Au milieu du XIXe siècle, un parasite (le mildiou) attaque les pommes de terre en Irlande, légume largement cultivé. La maladie entraîne la ruine des cultivateurs irlandais et une grave crise démographique. Beaucoup d'Irlandais décident de fuir, principalement en direction des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni.
Depuis la maladie des pommes de terre, l'Irlandais est dégagé de son amour pour le sol. Il a peur de ne pouvoir vivre dans son pays ; il songe à faire fortune et espère trouver le bonheur sur une autre terre. Les national schools ont grandement élargi ses idées ; les nouvelles qui arrivent de l'autre côté de l'eau portent les imaginations au-delà des mers. Le vol tient actuellement dans les statistiques judiciaires la place que le meurtre occupait autrefois. Comment des populations si pauvres, auxquelles manque la subsistance journalière, trouvent-elles à se procurer les sommes nécessaires pour l'expatriation ? Au commencement, un grand nombre de propriétaires ont payé le passage des tenanciers, qui ruinaient la terre quand on la leur laissait cultiver, et qui, dans le cas contraire, menaçaient de représailles sanglantes. Les gardiens de la loi des pauvres ont été autorisés à accorder des passages gratuits aux plus malheureux. Chacun, à l'exception du clergé catholique, poussa à l'émigration. Chose singulière, ces émigrants semblent perdre l'ardeur de la foi religieuse en même temps que le sentiment national. Ils songent moins à léternité dès quils aspirent au bien-être sur cette terre. Cependant l'expatriation n'aurait pas eu les proportions colossales qu'elle a atteintes, elle ne s'accroîtrait pas sur une échelle chaque jour plus large, si l'émigration ne fournissait elle-même aux dépenses de l'émigration. Un des traits les plus honorables de la population irlandaise, cest le dévouement des fils pour leurs pères, cest l'esprit de charité qui anime tous ces malheureux : ils se secourent les uns les autres et partagent le repas de la misère. Dès qu'un Irlandais est débarqué en Amérique, il s'efforce de réunir la somme nécessaire pour payer le voyage d'un de ses parents et soutenir les autres en attendant. Le nouveau venu imite la conduite de celui qui l'a précédé, et en deux ou trois ans la famille entière est de l'autre côté de l'eau. Plus il y a de gens partis, plus il arrive d'argent pour en faire partir d'autres, car l'ouvrier irlandais trouve aux États-Unis un salaire élevé en même temps que des vivres à bon marché. Dans toutes les lettres écrites aux parents, qui circulent de main en main parmi les habitants de la paroisse, on retrouve toujours cette phrase : « Je gagne un dollar par jour, je mange du pain et de la viande, j'économise pour le passage dun tel ou dune telle. Si je n'ai pas écrit plus tôt, c'est que je n'ai pas voulu envoyer une lettre vide à mes parents. »
Jules de Lasteyrie, « L'Irlande depuis la dernière famine », Revue des deux mondes, juillet-septembre 1853, pp. 509-510.
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