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La famine de 1032-1033 en Bourgogne


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Modifié : 02/09/2015 à 11h52


Dans la suite des temps, la famine commença à désoler l'univers, et le genre humain fut menacé d'une destruction prochaine. La température devint si contraire que l'on ne put trouver aucun temps convenable pour ensemencer les terres, ou favorable à la moisson, surtout à cause des eaux dont les champs étaient inondés. On eût dit que les éléments furieux s'étaient déclaré la guerre, quand ils ne faisaient en effet qu'obéir à la vengeance divine, en punissant l'insolence des hommes. Toute la terre fut tellement inondée par des pluies continuelles que, durant trois ans, on ne trouva pas un sillon bon à ensemencer. Au temps de la récolte, les herbes parasites et l'ivraie couvraient toute la campagne. Le boisseau de grains, dans les terres où il avait le mieux profité, ne rendait qu'un sixième de sa mesure au moment de la moisson, et ce sixième en rapportait à peine une poignée. Ce fléau vengeur avait d'abord commencé en Orient. Après avoir ravagé la Grèce,il passa en Italie, se répandit dans les Gaules, et n'épargna pas davantage les peuples de l'Angleterre. Tous les hommes en ressentaient également les atteintes. Les grands, les gens de condition moyenne et les pauvres, tous avaient la bouche également affamée et la pâleur sur le front, car la violence des grands avait enfin cédé aussi à la disette commune. Tout homme qui avait à vendre quelque aliment pouvait en demander le prix le plus excessif, il était toujours sûr de le recevoir sans contradiction. Chez presque tous les peuples, le boisseau de grains se vendait soixante sous ; quelquefois même, le sixième de boisseau en coûtait quinze. Cependant, quand on se fut nourri de bêtes et d'oiseaux, cette ressource une fois épuisée, la faim ne s'en fit pas sentir moins vivement, et il fallut, pour l'apaiser, se résoudre à dévorer des cadavres, ou toute autre nourriture aussi horrible ; ou bien encore, pour échapper à la mort, on déracinait les arbres dans les bois, on arrachait l'herbe des ruisseaux ; mais tout était inutile, car il n'est d'autre refuge contre la colère de Dieu que Dieu même. Enfin, la mémoire se refuse à rappeler toutes les horreurs de cette déplorable époque. Hélas ! devons-nous le croire ? les fureurs de la faim renouvelèrent ces exemples d'atrocité si rares dans l'histoire, et les hommes dévorèrent la chair des hommes. Le voyageur, assailli sur la route, succombait sous les coups de ses agresseurs ; ses membres étaient déchirés, grillés au feu, et dévorés. D'autres, fuyant leur pays pour fuir aussi la famine, recevaient l'hospitalité sur les chemins, et leurs hôtes les égorgeaient la nuit pour en faire leur nourriture. Quelques autres présentaient à des enfants un œuf ou une pomme, pour les attirer à l'écart, et ils les immolaient à leur faim. Les cadavres furent déterrés en beaucoup d'endroits pour servir à ces tristes repas. Enfin ce délire, ou plutôt cette rage, s'accrut d'une manière si effrayante, que les animaux mêmes étaient plus sûrs que l'homme d'échapper aux mains des ravisseurs, car il semblait que ce fût un usage désormais consacré, que de se nourrir de chair humaine : et un misérable osa même en porter au marché de Tournus, pour la vendre cuite, comme celle des animaux. Il fut arrêté, et ne chercha pas à nier son crime ; on le garrotta, on le jeta dans les flammes. Un autre alla dérober pendant la nuit cette chair qu'on avait enfouie dans la terre ; il la mangea, et fut brûlé de même. [...]

Tous les visages étaient pâles et décharnés, la peau tendue et enflée, la voix grêle, et imitant le cri plaintif des oiseaux expirants. Le grand nombre de morts ne permettait pas de songer à leur sépulture ; et les loups, attirés depuis longtemps par l'odeur des cadavres, venaient enfin déchirer leur proie. Comme on ne pouvait donner à tous les morts une sépulture particulière, à cause de leur grand nombre, des hommes pleins de la grâce de Dieu creusèrent dans quelques endroits des fosses, communément nommées charniers, où l'on jetait cinq cents corps, et quelquefois plus quand ils pouvaient en contenir davantage. Ils gisaient là, confondus pêle-mêle, demi-nus, souvent même sans aucun vêtement. Les carrefours, les fossés dans les champs, servaient aussi de cimetières.

Raoul Glaber, Chronique, livre IV, chap. IV, Collection des mémoires relatifs à l'Histoire de France (1824, t. 6) par Guizot, pp. 306-309.




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