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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction et restructuration de l’économie mondiale favorisent une croissance rapide des pays occidentaux développés. Jusqu’au début des années 1970, l’avènement de la société de consommation (consommation de masse) entretient cette phase de prospérité économique. Les déséquilibres économiques apparus à la fin des années 1960 ou au début des années 1970, aggravés par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, font entrer les pays occidentaux dans une autre phase de faible croissance pour plusieurs décennies.

Une croissance forte et régulière (1950-1973)

Une croissance inédite

De 1950 à 1973, dans l’ensemble des pays développés, le volume du PNB par habitant croît en moyenne de 3,9 % par an, ce qui signifie qu’en 23 ans, il a été multiplié par un peu plus de 2,4. A titre de comparaison la période de 23 ans avec la plus forte croissance avant 1945, qui est 1890-1913, a vu le PNB par habitant progresser de 1,6 % par an en moyenne. En France, où la croissance atteint 5 %, l’économiste Jean Fourastié a qualifié la période de « Trente Glorieuses ». Cette forte croissance permet une amélioration très nette des conditions économiques et sociales des populations occidentales. La période correspond en Occident à l’entrée dans la société de consommation : la plupart des couches de la population ont désormais accès à des produits très diversifiés dont les produits manufacturés. Ainsi, le nombre de voitures par habitant est multiplié par 1,7 aux Etats-Unis et 7,1 en France entre 1950 et 1970 ; le nombre de téléviseurs par habitant est multiplié par 1,3 aux Etats-Unis et 2,3 en France entre 1960 et 1970.

Durant la période, les échanges mondiaux s’accroissent sans que l’on assiste à une explosion du commerce international. Si le volume des échanges s’accroît 1,7 fois plus rapidement que le volume de la production, le pourcentage des exportations des marchandises par rapport au PIB (taux d’exportation de l’économie) ne passe que de 7,8 % en 1950 à 10,2 % en 1969-1971. C’est un niveau plus faible qu’en 1913 (près de 13 %) !

L’atténuation des fluctuations économiques

Durant la période 1945-1973, on ne parle plus de « crise économique » mais de « récession ». Les récessions sont beaucoup plus faibles que les crises économiques du siècle précédent. Seules deux récessions peuvent être distinguées : 1954 et 1958 ; il n’y a alors pas de baisse du volume de la production totale mais un net ralentissement de la croissance. Un ensemble de facteurs expliquent l’atténuation des fluctuations : l’impact beaucoup plus faible de l’agriculture sur l’ensemble de l’économie, l’accroissement de la part d’emplois du tertiaire (emplois beaucoup plus stables), l’accroissement des revenus de transfert (indemnités de chômage, pensions, retraites, …) qui atténuent les conséquences négatives des pertes d’emplois, la meilleure connaissance des mécanismes économiques (suite notamment aux travaux de John Maynard Keynes) et enfin la stabilité monétaire favorisée par les institutions internationales mises en place par les accords de Bretton Woods (1944).

Une réduction des inégalités en Occident

Au cours de la période, les inégalités de niveaux de vie tendent à diminuer au sein du monde occidental. L’Europe de l’Ouest effectue un rattrapage sur l’Amérique du Nord : alors qu’en 1929, le PNB par habitant aux Etats-Unis dépassait de 110 % celui de l’Europe occidentale, l’écart tombe à 70 % en 1970. Au sein de l’Europe occidentale, la croissance est plus forte dans les pays moins développés. Cette harmonisation des niveaux de vie s’observe notamment à travers la consommation. Vers 1950, les Américains possèdent, par habitant, 7,3 fois plus de voitures que les Français ; en 1970, l’écart s’est réduit à 1,7. Au sein de l’Europe occidentale, en 1950 les Français possèdent 5,1 fois plus de voitures par habitant que les Italiens et Portugais ; en 1970 les écarts sont réduits respectivement à 1,3 et 4,2.
Si les écarts de niveaux de vie se réduisent au sein du monde occidental développé, ils se creusent en revanche entre pays développés et pays dits « du Sud » (la part des pays du Sud dans le commerce international passe de 50 % en 1950 à 36 % en 1960).

Une crise structurelle (1973-1995)

Les caractères de la crise

Dans l’ensemble des pays développés, la croissance chute voire est négative dès 1974-1975 (- 1 % en France en 1975). Ces pays entrent dans une phase qui a été nommée la « stagflation » (combinaison de stagnation – faible croissance – et inflation : l’inflation atteint 7 % en 1973 et monte jusqu’à 13 % en 1980 dans les pays occidentaux développés). Le ralentissement de la croissance et la progression des dépenses de l’Etat entraînent à partir de 1975 des déficits budgétaires dans la plupart des pays occidentaux. La persistance de ces déficits au cours des années et décennies qui suivent obligent les Etats à des emprunts d’où la constitution de dettes publiques de plus en plus élevées. Le paiement des intérêts de la dette absorbe une part de plus en plus importante des recettes budgétaires. La manifestation la plus visible et la plus frappante de la crise pour les populations est la progression du chômage : en Europe occidentale, le chômage, inférieur à 3 % dans la décennie 1960, monte à 5,7 % en 1979 et à 10,3 % en 1995. Le chômage de longue durée (plus d’un an), quasi-inexistant jusqu’alors (moins de 1 %), touche de plus en plus de personnes, en particulier les jeunes. Malgré la reprise de 1976, le chômage continue à progresser, accroissant les tensions sociales et les dépenses des Etats.

La crise accélère les mutations économiques apparues dans les années 1960. Le vieux monde industriel issu du XIXe siècle est durement frappé : en France, les ouvriers n’occupent plus que 27 % des emplois en 1995 contre 35 % en 1975 ; le centre de l’Angleterre, le Nord de la France, la région des Grands Lacs américains, régions marquées par la première révolution industrielle, sont sinistrées. La tertiarisation de l’économie progresse (en France, 52,9 % des actifs en 1975, 68,4 % en 1993).

Les facteurs de la crise

La crise des années 1970-1980 est traditionnellement associée aux chocs pétroliers qui voient brusquement augmenter le prix du baril de pétrole. En réalité, la crise est due à un ensemble de facteurs :

  • La fin de l’effet de rattrapage des Trente Glorieuses : le taux d’équipement des foyers étant important à la fin des années 1960 (automobile, téléviseur, etc.), le marché est moins dynamique (effet de saturation).
  • La montée du chômage (autour de 1,5 % de chômeurs en France entre 1960 et 1965, plus de 2,5 % à partir de 1968).
  • L’inflation (hausse des prix) due à très forte demande qui pénalise (entre autres) le commerce extérieur.
  • La crise du modèle fordiste (pénibilité du travail de moins en moins acceptée : turn-over dans les entreprises, grèves, absentéisme). La productivité se tasse à partir de la fin des années 1960.
  • Le coût de l’Etat social (cotisations, redistributions).
  • L’abandon de l’étalon or-dollar (issu des accords de Bretton Woods) en 1971 : les taux de change ne sont plus fixes.
  • La hausse du coût des matières premières (hausse du prix du pétrole de 22 % en 1971, quadruplement en 1973, multiplication par 2,7 entre mi-1978-1981).

La crise systémique qui frappe le monde occidental développé depuis les années 1970 n’est donc pas dû qu’aux chocs pétroliers, ceux-là ne faisant qu’aggraver une situation initiale déjà dégradée.

Les contestations du modèle capitaliste

Les effets de la crise renforcent une contestation du modèle capitaliste déjà présente lors des Trente Glorieuses. Dès les années 1960, des articles et études s’interrogent sur l’impact environnemental de la croissance économique. En 1972, une étude dirigée par l’américain Dennis L. Meadows, Limits to Growth, fait grand bruit, alertant sur les effets néfastes de la croissance rapide. A partir des années 1980, les questions environnementales entrent au cœur des préoccupations politiques des pays développés, et, en 1992, le sommet de la Terre à Rio vise à déterminer les moyens de mettre en place un développement durable (limitation des gaspillages, lutte contre le changement climatique, traitement des produits toxiques, etc.).

D’autre part se développe un discours altermondialiste dénonçant la libre-circulation des capitaux, l’hégémonie des Etats-Unis, les écarts de richesse dans le monde. Les militants altermondialistes militent pour une mondialisation « plus juste », par exemple en réclamant l’annulation des dettes des pays les moins avancés, un commerce équitable pour les pays en développement, ou en insistant sur la nécessité d’un développement durable.

Bibliographie :
BAIROCH Paul, Victoires et déboires, t. III, Paris, Gallimard, 1997.
BINET Alain (dir.), Le Second XXe siècle (1939-2000). Les 12 thèmes-clés, Paris, Ellipses, 2003.

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