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Les immigrants italiens aux Etats-Unis


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Modifié : 06/03/2018 à 17h49


Prenons un groupe d'Italiens au moment où ils débarquent, et suivons-les dans la vie nouvelle qu'ils vont commencer. Ils arrivent de Naples, et à l'entrée du port de New-York ils sont pris à bord de leur steamer, pour être transportés au moyen de grosses barques sur l'île d'Ellis où sont installés les bureaux de l'immigration. [...] La plupart d'entre eux sont des paysans sans instruction ; certains ont l'esprit contaminé de socialisme ou d'anarchie ; tous portent dans l'âme le pli héréditaire de la civilisation du vieux monde. Leur petit bagage à la main, ils défilent un par un devant les inspecteurs, répondent à la série des questions traditionnelles, ouvrent leur bourse et en étalent le contenu. S'ils sont admis, ils débarquent bientôt à New-York pour s'y fixer ou pour repartir plus loin. Restons avec ceux que la ville va garder. Dans la foule qui assiste à leur arrivée, sur le débarcadère du ferry-boat, ils reconnaissent un frère, un parent ou un ami, qui est venu à leur rencontre, tombent dans ses bras, et l'embrassent avec une naïve effusion, puis disparaissent dans les rues au milieu du fracas de l'elevated railway.

Mais ils ne connaissent ni la langue ni les usages du pays, et pour trouver du travail ils devront avoir recours au padrone. Italiens eux-mêmes, les padroni sont des intermédiaires entre les patrons et les immigrants. Avant la suppression du contractlabor, c'étaient eux qui embauchaient ceux-ci avant leur départ. Depuis ils se sont maintenus, et grâce à eux les nouveaux arrivants trouvent très rapidement du travail. En général, le padrone tient en même temps un boarding-house, où il les abrite et les nourrit. Enfin il est souvent banquier, reçoit du patron les salaires, les distribue aux ouvriers, ou les garde en dépôt dans la mesure où ceux-ci le désirent. [...] Le padrone leur rend beaucoup de services, mais il est en général malhonnête. Il prélève une forte commission sur leurs salaires, dont ceux-ci ne connaissent pas toujours exactement le chiffre. Son bureau est des plus primitifs, et quelquefois les comptes y sont inscrits à la craie sur le mur. Les Italiens, malgré ces abus, ont recours à lui à cause de leur ignorance. [...]

Les Italiens sont groupés à New-York dans deux quartiers qu'ils occupent exclusivement et dont l'un, fort pittoresque, a reçu le nom de Petite Italie. Ils ont au suprême degré l'esprit de clan. Il suffit de traverser une rue et l'on se trouve brusquement jeté au milieu d'eux. On n'entend plus parler qu'italien. Dans les cours des maisons, d'une fenêtre à l'autre, le linge sèche sur des cordes, tout comme à Gênes ou à Naples. Les boutiques portent des inscriptions italiennes, et presque tout y vient d'Italie. Ils ont leurs églises, leurs journaux, leur théâtre, leurs banques, et forment là une cité dans une autre cité ; chaque province occupe une zone déterminée, et les Napolitains ne sont pas mélangés aux Calabrais ou aux Siciliens. La jeune Italienne n'épouse presque jamais un Américain et ne quitte pas le quartier de ses compatriotes qui font bonne veille, et se montrent très jaloux de l'étranger qui approche d'elle, tant l'esprit de caste est développé chez eux.

La civilisation américaine n'a pas encore atteint ces émigrés d'hier. Transportés en Amérique, ils n'apprendront rien de plus que dans leur petit village d'Italie, et en resteront isolés jusqu'à leur mort. Certains retourneront dans leur pays quand ils auront amassé 800 à 1000 dollars. Beaucoup d'entre eux iront y passer l'hiver, qui est leur période de chômage, mais reviendront l'été suivant. Si toutefois les Etats-Unis n'ont pas la chance de faire d'eux des citoyens, il n'en sera pas de même de leurs enfants. La loi les obligera à envoyer ceux-ci aux écoles publiques et c'est là que l'américanisation s'effectuera.

Lucien Delpon de Vissec, « L'émigration européenne aux Etats-Unis », Revue bleue, avril 1903, pp. 530-531.




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