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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

La révolution industrielle, l’urbanisation, les progrès scientifiques et techniques, la démocratie affectent grandement la vie culturelle dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le développement spectaculaire de l’instruction publique grâce aux lois Ferry permet l’émergence d’une culture de masse : un public de plus en plus large accède au savoir et à l’art. Les effets de cette instruction se perçoivent dans l’essor spectaculaire de la presse écrite. Dans les domaines littéraire, artistique et intellectuel, une grande diversité de courants apparaît, s’influençant les uns les autres ou s’opposant : réalisme, symbolisme, impressionnisme,…

L’école républicaine

L’Etat et l’éducation des masses

Sous Jules Ferry est mis en place un véritable système primaire et républicain, non brusquement mais progressivement afin d’accoutumer les Français (la politique des « petits pas »). En 1879 d’abord, pour améliorer la formation des maîtres, chaque département se doit d’ouvrir une école normale d’institutrices qui renforcera celle d’instituteurs (ouverte depuis la loi Guizot de 1833). Dans le même temps, l’Etat aide les communes à construire de nouvelles écoles : 80 000 seront bâties entre 1880 et 1914 dans l’ensemble de la France. En 1880, le Conseil supérieur de l’instruction publique, lieu où l’on débat des programmes et des méthodes scolaires, est laïcisé avec l’exclusion des membres du clergé. En 1881, l’enseignement primaire public est déclaré gratuit, condition nécessaire pour le rendre obligatoire ; chose faite dès l’année suivante (1882). Cette même année, les programmes sont laïcisés (disparition du catéchisme), les élèves étant libérés le jeudi pour suivre une instruction religieuse si les familles le désirent. Le budget de l’Instruction publique passe de 27 à 98 millions de francs entre 1879 et 1889.

Le parcours scolaire

Les enfants sont scolarisés de 6 à 13 ans, l’instituteur ayant pour but de former le futur citoyen et adulte responsable. Cette scolarité est sanctionnée par le certificat d’études, alors très prestigieux : seuls les meilleurs élèves le passent (10 % d’une classe d’âge). Ce rite républicain symbolise la fin de l’enfance. Très vite, l’école primaire et ses stéréotypes entrent dans l’imaginaire collectif : les platanes dans la cour et le préaux, la distribution des prix à la fin de l’année, les coups de règle des instituteurs sur les doigts joints (etc.). Cet imaginaire sera matérialisé notamment dans le roman La guerre des boutons de Louis Pergaud (1913).

Quelques bons élèves peuvent poursuivre leur scolarité dans le primaire supérieur (13 à 16 ans), qui est un complément d’études se terminant par le brevet d’études primaires. Ce brevet permet de passer le concours d’instituteur. A la fin du XIXe siècle, le primaire supérieur rassemble 40 000 garçons et 20 000 filles. Vient ensuite le secondaire qui marque l’accès à la culture classique (200 000 personnes y sont passés à la veille de la Grande Guerre), sanctionné par le baccalauréat. Cet enseignement très élitiste tourne autour des humanités (lettres classiques : latin, grec), les matières scientifiques étant peu présentes. Au début du XXe siècle, la part des sciences, des lettres modernes et des langues vivantes sera plus importante (1902 : création d’une filière lettres-sciences). Au niveau du supérieur coexistent les grandes écoles (Polytechnique, Ponts et Chaussées, école des mines, etc.), les universités publiques (divisées entre facultés professionnelles qui prennent le gros des effectifs – médecine, pharmacie, droit – et les facultés de lettres et de sciences) et les universités privées (instituts catholiques essentiellement).

Un instrument d’intégration sociale et nationale

L’instruction des masses a pour but essentiel de former des citoyens républicains, de les rendre aptes aux nouvelles formes de vie politique et empêcher toute contestation de forme révolutionnaire. L’école est aussi le lieu de formation d’une culture nationale commune en imposant notamment l’apprentissage du français au détriment des langues régionales.
L’école doit aussi développer l’esprit patriotique : « Enfant, tu dois aimer la France, parce que la nature l’a faite belle et parce que son histoire l’a faite grande » dit la préface du manuel de Lavisse, répandu à des millions d’exemplaires et couramment réédité. A travers de grandes figures nationales (Vercingétorix résistant à César, Clovis et le vase de Soissons, Charlemagne visitant les écoles, le panache blanc d’Henri IV, le serment du Jeu de Paume,…) et la géographie (villes, paysages), les manuels tentent de former de futurs patriotes capables du sacrifice ultime pour la patrie. Les maîtres, outre l’enseignement de la lecture, de l’écriture et du calcul, enseignent également des rudiments de sciences naturelles (à travers des expériences), des notions de droit et d’économie politique, des éléments de dessin, le chant, la gymnastique et dispensent l’instruction morale et civique.

L’émergence d’une culture de masse

L’imprimé

Les dernières décennies du XIXe siècle sont marquées par le triomphe du livre et du journal, porté par les progrès de l’alphabétisation, les améliorations techniques et la liberté de la presse. Le public est de plus en plus large : en 1914 en France, seulement 3 à 4 % des conscrits ne savent pas lire. La chute du prix du papier et les progrès en matière de fabrication permettent une baisse considérable du prix des livres (les prix ont néanmoins tendance à remonter à la Belle Epoque du fait des coûts d’investissement et de l’augmentation des salaires dans l’édition). Les maisons d’édition se multiplient (Fayard est fondé en 1857, Flammarion en 1876, Grasset en 1907, Gallimard en 1911) et entrent dans une compétition symbolisée par la création des prix littéraires (Goncourt, Fémina) auxquels les éditeurs envoie leurs auteurs. Le nombre de librairies triple entre 1840 et 1910.

Du côté des journaux, les quotidiens provinciaux tiennent la première place (La Dépêche de ToulouseLe Lyon républicainLe Petit Marseillais,…). Les quotidiens nationaux connaissent un essor remarquable avant 1914, devenant plus complets, augmentant le nombre de tirages et étant mieux illustrés. Les nouvelles de politique intérieure, les reportages à l’étranger, les faits divers, les comptes rendus de procès, les rubriques sportives et les romans constituent l’essentiel du contenu. Le Petit Parisien tire à 1 550 000 exemplaires avant la guerre, le Journal à 985 000 et le Petit Journal à 850 000.

L’image et le son

La Belle Epoque est l’ère des images, sous toutes leurs formes : gravures, photographies et affiches publicitaires. Mais surtout, la fin du XIXe siècle voit l’apparition du cinéma. La première projection publique, organisée par les frères Lumière, a lieu le 18 décembre 1895 au Grand Café, boulevard des Capucines à Paris. Les premiers films, composés de séquences très courtes, relèvent davantage de la curiosité scientifique que d’un véritable divertissement. Montrant des paysages, des numéros de music-hall ou des scènes de rue, ils sont diffusés dans des lieux très différents : magasins, cirques, théâtres, music-halls, arrières-salles de café, fêtes foraines,… Rencontrant pendant un temps des difficultés (prix élevé et désintérêt provisoire de la bonne société), le cinéma continue à se développer avec des projectionnistes ambulants sillonnant la France. Au début du XXe siècle apparaissent les premières salles de cinéma. Désormais, les films consistent en des mises en scène (et non plus des vues) accompagnées d’un piano et d’une orgue et parfois des bruitages ; les séances s’allongent (on passe de trois quart d’heures à plus de deux heures).

Depuis 1887, le gramophone permet de reproduire un son à partir d’un disque. La radio (ou télégraphie sans fil – TSF) est mise au point en 1896 par l’italien Marconi et deviendra un média de masse dans les années 1920.

L’essor des loisirs

L’industrie du divertissement profite du développement du temps libre : les parcs d’attraction et les expositions universelles attirent toujours plus de monde. Grâce aux transports modernes, le tourisme n’est plus l’apanage des classes les plus aisées. L’Office national du tourisme est créé en France en 1910.

Le sport devient un loisir de masse, en tant qu’activité et spectacle. Jusqu’aux années 1880, il se cantonnait aux courses de chevaux, au canotage, à la pêche, au tir à l’arc, à la gymnastique et à l’escrime. La Belle Epoque voit l’apparition de nouvelles activités comme le football, le tennis, le cyclisme et l’alpinisme. En 1890 est créé une Fédération nationale des sociétés sportives. L’aspect élitiste du sport se manifeste par la recréation des Jeux Olympiques par Pierre de Coubertin en 1896 et la fondation du Tour de France par Henri Desgranges en 1903.

Les courants littéraires et artistiques

La réaction antiromantique

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Les Cribleuses de blé de Gustave Courbet (1854).

La première moitié du XIXe siècle avait été marqué par le mouvement romantique, qui ne disparaît pas pour autant complètement après 1850 et garde un certain nombre d’adeptes. Ainsi Victor Hugo continue à produire des Oeuvres de grande importance comme La légende des siècles en 1859 et Les Misérables en 1862.
Dès les années 1850, une réaction de rejet se fait jour soit au nom de l’art, soit au nom de la science. Théophile Gautier, pourtant ancien romantique, se fait le théoricien d’une nouvelle doctrine dans Emaux et Camées (1852) : « l’art pour l’art ». Le culte de la beauté et la perfection de la forme doivent être les seuls moteurs de l’art.

Le principal mouvement antiromantique est le mouvement réaliste touchant rapidement plusieurs domaines de l’art comme la peinture, la sculpture, le roman et le théâtre. Contre les thèmes historiques ou mythologiques du romantisme, les écrivains et peintres réalistes veulent reproduire objectivement la vie quotidienne (Les casseurs de pierre de Gustave Courbet en peinture, Madame Bovary de Gustave Flaubert en littérature). Après les années 1870, Emile Zola pousse au plus loin les principes du réalisme en tentant d’appliquer à la littérature les méthodes des sciences expérimentales (les Rougon-Macquart, 1871-1895).

Impressionnisme et symbolisme

La seconde moitié du XIXe siècle voit l’émergence de nouvelles formes artistiques comme l’impressionnisme qui au dessin préfère la couleur, l’impression d’ensemble à l’exactitude, la subjectivité sur le sujet. Le peintre doit rendre l’impression du moment en suivant sa sensibilité, et non la réalité telle que l’intelligence la conçoit. De grands peintres se distinguent comme Edouard Manet, Auguste Renoir, Claude Monet, Berthe Morizot, Sisley et Pissarro. Ce mouvement suscite de nombreuses critiques et railleries et nombre de ses représentants connaissent une vie difficile.
Face à l’impressionnisme naît l’école symboliste qui vise à rechercher des « correspondances » entre le réel sensible et la réalité profonde. Elle est représentée dans le domaine littéraire par Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud ou Stéphane Mallarmé ; en peinture par Puvis de Chavannes et Gustave Moreau.

Le scientisme

Le scientisme, né du positivisme d’Auguste Comte et de la philosophie évolutionniste d’Herbert Spencer, s’impose comme un courant de pensée majeur dans la seconde moitié du siècle. Ce mouvement se caractérise par sa confiance absolue en la science, discipline capable de résoudre tous les problèmes, élucider tous les mystères, servir de « religion de substitution ». L’Avenir de la science d’Ernest Renan, ouvrage publié en 1890, représente particulièrement bien cette pensée.
Le mouvement décline à partir des années 1890 lorsque la « toute-puissance » de la raison est remise en cause par un nombre croissant d’intellectuels dont le philosophe Henri Bergson est le plus illustre représentant (Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889). Dans les arts, le déclin du scientisme se manifeste par le mouvement symboliste. Plus tard, les découvertes d’Albert Einstein et de Max Planck remettront en question certaines « certitudes scientifiques ». La religion et la spiritualité vont être remises au goût du jour.

Bibliographie :
Baecque, Antoine de ; Mélonio, Françoise. Histoire culturelle de la France – 3. Lumières et liberté. Seuil, 1998.
Barjot, Dominique ; Chaline, Jean-Pierre ; Encrevé, André. La France au XIXe siècle. 1814-1914. PUF, 2008.
Rioux, Jean-Pierre ; Sirinelli, Jean-François. Histoire culturelle de la France – 4. Le temps des masses. Seuil, 2005.

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