Lors de la séance du 23 février 1793, la Convention nationale adopta une proclamation au peuple français présentée par Isnard, enjoignant aux Français de se battre contre les tyrans. Le lendemain, la Convention décréta le levée de 300.000 hommes pour défendre la France contre les puissances étrangères.
Français, tel est le malheur d'un peuple qui s'est donné des rois, qu'il ne peut en secouer le joug sans entrer en guerre avec les tyrans étrangers. A peine vous proclamâtes votre souveraineté, que l'empereur et le roi de Prusse armèrent contre vous ; aujourd'hui que vous avez proclamé la république, tous les despotes ont juré votre ruine. Ceux qui ne vous ont pas déjà forcés à la guerre, ne temporisent peut-être que pour mieux vous tromper ; et il n'est que trop vrai que la France libre va lutter seule contre l'Europe esclave. Eh bien ! la France entière triomphera, si sa volonté est ferme et constante. Les peuples sont plus forts que les armées. Ceux qui combattirent pour établir leur indépendance furent toujours vainqueurs. Rappelez-vous les révolutions de la Hollande, de la Suisse,des États-Unis.
Les nations libres trouvent des ressources dans les plus grandes extrémités. Rome, réduite au Capitole, ne s'en releva que plus terrible. Voyez ce que vous avez fait vous-mêmes lorsque les Prussiens ont souillé votre territoire. Toujours l'enthousiasme de la liberté triomphe du nombre ; la fortune sourit à l'audace et la victoire au courage. Nous en appelons à vous, vainqueurs de Marathon, de Salamine et de Jemmapes. République naissante ! voilà tes modèles et le présage de tes succès. Tu étais réservée à donner à l'univers le spectacle le plus étonnant. Jamais cause pareille n'agita les hommes, et ne fut portée au tribunal de la guerre. Il ne s'agit pas de l'intérêt d'un jour, mais de celui des siècles... de la liberté d'un peuple, mais de celle de tous...
Français, que la grandeur de ces idées enflamme ton courage ! écrase tous les tyrans, plutôt que redevenir esclave. Esclave !... Quoi, des rois nouveaux s'engraisseraient encore de ton or, de tes sueurs et de ton sang !... Des parlements impitoyables disposeraient à leur gré de ta fortune et de ta vie !... Un clergé fanatique décimerait de nouveau tes moissons !... Un noble insolent te foulerait encore du pied de l'orgueil !... L'égalité sainte, la liberté sacrée, conquises par tant d'efforts, te seraient ravies !... Ce bel empire, héritage de tes ancêtres, serait démembré !... Quoi !... plus de patrie, plus de France !... Et la génération présente serait destinée à ce comble d'ignominie ! Elle aurait à rougir aux yeux de l'Europe et de la postérité !... Non, nous disparaîtrons de la terre, ou nous y resterons Français, indépendants. Allons... que tous les vrais républicains s'arment pour la patrie ; que le fer et l'airain se changent en foudres de guerre, et nos forêts en vaisseaux ; que la France, comme on l'a dit, ne soit qu'un camp, et la nation qu'une armée ! Que l'artisan quitte son atelier ; que le commerçant suspende ses spéculations. Il est plus pressant d'acquérir la liberté que les richesses ; que les campagnes ne retiennent que les bras qui leur sont nécessaires. Avant d'améliorer nos champs, il faut les affranchir. Que ceux qui ont quitté leurs drapeaux rougissent de laisser flétrir leurs lauriers ; que le jeune homme surtout vole à la défense de la république ; il est juste qu'il combatte avant le père de famille ; et vous, mères tendres, épouses sensibles, jeunes Françaises, loin de retenir dans vos bras les citoyens qui vous sont chers, excitez-les à voler à la victoire. Ce n'est plus pour un despote qu'ils vont combattre, c'est pour vous, vos enfants, vos foyers... Au lieu de pleurer sur leur départ, entonnez, comme les Spartiates, des chants d'allégresse ; et, en attendant leur retour, que vos mains leur préparent des vêtements et leur tressent des couronnes.
Amour de la patrie, de la liberté, de la gloire, passion conservatrice des républiques, source d'héroïsme et de vertus, embrasez les âmes !... Jurons tous sur le tombeau de nos pères et le berceau de nos enfants, jurons par les victimes du 10 août, par les ossements de nos frères, encore épars dans les campagnes, que nous les vengerons ou que mourrons comme eux.
Quant à vous, hommes opulents, qui, plus égoïstes que républicains, ne soupirez qu'après le repos, pour obtenir bientôt la paix, aidez-nous à vaincre. Si, amollis par l'oisiveté, vous ne pouvez supporter les fatigues de la guerre, ouvrez vos trésors à l'indigence, et présentez des défenseurs qui vous suppléent. Tandis que vos frères triomphaient dans la Belgique et aux Alpes, qu'aux prises avec les frimas, la faim et la mort, ils gravissaient des montagnes, escaladaient des remparts, vous dormiez dans les bras de la mollesse. Et vous refuseriez des secours pécuniaires ! L'or est-il donc plus précieux que le sang ? Si votre civisme ne vous engage pas à des sacrifices, que votre intérêt dn moins vous y force. Songez que vos propriétés et votre sûreté dépendent des succès de la guerre. La liberté ne peut périr sans que la fortune publique soit anéantie et la France bouleversée. Si l'ennemi triomphe, malheur à ceux qui auront des torts envers la patrie ! Riches, remplissez vos devoirs envers elle, si vous voulez qu'elle soit généreuse envers vous. Trop souvent on n'est victime que parce qu'on a refusé d'être juste. Quelles que soient vos opinions, notre cause est commune ; nous sommes tous passagers sur le vaisseau dela révolution : il est lancé, il faut qu'il aborde, ou qu'il se brise. Nul ne trouvera de planche dans le naufrage. Il n'est qu'un moyen de nous sauver tous. Il faut que la masse entière des citoyens forme un colosse puissant, qui, debout devant les nations, saisisse d'un bras exterminateur le glaive national, et le promenant sur la terre et les mers, renverse les armées et les flottes.
Sociétés populaires, remparts de la révolution, vous qui enfantâtes la liberté et qui veillez sur son berceau, créez-lui des défenseurs ; par vos discours, vos exemples, imprimez un grand mouvement, et élevez les âmes au plus haut degré d'enthousiasme.
Guerriers qui, à la voix de la patrie, allez vous rendre dans les camps, nous ne chercherons point à exciter votre courage ; Français et républicains, vous êtes pleins d'honneur et de bravoure ; mais nous vous recommandons, au nom du salut public, l'obéissance à vos chefs et l'exacte discipline. Sans discipline, point d'armée, point de succès ; sans elle le courage est inutile et le nombre impuissant ; elle supplée à tout, et rien ne la supplée.
Vous, vainqueurs de Valmy, de Spire et d'Argonne, laisserez-vous périr une patrie que vous avez une fois sauvée ? Non : vous les vaincrez, ces nouvelles phalanges que vomit le nord, et l'Anglais aussi sera vaincu sur l'élément théâtre de sa puissance. Qu'ils volent sur les vaisseaux de la république, nos braves marins ; l'armée navale, aussi brûlante de patriotisme que l'armée de terre, doit marcher comme elle de victoire en victoire. Débarrassée d'une vile noblesse, elle est invincible. Marine commerçante, sous le règne du despotisme qui t'abreuvait d'humiliations, tu enfantas Jean Barth, Duquesne, Dugnay-Trouin; que ne feras-tu pas sous le règne de l'égalité ? Ne borne plus les combats de mer à l'explosion du canon ; l'homme libre qu'on attaque doit se battre avec rage. Nos grenadiers enlèvent les batteries avec la baïonnette ; on a vu nos hussards combattre à cheval sur des remparts ; toi, tente les abordages, la hache à la main : qu'ils tombent sous tes coups, ces fiers insulaires despotes de l'Océan !
Matelots, soldats, qu'une émulation salutaire vous anime, et que des succès égaux vous couronnent ! Si vous êtes vaincus, la France devient la risée des nations et la proie des tyrans. Voyez ces féroces vainqueurs se précipiter sur elle : ils outragent... ils dévastent... ils égorgent... ils ne trouvent pas assez de victimes pour assouvir les mânes de Capet... A la lueur de Paris incendié, regardez ces échafauds dressés par la vengeance, et où des bourreaux traînent vos amis et vos frères... Votre défaite couvre la terre de deuil et de larmes ; la liberté fuit ces tristes contrées, et avec elle s'évanouit l'espérance du genre humain. Longtemps après que vous ne serez plus, des malheureux viendront agiter leurs chaînes sur vos tombeaux, insulter à vos cendres. Mais si vous êtes vainqueurs, c'en est fait des tyrans. Les peuples s'embrassent, et, honteux de leur longue erreur, ils éteignent à jamais le flambeau de la guerre. On vous proclame les sauveurs de la patrie, les fondateurs de la république, les régénérateurs de l'univers ; la nation, qui vous doit sa gloire, vous comble de bienfaits.
Et vous qui mourrez au champ d'honneur, rien n'égalera votre gloire ! La patrie reconnaissante prendra soin de vos familles, burinera vos noms sur l'airain, les creusera dans le marbre, ou plutôt ils demeureront gravés sur le frontispice du grand édifice de la liberté du monde ! Les générations, en les lisant, diront : Les voilà, ces héros français qui brisèrent les chaînes de l'espèce humaine, et qui s'occupaient de notre bonheur, lorsque nous n'existions pas !...
Heureuse France ! telles sont les destinées qui s'ouvrent devant toi. Loin de t'étonner de leur grandeur, parcours-les avec héroïsme ; que l'histoire ne trouve dans ses fastes rien qui ressemble à tes triomphes. Efface tout-à-coup la gloire des républiques de là Grèce et de Rome ; fais plus en une année, sous le règne de la liberté, que tu n'as fait en quatorze siècles sous le règne de tes rois. Que l'étranger ne parle de ta république qu'avec respect, et d'un citoyen français qu'avec admiration.
Pour nous, fermes à notre poste, nous promettons de donner l'exemple du civisme, du courage, du dévouement ; nous imiterons, s'il le faut, ces sénateurs romains qui attendirent la mort sur leur chaise curule. On vous dit que nous sommes divisés ; gardez vous de le croire ; si nos opinions diffèrent, nos sentiments sont les mêmes ; en variant sur les moyens, nous tendons au môme but. Nos délibérations sont bruyantes ; et comment ne pas s'animer en discutant de si grands intérêts ? C'est la passion du bien qui nous agite à ce point ; mais une fois le décret rendu, le bruit finit et la loi reste.
Peuple, compte sur tes représentants ; quels que soient les événements, ils lutteront avec force contre la fortune et les hommes ; jamais ils ne transigeront en ton nom avec la tyrannie. Lorsque nous avons été constitués en convention, nous avons cru entendre la voix de la patrie qui nous criait : Va, et rends-moi libre ; assure ton bonheur futur aux dépens de ma tranquillité présente. Si, pour cesser d'être esclave, il faut vaincre l'Europe, parle, je lutterai contre elle ; et surtout, quels que soient mes dépenses, mes fatigues, mes périls, ne me donne une paix définitive qu'avec une entière indépendance.
O patrie ! nous avons prêté l'oreille a ce sublime langage ; il reste empreint dans nos curs ; il servira de règle à notre conduite, et tu seras sauvée.
THIESSÉ Léon, Débats de la Convention nationale, tome III, Paris, Baudoin frères, 1828, pp. 214-219.
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