Les Heures perdues de Pierre Barth�s, r�p�titeur en Toulouse,

ou les choses dignes d'�tre transmises � la post�rit� arriv�es en cette ville ou pr�s d'icy

Juillet [1753]

Pendaison

Le 4e de ce mois � cinq heures de l'apr�s midy, on pendit � la place St. George une fille du c�t� du Vivar�s appell�e Margueritte � de l'�ge de 16 � 17 ans et fort gentille, convaincue d'avoir fait p�rir son enfant dont elle venoit d'accoucher ... cette jeune personne, dont tout le monde plaignoit le sort eu �gard � sa jeunesse, et fort r�sign�e � mourir comme il parut � tous, nous est un exemple bien sensible des malheureuses suites d'une flame impure et d'une incontinence d�mesur�e qui ne produisent t�t ou tard que de la honte et de l'infamie.

Pendaison singuli�re et inou�e

Si les vertus des grands hommes doivent �tre transmises � la post�rit� pour exciter les gens de bien � les imiter dans les actions d'�clat�; les faits, et la mauvaise conduite des plus grands sc�l�rats peuvent de m�me �tre mises sous les yeux de nos descendans, tant pour leur apprendre � �viter le vice et � le d�tester partout o� il se trouve, tant par la crainte de la justice des hommes qui n'est que l'instrument des vengeances du ciel, que pour leur enseigner � respecter les loix divines et humaines.
Donc le vendredy 6e de ce mois, on pendit � la m�me place un fort bel homme de sa figure, protestant de religion, de la ville de St. Hippolite ou d'Alais dans les C�venes, apell� Fran�ois Vallier, convaincu d'avoir viol� une fille de six ans huit mois et condamn� par sentence des officiers de la justice de Villeneuve-l�s-Avignon, o� il fut pris dans un bois plant� d'oliviers o� il commit le crime, et l'arr�t de ce Parlement confirmant la sen[ten]ce mis � ex�cution cejourd'huy.
Cet homme de l'�ge de 44 � 45 ans a jou� la justice toute une apr�s midy de la mani�re la plus comique. Libre de tous ses sens, sans confusion, et sans trouble, il envoya chercher Mr. le Pr�sident � la maison de ville. Ce juge ayant eu la complaisance de s'y rendre et n'ayant entendu que de pauvret�s, le laissa ayant donn� ordre de le conduire au supplice sans d�lay, �tant arriv� � St. Etienne, selon la coutume, il ne voulut jamais faire amande honnorable disant ne vouloir pas pardonner la justice qui sauvoit les assassins et les volleurs et condamnoit les innocens et jetta dans la foule la tabati�re du confesseur.
Venu � St. George au pied du gibet, on le fit mettre � genoux, o� sans regarder le crucifix ni �couter le p�re S�rane (qui suoit � grosses goutes, tant par la v�h�mence du chaud, qui �toit extr�me ce jour l�, que par la peine que ce pr�venu luy donnoit n'ayant jamais voulu confesser), il parloit � tout le monde sans �couter les capitouls avanc�s pour recevoir le testament de mort. Voyant donc qu'on n'avan�oit rien, on le fit monter ce qu'il fit avec gr�ce, et sans trouble, riant au contraire et disant au bourreau qui l'attachoit et le regardant faire, ��tu prends bien de pr�cautions��. Pr�t � �tre jett�, le p�re faisant tous ses efforts pour pouvoir le gagner, l'ex�cuteur luy dit ��malheureux tu vas perdre ton �me, profite de ce moment o� je vais te jetter�� ��jett�s moy�� luy r�pondit-il, avec un grand sans froid. Cependant, ayant dit qu'il vouloit se confesser, la justice s'�tant avanc�e, on le d�tacha, il descendit fort librement et s'�tant fait d�tacher les mains, on l'emena dans la maison o� loge un certain Larroque perruquier, entre Cathala l'h�te et Ch�tive, l� il reste une heure troix quarts et se fit porter � gouter. Etant sorti, on le mena � la potence, sans avoir pu le gagner, il monta toujours de m�me, libre et sain de jugement et d'esprit, �tant rattach�, et le p�re ne pouvant r�ussir � l'assujetir � ses exhortations, le bourreau de son c�t� perdant aussy son temps, malgr� sa ferveur et son z�le, cet homme se tournant vers le peuple � gauche dit en levant les mains et apellant encore les capitouls qui ne voulurent pas venir ��messrs je suis innocent comme l'enfant d'un jour��. L'ex�cuteur luy r�p�tant qu'il alloit le faire sauter�: ��et bien sautons�� dit-il, et s'�lan�a luy m�me.
Ce malheureux mourut dans ses erreurs, ne voulant pas profiter d'un moment si pr�cieux pour conserver son �me.

Homme le poignet coup� et br�l�

Le 7e de ce mois � 7 heures du soir au milieu de la place St. Georges, un homme de l'�ge de 50 � 55 ans, bien fait et extr�mement grand nomm� Pierre Boyer dit la bont�, convaincu d'avoir vol� de vases sacr�s et condamn� par sentence du s�n�chal de N�mes, le Parlement r�formant cette sentence, eut le poignet de la main droite coup� sur un pilotis plant� au pied d'un b�cher, et ensuite br�l� apr�s avoir �t� assis et �trangl� quoiqu'il eut �t� condamn� � �tre br�l� vif, le p�re S�rane ayant obtenu ce r�tentum pour ne pas le faire tant souffrir. Si le pr�venu d'hier, qui mourut victime de son h�r�sie, et qui fit jouer tant de ressorts, sans doute pour pouvoir s'�chapper, fut obstin� et r�solu, celluy-ci que plusieurs reconnurent pour avoir �t� sergent ou grenadier dans Bourbonnois fut autant r�sign� et repentant que tout le monde fut extr�mement satisfait de sa vertu et de sa patience. N[ot]a C'est le premier pr�venu dont nous ayons veu dans cette ville d�biter l'arr�t imprim� avant l'ex�cution.

Homme br�ll�

Le 12e de ce mois, par arr�t du Parlement, r�formant la sen[ten]ce des officiers de la comt� et baronnie de Chalan�on, le nomm� Etienne Maneval, pr�venu de crime de poison fut br�ll� apr�s avoir �t� �trangl� hors le fauxbourg St. Michel au lieu apell� La Croix de Desegaux. Cet homme qui avoit empoisonn� sa femme, deux enfans et quatre cochons, ne peut eschaper aux mains d'un Dieu qui ne laisse jamais le crime impuni et qui malgr� les d�tours et les feintes des coupables, les conduit t�t ou tard � une fin funeste.
C'est homme de l'�ge de 44 ou 45 ans �toit protestant selon la voix publique, cependant il parut � tous �tre fort r�sign� et souffrit son supplice avec beaucoup de constance.
N[ot]a L'arr�t de la Cour, qui �toit du 30e du mois pass�, fait d�ffenses � tous marchands �piciers, apotiquaires et autres de donner ni vendre du poison � qui que ce soit, qu'� des chefs de famille qui s'en chargeront sur un registre, � peine de punition corporelle.

Abbesse b�nie

Le 16e de ce mois, la dame Meaupou fille � Monsr. de Maupeaou premier pr�sident au Parlement de Paris, et belle s�ur � Mr. de Riquet Bonrepos procureur g�n�ral au Parlement de Toulouse, nomm�e depuis peu par le Roy � l'abbaye de Ste Claire d'Azile dans le dioc�se de Narbonne, fut b�nie dans la chapelle de messrs les p�nitens noirs de cette ville. L'�v�que de Lomb�s fit la c�r�monie � laquelle assist�rent Mr. l'�v�que de Commenges et la dame de Montilhet abbesse de Salenques de cette ville, ainsy qu'une grande quantit� de noblesse de tout sexe, pri�s � cette f�te par monsr. le procureur g�n�ral qui avoit dispos� toutes les choses pour cette brillante c�r�monie, ainsy que la musique compos�e des sujets des deux �glises, et de ceux de l'op�ra. Le concours y fut grand et le din� qu'on servit ch�s Mr. de Bonrepos fut splendide. L'abbaye que cette dame poss�de porte de revenu, selon le rapport de Mr de Basville dans les m�moires sur le Languedoc, la somme de mille �cus.

Mr. d'Argenson

Le 20e de ce mois jour de vendredy � 6 heures du soir, Mr. le marquis de Paulmy d'Argenson, secr�taire d'Etat de la guerre, neveu � Mr. d'Argenson ministre d'Etat, vint en cette ville pour de l� s'en aller aux eaux � Bar�ges. Mr. le premier pr�sident qui se disposoit depuis quelques jours � recevoir ce seigneur lui envoya son carrosse aupr�s des minimes, deux capitouls furent l'attendre � une lieue de la ville pour le complimenter. Les r�giments royal allemand cavalerie et Anjou aussy cavalerie qui �toint venus � Toulouse furent en ordre jusques � la salade pour le recevoir. Il entra par la porte d'Arnaud Bernard dans le carrosse de Mr. de Maniban ayant � son c�t� un seigneur de la ville et deux capitouls sur le devant, au milieu des deux r�giments, suivi d'un nombreux cort�ge de noblesse de Toulouse et de quantit� d'officiers des arm�es du Roy. Il a rest� 5 jours dans cette ville dans l'h�tel de Mr. le premier pr�sident. Il a pass� en reveue, comme �tant inspecteur g�n�ral de la cavallerie de France, les deux r�gimebts susd[its] au bas du quay dans la prairie, il fit escadronner ces messrs par des attaques � feu pour donner le plaisir aux dames et � une quantit� prodigieuse de peuple accouru pour voir ce qu'on n'avoit plus veu dans cette ville, extr�mement satisfait des belles mani�res et de la politesse de ce jeune seigneur qui est parti le 25 pour se rendre � Bar�ges, satisfait � son tour des honneurs qu'on luy a rendus pendant le temps qu'il a rest� en cette ville.

Accident funeste

Le m�me jour � l'entr�e de Mr. de Paulmy, Mr. de Lapeyrie voulant faire honneur au seigneur par des r�jouissances particuli�res ordonna qu'on pla�at sur le parap�t de la muraille de la ville, qui borde le chemin pr�s la porte de Matabiou, par o� on croyait qu'il devoit entrer, quelques boittes, les couleuvrines de la ville bordant l'autre c�t� par o� l'on monte au rempart. Pour cet effet, ayant mand�, comme �tant directeur des poudres, le ma�tre poudrier de ses moulins, qui avec le charpentier du magazin et le ma�tre salpetrier s'�tant mis en �tat d'ex�cuter cet ordre, il arriva que par l'imprudence de ces troix hommes, l'un d'iceux venant � frapper le bouchon d'une de ces boittes qui sont de fer, le marteau tombant � faux fit sortir une �tincelle qui venant � se communiquer au sac � poudre plac� tout proche y mit le feu, qui s'�tant pris � ces troix hommes en chemises en grilla totallement deux, et brulla les bras au Me poudrier. Les charpentier et salpetrier s'�tant vitte r�fugi�s au magazin o� sont les chaudi�res, ils s'y plong�rent dedans mais sans rem�de puisque on leur tira la chemise et la culote avec la peau en entier. Le charpentier mourut le lendemain dans des douleurs affreuses, le salp�trier toujours languissant et le ma�tre poudrier grill� jusques au dessus des coudes.

Volume 3, pp. 45-52.

Juin < Juillet 1753 > Ao�t

Accueil