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Un plaidoyer pour la monarchie héréditaire


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Modifié : 21/07/2014 à 11h21


Émile Ollivier, républicain rallié à l'Empire, fut chef du gouvernement impérial de janvier 1870 à août 1870. Restant fidèle à la dynastie déchue, il ne retrouva aucune responsabilité politique suite à la chute de l'Empire et, devenu académicien, se consacra à une longue carrière d'écrivain. Dans son ouvrage 1789 et 1889, écrit à l'occasion du centenaire de la Révolution, tout en restant fidèle aux principes de 1789, il fit un plaidoyer en faveur de la monarchie.

République et suffrage universel sont si peu synonymes qu'en général les peuples ne sont pas républicains. De même que d'un effet l'esprit humain remonte invinciblement à une cause, de même de l'idée de gouvernement il va non moins invinciblement à l'idée de monarchie, c'est-à-dire de gouvernement d'un seul, car la monarchie n'implique pas toujours l'hérédité ; la Papauté est une monarchie. L'homme est naturellement monarchique, comme il est naturellement religieux. Pour un grand peuple, la république n'est que l'intérim de la monarchie tant qu'on n'est pas d'accord sur le monarque.

Les meneurs démocratiques, le sachant, sont sans cesse préoccupés d'écarter du pouvoir les hommes d'élite, de peur qu'ils ne deviennent populaires et qu'on en fasse des monarques. En Amérique, il est de dogme que la présidence ne doit être déférée qu'à un citoyen réputé sans valeur. « La médiocrité est douce aux foules », a dit Victor Hugo. Non, la supériorité au contraire est une lumière à laquelle les foules accourent volontiers, trop volontiers ; c'est pourquoi les chefs d'une démocratie n'en laissent allumer aucune. [...]

L'ostracisme est l'institution fondamentale d'une république. La forme seule varie. A Athènes, elle était franche et directe : les citoyens étaient convoqués dans une partie de l'Agora entourée de barrières, chacun arrivait muni d'une coquille sur laquelle il écrivait le nom de celui qu'il voulait bannir. A Syracuse, on signifiait l'ostracisme à un citoyen en mettant dans sa main une feuille de figuier. Sieyès avait imaginé l'absorption : le citoyen dangereux aurait été fait sénateur, absorbé dans le Sénat. En 93, les jacobins procédaient par la guillotine ; aujourd'hui, ils se servent du Sénat. Toute république qui ne s'arrange pas pour être régie par des chefs d'une médiocrité éprouvée, est en péril.

Les peuples ne sont pas seulement monarchiques, ils sont favorables à l'hérédité dans la monarchie. L'hérédité n'existe-t-elle pas légalement, ils la reconstituent par leurs choix. Tant qu'à Rome il y eut un descendant de César le peuple le mit à sa tête. De même à Florence à l'égard des Médicis : les légitimes manquant, on recourut aux bâtards.

Sans la superstition héréditaire, Carnot II ne serait pas devenu membre du gouvernement provisoire de 1848, Carnot III serait resté simple ingénieur des Ponts et Chaussées.

Depuis 1845, il est vrai, aucun fils n'a succédé à son père sur le trône. Cela tient à ce que les pères se sont jetés par les fenêtres avant que les fils aient été en âge de succéder. La défaillance a été dans les représentants du principe héréditaire, non dans le sentiment populaire.

Qu'un gouvernement ne soit sérieux, efficace que s'il est personnel, monarchique, c'est-à-dire entre les mains d'un seul, cela n'est pas discutable ; il y aurait davantage à contester sur l'hérédité. Théoriquement, l'hérédité n'est pas la meilleure forme du pouvoir politique. Sa forme parfaite nous a été montrée dans la monarchie pontificale : un souverain viager élu par un collège de sages. Ce système a produit la plus admirable succession de monarques qu'il y ait eue dans le monde. [...]

L'état de nos mœurs ne permet guère d'organiser un corps électoral d'élite tel que le Collège des cardinaux ; notre société n'en offrirait pas les éléments. [...]

La solution idéale écartée, dès qu'on n'a plus à se prononcer qu'entre un monarque héréditaire et un président temporaire, même rééligible, il faut opter pour le monarque héréditaire. « Les chances paisibles de la naissance sont préférables aux chances turbulentes de l'élection [Victor de Broglie], » qu'elle se fasse, soit comme chez nous par les deux branches réunies du Corps législatif, soit par des électeurs spéciaux comme en Amérique, soit même directement par le suffrage universel comme en 1848.

L'hérédité, objecte-t-on, fait succéder un homme de rien à un homme de génie, un Commode à un Marc-Aurèle. Mais parfois aussi elle donne après un homme de rien un homme supérieur et elle dédommage d'un Commode par un Septime-Sévère. L'élection offrirait de meilleures chances que l'hérédité, si, rare et solennelle, comme lorsqu'il s'agit de la constitution d'un pouvoir viager, elle était livrée aux instincts naturels du peuple. Mais dès que l'élection devient fréquente, elle nécessite une organisation permanente, elle échappe au peuple et devient l'affaire des organisateurs, les politiciens. Or, des élections conduites par des politiciens, c'est-à-dire par des hommes dont la carrière est de tirer profit de la politique, divisent, exaspèrent, corrompent, abêtissent, inspirent le goût de l'agitation, de la paresse, des émotions violentes. Après quelque temps d'une telle pratique, un peuple ne distingue plus le bien du mal, le faux du juste, il n'a plus ni bon sens ni honneur. Dès lors les chances heureuses de l'élection disparaissent ; les mauvaises seules subsistent. On est sûr de ne pas sortir des personnages vulgaires. Le tirage au sort offrirait plus d'espérance d'un choix relevé. L'hérédité assure de meilleures garanties. M. Renan affirme « que sans dynastie on ne peut constituer de cerveau permanent à une nation ». Dans tous les cas, sot pour sot, celui qui succède par droit de naissance est préférable, « le mal à en craindre n'est ni si grand, ni si sûr [Blaise Pascal] ». Il a du moins une éducation de métier dont l'autre est dépourvu, et il apporte l'avantage de restreindre un système électif auquel on a déjà beaucoup trop accordé.

Emile Ollivier, 1789 et 1889, Paris, Aubier, 1989 (nouvelle édition), pp. 310-313.




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