Moyen Âge, par le contrôle des mers via des bateaux rapides et maniables, les Vikings purent mener des pillages sur les côtes et villes fluviales européennes (siège de Paris de 885-887 ; en 911, en contrepartie de l’arrêt des pillages, le chef Rollon reçut la future Normandie). A la fin du Moyen Âge, la supériorité sur la mer de l’Espagne et du Portugal aboutit à la colonisation de l’Amérique et à l’afflux de métaux précieux. Au XIXe siècle, la domination hégémonique de l’Angleterre sur les mers permit le contrôle du plus vaste empire colonial du monde.

A contrario, la perte du contrôle de la mer ou le déclin du commerce maritime coïncida avec le déclin de plusieurs Etats. Le déplacement du commerce maritime de la Méditerranée à l’océan Atlantique au XVIe siècle accompagna le déclin des républiques de Venise et de Gênes. La défaite de l’Invincible Armada espagnole face à la marine anglaise en 1588 marqua le déclin politique et militaire de l’Espagne. Lors des deux guerres mondiales, l’échec de l’Allemagne à contrôler la mer contribua fortement à sa défaite (arrivée des Américains, situation de pénurie).

Une pensée géopolitique sur les mers et océans

Au vu de la place de la mer dans la construction et dans le déclin des puissances, il n’est pas étonnant que des penseurs et géopoliticiens aient accordé une place dominante à la mer. Dès le début de l’époque moderne, l’anglais Walter Raleigh (1554-1618) écrivait dans son Histoire du monde : « Qui tient la mer tient le commerce du monde, qui tient le commerce tient la richesse, qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même. » Au XIXe et XXe siècles, les géopoliticiens anglo-saxons s’intéressèrent beaucoup à la mer. L’amiral américain Alfred Mahan (1840-1914) voyait une opposition séculaire entre les puissances maritimes et les puissances continentales, et soutenait, à l’inverse de sir Halford Mackinder, que les puissances maritimes avaient vocation à l’emporter. En 1897, il préconisa le Sea power pour son pays, se traduisant notamment par l’alliance avec le Royaume-Uni et la lutte contre l’Allemagne sur la mer. Au XXe siècle, l’américain Nicholas Spykman (1893-1943), s’opposant à Mackinder, insista sur le rôle du Rimland, territoires aux façades maritimes, périphériques au Heartland (correspondant à peu près à la Russie et l’Europe de l’Est). Selon Spykman, « celui qui domine le Rimland domine l’Eurasie ; celui qui domine l’Eurasie tient le destin du monde entre ses mains. » La pensée de Spykman inspira la théorie du containment américain lors de la guerre froide.

La mer et la dissuasion nucléaire

Après la Seconde Guerre mondiale, qui a été gagnée par les Alliés essentiellement grâce au contrôle des mers, la bombe atomique a redistribué les cartes. Depuis 1945, les batailles navales se font rares ; seul un conflit a essentiellement reposé sur les moyens navals : la guerre des Malouines (1982) opposant l’Argentine et le Royaume-Uni. Les autres conflits ont vu la flotte jouer un rôle d’appui, mais ce sont l’armée de terre et l’aviation qui ont tenu le premier rôle.
La marine continue pourtant de jouer un rôle majeur, qui est désormais celui de la dissuasion nucléaire. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis et l’URSS cherchèrent à développer des sous-marins à propulsion nucléaire pouvant attaquer la terre avec des missiles. Le premier véritable SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engin) fut opérationnel en 1960 ; mis au point par la marine américaine, il pouvait lancer des missiles à 2200 km. Aujourd’hui, les SNLE peuvent lancer des engins nucléaires à 10.000 km : aucun pays du globe n’est à l’abri. Ces sous-marins, pouvant rester en plongée plusieurs mois, difficiles à localiser, sont la garantie d’une riposte nucléaire. En ce sens, ils constituent une pièce maîtresse dans la dissuasion nucléaire.

Des espaces productifs : les richesses de la mer

Les ressources halieutiques

La ressource halieutique est la plus ancienne ressource de la mer exploitée par l’homme. Certaines civilisations, comme le Japon, ont bâti leur régime alimentaire sur le poisson de mer. En Occident, pendant des siècles, le poisson a fourni des protéines lors des jours « maigres » qui couvraient à peu près un tiers de l’année (prescriptions de l’Eglise). Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, la Scandinavie et les pays anglo-saxons (la Ligue hanséatique) ont largement pratiqué la pêche du hareng, activité favorisant l’ascension d’une bourgeoisie marchande. La pêche a longtemps été une pêche côtière, de proximité.

La seconde moitié du XIXe siècle voit une « révolution halieutique » : les bateaux sont plus grands, plus puissants ; la conservation fait des progrès (perfectionnement et diffusion de la conserve à partir des années 1860) ; les techniques de pêche tendent à évoluer (invention du canon lance-harpon). De ce fait, les temps de pêche s’allongent et les marins peuvent s’éloigner de leur port. En 1900, le volume de poissons pêchés est estimé à 5 millions de tonnes.
A partir de 1950, une seconde révolution halieutique a lieu du fait de nouvelles innovations techniques notamment le transport frigorifique. 20 millions de tonnes de poissons sont pêchés en 1950, vingt ans plus tard, le nombre de captures a triplé (60 millions).

Ces progrès ont conduit à une situation de surpêche entraînant une effondrement de certains stocks de poissons, alors que la mer avait longtemps été perçue comme inépuisable. La production s’est stabilisée depuis les années 1990 autour de 80 millions de tonnes par an. A partir des années 1980, des règlementations sont venues limiter l’activité de pêche (1983 : première politique de pêche européenne visant à préserver les stocks) tandis que l’aquaculture connaît une croissance spectaculaire (en 2010, un cinquième des poissons consommés sont produits dans la cadre de l’aquaculture).

Le pétrole en mer

Les premières découvertes de pétrole en mer et mises en exploitation remontent aux années 1960, aux Etats-Unis (golfe du Mexique) ou en Europe (Pays-Bas). La production du pétrole offshore étant coûteuse (investissements très lourds), elle s’est surtout développée après le premier choc pétrolier, la hausse du prix du pétrole terrestre rendant le pétrole de mer attractif. Au milieu des années 1960, environ 10 % de la production mondiale de pétrole était assurée en mer ; aujourd’hui, c’est près d’un tiers de la production mondiale de pétrole qui est faite en mer. Initialement (années 1950-1960), l’exploitation se faisait à quelques mètres de profondeur, aujourd’hui, les forages se font couramment sous plus de 2000 mètres d’eau. La recherche des gisements nécessite des navires spéciaux pour les sondages géophysiques et les carottages ; la mise en exploitation se fait avec des plateformes flottantes ou des navires spécialisés (les FPSO : « Floating production storage and offloading »).

Les ressources maritimes, en particulier le pétrole, étant disputées, les Nations-Unies ont organisé des conférences afin de régler la question de l’exploitation, travaux aboutissant à la convention de Genève (1958) sur le plateau continental. Les progrès techniques rendant rapidement cette convention caduque, une nouvelle conférence s’est tenue à Montego Bay (Jamaïque) en 1982, aboutissant au cadre actuel d’exploitation de la mer. Les océans se sont vus « territorialisés » à travers notamment les Zones économiques exclusives, lesquelles s’étendent jusqu’à 370 km des côtes (souveraineté en matière d’exploitation et d’usage des ressources). Aujourd’hui, un tiers de la surface océanique mondiale est territorialisée.

De nouvelles ressources ?

L’étude et l’exploration des océans ont permis de découvrir de nouvelles ressources potentielles. La plus connue est celle des nodules polymétalliques, repérés dès la fin du XIXe siècle, qui sont des sphères de plusieurs centimètres de diamètre, comportant des minerais (cuivre, nickel, cobalt et métaux très rares). Si ces nodules polymétalliques sont présents partout où les fonds sont importants (4000 mètres et plus), leur concentration est plus importante dans le Pacifique. Il n’y a pour l’instant pas d’exploitation de ces nodules, les grandes profondeurs constituant un obstacle et les coûts élevés d’une éventuelle exploitation n’étant pas encore rentables par rapport aux minerais terrestres.

Un autre type de ressources est les énergies renouvelables marines. Deux énergies marines renouvelables sont à l’heure actuelle exploités : l’éolien offshore (premier parc éolien offshore construit par les Danois en 1991) et, dans une bien moindre mesure, l’énergie marémotrice (exploitation de la force des marées ; l’usine marémotrice française de la Rance en 1966 est la première au monde). L’éolien offshore a l’avantage par rapport à l’éolien terrestre de bénéficier de vents plus forts et plus réguliers, avec un impact paysager réduit ; cependant, l’installation et la maintenance coûtent plus chers (érosion, tempêtes). A côté de ces deux énergies, d’autres sont potentiellement exploitables mais non encore exploitées : l’énergie de la houle (énergie des vagues) et l’énergie thermique (différences de température entre eaux de surface et eaux de profondeur).

Routes maritimes et noeuds stratégiques

Les grandes routes maritimes historiques

La première grande route maritime est la Méditerranée elle-même. Cette mer fermée permit des transferts de marchandises lourdes sur de longues distances, alors que les routes terrestres étaient difficilement praticables. Rome faisait venir son blé (essentiellement) d’Egypte par la mer, les marchandises étant débarquées à Ostie, port de Rome. Au haut Moyen Âge, des pierres étaient acheminées par Byzance dans l’Espagne omeyyade, échanges s’accompagnant de changements architecturaux.

Au XVIe siècle, l’apparition d’un commerce transatlantique et le lien fait entre l’Atlantique et l’océan Indien (puis la mer de Chine) par le cap de Bonne-Espérance constituèrent une révolution géopolitique qui fit passer la Méditerranée au second plan : les pays bordant l’Atlantique, tels l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal, devinrent des puissances majeures au détriment par exemple des cités italiennes vénitienne et génoise. En 1869, le percement du canal de Suez (oeuvre de Ferdinand de Lesseps) réduisit considérablement la route des Indes en évitant le passage par le Sud de l’Afrique, tandis qu’en 1914, le percement du canal de Panama (entrepris par Lesseps en 1881 mais ouvert par les Américains) permit de relier directement l’Atlantique au Pacifique sans avoir à contourner l’Amérique du Sud.

Mondialisation et maritimisation aux XXe et XXIe siècles

A partir de la fin du XIXe siècle, du fait des révolutions techniques (la vapeur, l’acier), le transport maritime s’est considérablement développé. Cependant, c’est surtout à partir des années 1970 que le commerce maritime a connu une accélération spectaculaire : en 40 ans (de 1970 à 2010), la flotte mondiale a été multipliée par un peu plus de quatre et les volumes transportés par un peu plus de trois. L’apparition du conteneur (1956) a bouleversé le transport maritime (réduction drastique du coût de chargement et de déchargement des bateaux) : près de 90 % du commerce maritime se fait aujourd’hui par conteneur. Les navires sont devenus toujours plus grands (course au gigantisme), moins énergivores et moins polluants. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des échanges de marchandises se fait par voie maritime (près de 80 %), à tel point qu’on a pu dire que « la mondialisation est une maritimisation » (Jean-François Tallec). Le transport maritime, permettant la division internationale du travail, symbolise la mondialisation. Cet état de fait rend les économies dépendantes du commerce maritime.

Les détroits, espaces stratégiques

Les détroits, véritables « portes océanes » (Jean-Claude Lasserre), sont des espaces limités géographiquement mais concentrant des tensions et enjeux. En tant que potentiels verrous du trafic maritime, ces espaces sont des espaces de concurrences, de rivalités mais aussi de coopérations. Sept détroits dans le monde sont considérés comme très stratégiques :

  • Le détroit de Gibraltar, porte de la Méditerranée sur l’Atlantique.
  • Les détroits du Bosphore et des Dardanelles, portes de la mer Noire sur la Méditerranée.
  • Le canal de Suez, ouvert en 1869, permettant le passage de la Méditerranée à la mer Rouge.
  • Le détroit de Bab-el-Mandeb, reliant la mer Rouge à l’océan Indien.
  • Le détroit d’Ormuz, reliant la mer d’Arabie à l’océan Indien.
  • Le canal de Panama, ouvert en 1914, permettant le passage de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique.
  • Le détroit de Malacca, permettant la communication entre l’océan Indien et la mer de Chine méridionale puis le Pacifique.

Le contrôle de plusieurs de ces détroits a longtemps été disputé militairement au cours de l’Histoire. Le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, permettant à la Russie l’accès aux mers chaudes, a été un motif d’affrontement entre Turcs et Russes (indirectement une des causes de la guerre de Crimée au milieu du XIXe siècle) ; le détroit de Gibraltar a toujours été surveillé par l’Angleterre pour la maîtrise de la route des Indes et la capacité de la marine anglaise d’intervenir en Méditerranée. La question des détroits peut aussi amener à une coopération entre les Etats riverains ou proches, comme dans le cas du détroit de Malacca dans le cadre de la lutte contre la piraterie (accord de 1992 entre la Malaisie, l’Indonésie et Singapour). Certains de ces détroits sont stratégiques du fait de leur importance dans le transport énergétique, comme le détroit d’Ormuz par lequel passent des millions de tonnes de pétrole chaque année. D’autres jouent un rôle fondamental dans le commerce mondial, lequel passe essentiellement par la mer, comme le détroit de Malacca dont le rôle a grandi du fait de la montée en puissance de la Chine et des pays de l’Asie de l’Est (commerce de produits manufacturés).

Assez tôt, des accords ont été passés sur les détroits. Ainsi, en 1857, la convention de Copenhague abolit les droits de douane dans tous les détroits danois qui deviennent des eaux internationales ouvertes à la circulation maritime, tant pour les navires commerciaux que militaires. En 1936, la convention de Montreux sur les détroits turcs stipule, entre autres, la libre circulation des navires de commerce, quelle que soit la nationalité, en temps de paix, et la libre circulation des navires de guerre des puissances bordant la mer Noire en temps de paix.
En 1982, la convention signée à Montego Bay (Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer) prévoit un droit de transit (navigation ou survol) pour tout détroit mettant en communication deux hautes mers ou ZEE, sous certaines conditions comme le non-stationnement (passage sans délai).

Bibliographie :
CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique. Constantes et changements dans l’Histoire, Paris, Ellipses, 2009 (3e édition).
ROYER Pierre, Géopolitique des mers et des océans, Paris, PUF, 2012.

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