Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

En 747, un large mouvement de révolte, dirigé par Abu Muslim, apparait en Iran contre la dynastie omeyyade. Ce soulèvement, qui a pour but de confier le califat à Abu al-Abbas, arrière arrière petit-fils de al-Abbas, s’étend et confie le califat à Al-Abbas, proclamé calife sous le nom d’al-Saffah (749). L’année suivante, le califat omeyyade est renversé.

L’évolution politique

Les débuts du califat abbâside

Malgré sa victoire, l’autorité du nouveau califat est encore fragile et le nouveau régime suscite de la méfiance. En 756, l’Espagne d’Abd al-Rahmân, petit-fils du calife omeyyade Hishâm, fait sécession et fonde un émirat indépendant.
Ce sont les califes al-Saffâh (750-754) et al-Mansûr (754-775) qui installent le nouveau régime sur des bases plus solides. Le vizir Abû Salama (Iraq) et Abû Muslim (qui a porté al-Saffâh au pouvoir), jugés trop puissants et donc potentiellement dangereux sont assassinés. Al-Mansûr élimine également ses partisans les plus extrémistes et ordonne l’exécution de plusieurs centaines de rebelles. Les premiers califes abbâsides continuent également la lutte contre les shî’ites et les khâridjites.

A l’extérieur, les premiers califes tentent d’organiser des rebellions en Espagne contre le dissident Abd al-Rahmân Ier et adressent des ambassades au roi franc Pépin le Bref puis Charlemagne afin de s’allier contre leurs ennemis communs : Cordoue et Byzance. Des offensives contre Byzance sont menées, en particulier entre 786 et 809, mais sans résultat significatif. Les villes et forteresses de la frontière sont renforcées.

En 762, le calife al-Mansûr transfère la capitale de l’Empire à Bagdad (Iraq). Au cœur de la nouvelle capitale se trouve la ville ronde, dont la construction, pensée par des astrologues et architectes, a pour ambition de symboliser la nouvelle politique califale. A cet endroit se trouvent le siège du gouvernement, la Cour du calife, son harem et sa garde personnelle. Quatre portes tournées vers des régions voisines symbolisent l’universalisme du califat. Pour des raisons de sécurité (risques de soulèvement, frictions entre la garde turque et la population de Bagdad), le calife al-Mu’tasim s’exilera à une centaine de kilomètres au nord en 836, à Samarra.

Les califes et l’administration

Jusqu’au milieu du IXe siècle, l’empire abbâside connait de longues périodes de stabilité et de prospérité pendant lesquelles d’importantes réformes sont entreprises. Les califes al-Mansûr (754-775), al-Rashîd (786-809) et al-Ma’mûn (813-833) se distinguent comme de grands souverains avec des règnes marqués par la stabilité sociale et politique. La succession d’al-Rashîd entraîne toutefois une grave guerre civile causée par l’opposition de ses deux fils, al-Amîn et al-Ma’mûn. Après la mort du calife al-Mutawwakil (861), les souverains se montrent généralement médiocres et ne règnent pour bon nombre d’entre eux que quelques années voire quelques mois (comme al-Muntasir ou al-Muhtadî).

Par rapport à l’ère omeyyade, l’époque abbâside prend une tournure beaucoup plus religieuse : les noms des souverains sont toujours des attributs (par exemple al-Rashîd, « le bien dirigé par Dieu »), les mosquées sont restaurées (à La Mecque, Médine, Jérusalem) et le calife prend le titre d’imâm, guide de la communauté des croyants (umma). Il adopte en outre les insignes du Prophète : le manteau, la lance et le sceau, symbolisant son pouvoir spirituel et temporel. Une inquisition est mise en place pour contrer les diverses hérésies.

Le calife transfère une partie de son pouvoir au vizir, choisi par le calife. Dans un premier temps plutôt honorifique, le vizirat devient de plus en plus important et finit par désigner la tâche de chef du gouvernement. Pour éviter qu’ils ne prennent trop de pouvoir, les vizirs sont changés régulièrement. L’administration, dirigée par le vizir, composée d’un grand nombre de bureaux (bureau de l’impôt foncier, bureau des domaines, bureau du trésor,…) ; et l’armée, comprenant deux éléments distincts : l’armée régulière et la garde du calife (qui finit par être composée de Turcs), constituent les piliers de l’empire.

Troubles et déclin

A partir de la moitié du IXe siècle, le califat abbâside est confrontée à des difficultés intérieures graves. Une période d’anarchie débute après l’assassinat de al-Mutawwakil (861) par son fils aîné al-Muntasir : les gardes turcs contrôlent la capitale et font et défont eux-mêmes les califes. L’empire se fragmente, de petits territoires autonomes apparaissant, notamment en Iran ou en Egypte. Aussi, Byzance reprend l’offensive au cours du Xe siècle et récupère des anciens territoires perdus (Bari en 871, la Crête en 961 et Antioche en 969). Le gouvernement augmente progressivement le budget de l’armée à un tel point que les dépenses militaires finissent par constituer la moitié des dépenses de l’Etat vers 900. Les militaires se voient accordés le droit de prélever l’impôt. Le mécontentement de la population s’accroît face à une armée multipliant les abus et l’opposition face au califat croît d’une façon importante.

Le calife perd peu à peu son pouvoir temporel au profit de l’armée et de ses chefs militaires, n’étant réduit qu’à son rôle spirituel et représentatif. Des graves difficultés religieuses apparaissent autour du mu’tazilisme (école de pensée visant à concilier Islam et rationalisme grec) officialisé par le calife al-Ma’mûn puis réfuté et combattu par les juristes. Les mouvements mystiques sont en plein essor, notamment le soufisme. Ce courant, d’abord toléré par les califes, devient rapidement dangereux et se voit violemment combattu. Le shî’isme reprend une nouvelle vigueur, sa propagande atteignant même le pouvoir avec l’accession au poste de vizir du shî’ite Alî ibn al-Furât (exécuté en 924).

Enfin, les inégalités sociales entraînent de nombreux soulèvements :

  • Une première révolte, menée par Yahyâ ibn Umar, éclate à Kûfa en 864 et gagne rapidement Bagdad. Une répression violente est menée et le chef est décapité.
  • L’année suivante, un soulèvement a lieu à Bagdad, regroupant soufis et artisans des faubourgs. Elle est violemment réprimée la même année.
  • Des révoltés plus à l’Est, dans le Tabaristan parviennent à établir un émirat dissident qui durera jusqu’au XIIe siècle.
  • En 869 se déclenche un soulèvement majeur des Zandjs, esclaves soudanais présents en Iraq et frappés par la misère, sous la direction d’Ali ibn Muhammad. La propagande shi’îte avec ses idées égalitaristes rencontre un vif succès auprès des esclaves. Basra est détruite en 871 et Bagdad attaquée en 878. La plupart des Zandjs ne seront exterminés qu’en 883, le califat ayant perdu le contrôle de la province. Le dernier chef périt supplicié en 893.
  • En 890 débute une importante révolte des Qarmates, au sud de l’Iraq, du nom du meneur : Hamdân Qarmat. Vers 900, ses partisans menacent la Syrie et installent un siège devant Damas. Hamdân est capturé et exécuté en 903 mais sa mort ne met pas fin au mouvement. Abû Tâhir Sulaymân, un des nouveaux chefs, mène une razzia contre Basra en 918 et capture La Mecque (930) où il enlève la pierre sacrée de la Ka’ba. Cette provocation déclenche une dure guerre contre les Qarmates qui ne sont soumis qu’en 950 (la pierre est rendue en 952).

A partir de la moitié de la moitié du Xe siècle, le monde musulman, morcelé politiquement, affecté par les troubles d’Orient et la menace byzantine, commence à rentrer dans une période de déclin durable tant au niveau politique que culturel. L’âge d’or du monde musulman est passé, tandis que l’Occident chrétien entame un essor remarquable. Ce ne sera cependant qu’en 1258 que les troupes mongoles, assiégeant Bagdad et mettant la ville à sac, tueront le dernier calife abbâside de Bagdad, al-Mustasim. Un survivant de la famille abbâside se réfugiera en Egypte où il sera proclamé calife par les Mameluks.

La civilisation arabo-musulmane sous les abbâsides

La société arabo-musulmane

Sous le régime abbâside, les villes poursuivent l’essor urbain considérable commencé sous les Omeyyades. Alors que les plus grandes villes d’Occident ne dépassent pas les 20 000 habitants, de nombreuses villes du monde arabo-musulman atteignent plusieurs centaines de milliers d’habitants telles Bagdad (un demi-million d’habitants), Kairouan, Fustât ou Samarcande. Ce développement des villes aboutit plusieurs fois à des catastrophes humaines du fait des épidémies (plusieurs dizaines de milliers de morts à Bagdad entre 919 et 948). Les fonctions des grandes villes sont multiples : elles servent à la fois de centres politiques, économiques, militaires, judiciaires et culturels. Dans les campagnes, la production connait un essor considérable dû surtout à l’extension des zones cultivées et non à une amélioration significative des techniques agricoles.

Un phénomène marquant de l’époque abbâside est l’intensification de l’esclavage, que ce soit des Francs, des Slaves, des Noirs ou des Turcs. Les grandes guerres de conquête étant terminées, un important commerce d’esclaves voit le jour. L’ethnie joue un rôle considérable dans l’emploi des captifs : les Noirs sont généralement domestiques, les femmes noires nourrices, les Slaves musiciens ou eunuques pour les harems, les Turcs militaires. La condition des esclaves des campagnes est bien souvent peu enviable (comme celle des Zandjs, esclaves noirs du Soudan ou de Zanzibar employés dans les plantations d’Iraq) bien qu’elle puisse varier considérablement en fonction du maître. Si l’affranchissement est conseillé par le Coran, dans les faits cette pratique n’est pas très répandue pour des raisons économiques.

Le commerce et les activités économiques

L’essor des villes sous les abbâsides entraîne un accroissement de la demande et l’Iraq va constituer pendant près de deux siècles la plaque tournante du commerce international. Les activités économiques sont facilitées par le gouvernement qui trouve des moyens de contourner la législation coranique défavorable au prêt à usure. De nouvelles monnaies apparaissent aux côtés du dînâr et du dirham comme le qirat (1/24 de dînâr) et la habba (1/72 de dînâr). De nombreux ports se développent sous l’impulsion des souverains tels Tunis, Acre, Tripoli, Basra ou Sîrâf. Le réseau de communication est en bon état, composé d’anciennes voies romaines ou de traditionnelles pistes de caravanes. Les marchands commercent aussi bien avec Byzance (où ils ramènent des tissus de luxe et des pièces d’orfèvreries) qu’avec l’Inde (or, fer), les pays Slaves (esclaves, fourrures, miel, épées) ou l’Afrique (esclaves, ivoire, bois, fauves et perles).

Une floraison artistique et scientifique

Le déplacement de la capitale à Bagdad favorise une certaine « orientalisation » des arts (influence perse). La littérature se développe d’une manière importante. Dans le domaine poétique, le plus grand poète est Abû Nuwâs (mort vers 815), dont les domaines de prédilections sont l’amour et le vin. La poésie érotique et bachique connait un véritable essor avec de multiples personnalités telles Muslîm ibn Walîd, Abbâs ibn Ahnaf, Husayn ibn Dahhâk,… L’Histoire et la géographie intéressent aussi vivement les esprits du temps : c’est à cette époque que plusieurs auteurs procèdent au regroupement des hadiths pour écrire une biographie du Prophète (Ibn Ishâq, Ibn Hishâm, al-Wâqidî). Les grands historiens abbâsides sont Ibn Qutaîba (Livre des connaissances profanes, encyclopédie de l’histoire mondiale), al-Ya’qubî et al-Balâdhurî (principal informateur des historiens sur les conquêtes arabes). La nécessité de connaître les provinces de l’Empire et des mondes lointains pour l’administration et le commerce favorise l’émergence d’une géographie arabe. Les principaux représentants de cette géographie sont Ibn Khurradâdhbih, Ibn Rustah et Qudâma.

En science, les califes mènent une politique visant au développement du savoir. Philosophie, médecine, astronomie et mathématiques connaissent un réel essor. Durant les IXe et Xe siècles, de nombreux textes grecs sont traduits en langue arabe, notamment ceux d’Aristote, de Platon, d’Euclide et de Galien. Les chrétiens arabophones prennent une part importante de la traduction. Lettrés, penseurs et traducteurs se réunissent pour travailler dans une bibliothèque connue sous le nom de la Maison de la Sagesse (Dâr al-Hikma). Les philosophes abbâsides s’intéressent particulièrement à la philosophie néo-platonicienne notamment avec al-Kindî, al-Râzî, al-Fârâbî (principal commentateur d’Aristote) et Ibn Sînâ.

Bibliographie :
SÉNAC Philippe, Le monde musulman. Des origines au XIe siècle, Paris, Armand Colin, 2007.
MAZZOLI-GUINTARD, Gouverner en terre d’Islam. Xe-XVe siècle, Rennes, PUR, 2014.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *