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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Après sa victoire sur l’empire carthaginois (201 av. J.-C.), Rome consolide ses positions en Méditerranée et acquiert de nouveaux territoires. La cité se met à mener une politique extérieure de type impérialiste, intervenant lorsque sa suprématie se voit menacée. Au niveau institutionnel, la cité s’engage dans la voie d’un régime oligarchique où la noblesse sénatoriale détient un quasi-monopole des magistratures. Défendant ses intérêts, cette noblesse se refuse à toute réforme, refus qui ouvre la voie à des illégalités et à l’appel d’hommes d’exception.

La République conquérante

L’extension des territoires

La défaite de Carthage ouvre une nouvelle ère dans l’histoire romaine. Menacée même dans son existence, Rome va faire en sorte qu’aucune puissance méditerranéenne ne puisse plus la concurrencer. A cet objectif s’ajoutent les ambitions des aristocrates et l’appât des profits de guerre. Cet ensemble de facteurs conduit la République à mener une politique belliciste voire « impérialiste ». Rome change aussi de politique en passant d’une manière progressive de la domination indirecte à la conquête des territoires, transformés en provinces et confiés à un préteur ou à un promagistrat (proconsul ou propréteur). Ces provinces se multiplient : l’Africa Vetus (146) et la Cyrénaïque (74) en Afrique du Nord, les provinces Citérieure et Ultérieure (197) dans la péninsule ibérique, la Narbonnaise (120) en Gaule, la Macédoine (148) en Grèce, l’Asie (129) et la Cilicie (101) au Moyen-Orient. L’ensemble de ces conquêtes génère un afflux considérable de richesses du fait des revenus réguliers, des amendes, des indemnités de guerre et des pillages.

Les difficultés en Afrique, en Grèce et en Ibérie

En Afrique, le redressement de Carthage s’opère rapidement malgré une histoire politique mouvementée dans les décennies qui suivent la fin de la deuxième guerre punique. Carthage développe l’exploitation de ses terres intérieures grâce à l’agriculture irriguée tandis qu’à nouveau, ses navires sillonnent la mer. Néanmoins, elle se trouve sous la surveillance du roi numide Massinissa (203-148), allié des Romains. Vers 153, le romain Caton l’Ancien dirige une mission d’inspection à Carthage et est frappé par le relèvement de la cité. A Rome, il alarme les sénateurs et les convainc de détruire la ville. Après une dure campagne (149-146), Scipion Emilien (consul en 147) prend Carthage et la brûle. La disparition de la cité n’entraîne pas celle de la civilisation : de nombreuses villes puniques étaient déjà passés, ou passent lors de la guerre, dans le camp romain, apportant et diffusant la culture punique.

En Grèce, le Nord de la péninsule balkanique se montre peu obéissante. Suite à la victoire du romain Paul Emile sur Persée de Macédoine à Pydna en 168, les Romains renforcent leur présence et défendent leurs intérêts. Cet interventionnisme mal supporté conjugué à des difficultés économiques entraîne plusieurs troubles sociaux. En 148 les populations se révoltent en Macédoine ; deux ans plus tard c’est le Péloponnèse qui est en proie à une insurrection. Ces soulèvements font l’objet d’une dure répression et se terminent par la destruction de la ville de Corinthe (146) afin de frapper les esprits.

Dans la péninsule ibérique, la création des deux provinces romaines (Citérieure et Ultérieure) remonte à 197. Les autochtones continuent néanmoins après cette date à opposer une farouche résistance pendant une douzaine d’années. En 180, la péninsule est pacifiée et un calme relatif règne jusqu’en 155. A partir de 155, les Celtibères et les Lusitaniens se soulèvent et infligent de cuisantes défaites aux légions romaines. En Lusitanie, Viriathe fédère plusieurs peuples et mène une guerre acharnée contre les Romains pendant plus d’une dizaine d’années. Les généraux romains n’en viennent à bout qu’en soudoyant ses lieutenants qui l’assassinent. En 133, la prise de Numance (dans l’Aragon actuel) après un long siège termine la pacification de la péninsule.

La noblesse romaine

Les bases de la noblesse

Le noble à Rome est quelqu’un connu pour ses mérites mais surtout pour son origine familiale. La noblesse (nobilitas) réunit toutes les grandes familles exerçant la puissance politique. Un homme nouveau (homo novus) est le premier homme d’une famille qui accède au consulat. Théoriquement, l’appartenance à l’ordre équestre ou à l’ordre sénatorial n’est pas héréditaire puisque les magistratures s’acquièrent par le suffrage populaire dans les assemblées centuriates. Dans les faits, un fils de sénateur ou de chevalier a de fortes chances de suivre le même parcours que son père. Ainsi, les magistratures curules, en particulier le consulat, sont accaparées par un nombre étroit de familles : de 233 à 133, les deux cents consuls (deux consuls par an) sont issus de 58 familles et cinq d’entre elles concentrent 52 consulats (les Cornelii, les Aemilii, les Fulvii, les Postumii et les Claudii Marcelli) ; de 200 à 146, seuls quatre hommes nouveaux accèdent au consulat.
Le noble doit être nécessairement fortuné pour assumer les frais de campagnes électorales, l’absence de rémunération des magistratures et l’entretien de ses clients et de son train de vie. La clientèle, avec la fortune, est également une des bases de la puissance nobiliaire. Les liens de clientèle se manifestent par l’assistance en justice (dans les deux sens) et par la fourniture du minimum vital (argent et panier-repas). La clientèle permet au noble de disposer de tout un réseau de correspondants et d’informateurs et d’un appui pour ses projets politiques.

L’exercice du pouvoir

L’évolution de la carrière du jeune noble s’est peu à peu codifiée : après dix ans de service militaire, il peut briguer la questure à 27 ans (gestion du Trésor public, des archives, adjoint du consul) et a la possibilité de devenir plus tard édile (surveillance des marchés, de l’approvisionnement, entretien des rues,…) et préteur (exercice de la justice, quelques pouvoirs militaires) avec deux ans d’intervalle imposés entre deux magistratures. Il peut atteindre le consulat à 36 ans minimum d’après la loi Villia Annalis de 180 (assez mal connue). Les âges minimum reposent sur une croyance en la sagesse et l’expérience de l’âge. A partir de 151, les magistratures ne peuvent plus être renouvelées. En province, certains préteurs et consuls voient leurs charges prolongées lorsqu’ils sont engagés dans une opération militaire ; le Sénat décide que cette prolongation ne pourra pas excéder trois ans. De nouveaux postes de préteurs sont créés dans les provinces.

Le Sénat, assemblée de 300 membres héritée de l’époque royale, est composé d’anciens magistrats. La liste officielle des sénateurs, renouvelée tous les 5 ans, est l’œuvre des censeurs qui peuvent exclure de l’assemblée tout membre qu’ils jugent indignes. Le Sénat a des compétences multiples : l’autorisation de nouveaux cultes, l’édification des temples, le contrôle des finances de l’État, le vote des sommes alloués aux magistrats,… C’est aussi l’instrument de domination de la noblesse romaine qui y défend ses privilèges.

Les prémices de la crise de la République

Les troubles politiques et sociaux

L’aristocratie sénatoriale défend vigoureusement son monopole du pouvoir. Son hostilité aux « hommes nouveaux » empêche le renouvellement et le rajeunissement d’une classe gagnée par l’immoralité et l’incompétence. Un certain nombre de grandes familles s’éteint du fait de la stérilité de quelques-uns de leurs membres : l’adoption de Scipion Emilien par les Cornelii arrête la lignée de Paul Emile et l’adopté n’a pas de descendance ; la mère des Gracques, malgré ses douze enfants, dont deux fils nantis, ne voit probablement aucun de ses petits-fils parvenir à l’âge adulte. Les familles entrent en rivalité pour l’exercice du pouvoir, et ce, parfois aux dépends de l’intérêt de la République romaine. Certains nobles enfin n’hésitent pas à se se mettre au-dessus des lois comme Manlius Vulso qui attaque impunément les Galates en 189 ou Lucius Licinius Lucullus, vers le milieu du IIe siècle, qui soumet les Cantabres et les Vaccéens en Ibérie sans l’accord du Sénat.

A la confiscation du pouvoir par l’ordre sénatorial s’ajoutent plusieurs changements profonds qui annoncent une crise interne à la République romaine. La classe moyenne des petits propriétaires tend à se réduire. Les citoyens pauvres et les Italiens sont exclus de l’ager publicus, terre exploitée par une minorité de riches Romains. Des révoltes d’esclaves éclatent en Sicile puis en Italie. Au sein de l’armée, le recrutement se fait davantage sur la base du volontariat sans tenir compte du classement censitaire, et les citoyens pauvres y deviennent de plus en plus nombreux, et attendent des imperatores butin et terres.

Les Gracques

En 133, Tiberius Sempronius Gracchus, un membre d’une grande famille famille de la noblesse plébéienne, est élu tribun de la plèbe en 133. Influencé par les philosophes grecs, il conçoit un projet de grandes réformes. Il fait voter comme tribun une loi agraire qui limite l’étendue des terres occupées sur l’ager publicus (domaine de l’Etat) et qui redistribue le surplus aux citoyens pauvres afin qu’ils exploitent ces terres. La loi suscite une farouche opposition chez les sénateurs. Certains puissants, dont des sénateurs, s’estiment lésés. Un autre tribun de la plèbe, Octavius, s’oppose à la réforme et se voit, pour cette raison, destitué sur la demande de Gracchus. Or, cette décision est illégale car les tribuns de la plèbe ne peuvent pas être démis selon le droit romain. La loi est votée et Gracchus se représente au tribunat de la plèbe afin de la mettre en application. Il s’agit d’une autre illégalité car il n’est pas possible de réitérer immédiatement la même fonction. Bafouant la loi romaine, Tiberius Sempronius Gracchus est assassiné au Capitole au cours d’une émeute.

Dix ans plus tard, son frère Caius Gracchus, élu lui aussi tribun de la plèbe, reprend le projet de loi agraire et l’insère dans un ensemble de mesures plus large, afin de gagner l’appui des chevaliers, de la plèbe urbaine et des Italiens. Il est à nouveau tribun en 122 mais sa politique suscite à nouveau une ardente opposition. Le Sénat, gardien de l’Etat, place Caius Gracchus hors-la-loi. En 121, ce dernier est assassiné avec plusieurs centaines de ses partisans. Les Anciens font remonter le début de la crise de la République en 133, date de l’accession des Gracques au principat, accusés de démagogie et de vouloir fonder une tyrannie appuyée sur la plèbe.

Bibliographie :
CHRISTOL Michel, NONY Daniel, Rome et son empire, Paris, Hachette supérieur, 2007.
BORDET Marcel, Précis d’histoire romaine, Paris, Armand Colin, 1998.
LE GLAY Marcel, VOISIN Jean-Louis, LE BOHEC Yann, Histoire romaine, Paris, PUF, 2005.

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