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Les révolutions scientifiques

Auteur : Thibault
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Modifié : 30/12/2009 à 16h07



L'opinion commune considère la science comme un processus indéfini d'accumulation des savoirs. La science serait comme une cathédrale en construction dont on empilerait les pierres les unes après les autres. Mais le progrès de la science est-il vraiment linéaire ? N'y a t'il pas des remises en question fondamentales ?
Dans un ouvrage fondamental d'épistémologie, La structure des révolutions scientifiques (1962), le physicien et philosophe des sciences Thomas Kuhn (1922-1996) analyse l'histoire des sciences pour mettre en évidence la logique des révolutions scientifiques. Il voit dans le progrès scientifique, une succession de crises tout autant destructrices que constructives entrecoupées par des périodes plus ou moins longues de « science normale ».


La science normale


Qu'est-ce qu'un paradigme ?


Le terme de paradigme est utilisé par Thomas Kuhn pour désigner « l'ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d'un groupe donné ». Dans le cadre scientifique, il s'agit de l'ensemble des règles, des conceptions et des croyances qui constituent les fondements d'une science. On parle par exemple de paradigme newtonien, de paradigme néo-darwinien ou de paradigme ptoléméen.

L'établissement d'un paradigme permet à une communauté scientifique de choisir des problèmes dont on suppose qu'ils ont une solution dans le cadre du dit paradigme. Seuls ces problèmes seront considérées comme scientifiques ou dignes d'être abordés comme tels, les autres étant rejetés hors du cadre de la science. L'étude des paradigmes, par les manuels et les cours, prépare l'étudiant à devenir membre d'une communauté scientifique particulière. Comme il rejoint une communauté dont les membres se basent sur les mêmes paradigmes et normes scientifiques, ses travaux ne s'opposeront que rarement, sur les points essentiels, à ceux de ses confrères.

La recherche de la science normale


La science normale « semble être une tentative pour forcer la nature à se couler dans la boîte préformée et inflexible que fournit le paradigme ». Elle ne met jamais en lumière des phénomènes nouveaux qui ne cadrent pas avec le paradigme, et au contraire, et bien souvent note Kuhn, ceux-ci passent inaperçus. Par exemple, en juillet 1054, une étoile explosa et devint pendant plusieurs jours la plus brillante dans le ciel. Bien que les astronomes occidentaux l'aient sûrement remarqué, on ne trouve aucun témoignage du phénomène dans les archives: le paradigme aristotélicien postulant l'immuabilité des cieux régnait à cette époque.
Ainsi, les champs de recherche de la science normale sont très restreints, mais cet aspect de la science normale, s'il constitue un défaut, est aussi une force précise Kuhn, car « en concentrant l'attention sur un secteur limité de problèmes relativement ésotériques, le paradigme force les scientifiques à étudier certains domaines de la nature avec une précision et une profondeur qui autrement seraient inimaginables ». La science normale ne permet donc pas l'apparition de nouvelles théories, elle ne se préoccupe que très peu de trouver des nouveautés inattendues, elle est au contraire une activité très cumulative.

Les anomalies, prélude de la crise


La recherche scientifique dans le cadre de la science normale conduit très souvent à la découverte de nouveaux phénomènes insoupçonnés jusqu'alors. La conscience d'une anomalie, c'est-à-dire le sentiment qu'une observation, qu'un résultat n'est pas conforme à ce qu'on est en droit d'attendre dans le cadre du paradigme dominant, joue un rôle dans l'apparition d'un nouveau paradigme. L'incapacité à expliquer un phénomène précède toujours l'apparition du nouveau paradigme: que ce soit dans le cas des difficultés éprouvées par le paradigme ptoléméen en astronomie (remplacé par le paradigme copernicien), par le paradigme aristotélicien dans l'étude des mouvements (remplacé par le paradigme galiléen) ou des difficultés concernant les radiations du corps noir (expliquées par la mécanique quantique).
La science normale, incapable de fournir une explication à ces anomalies, rentre dans un état de crise croissante. L'échec des règles et méthodes existantes est une condition préalable et nécessaire à l'apparition du nouveau paradigme.

Face à ce début de crise, les scientifiques chercheront à minimiser l'importance de ces anomalies ou à complexifier le paradigme dominant pour les résorber: ainsi, Copernic écrit dans la préface de De Revolutionibus que la tradition astronomique ptoléméenne dont il est héritier avait fini par devenir un monstre. Son collaborateur, Domineco da Novara affirmait qu'aucun système aussi compliqué que celui de Ptolémée ne pouvait être fidèle à la nature.
L'histoire des sciences montre cependant que de petites anomalies isolées ne font pas tomber un paradigme, et que seule une anomalie fondamentale peut amener à une crise profonde.


La science en crise


L'apparition d'un nouveau paradigme


L'anomalie qui assure la transition vers la science en crise est bien souvent fondamentale du fait de ces conséquences pratiques, de la remise en question des fondements même du paradigme ou d'un certain agacement de la part des scientifiques. L'anomalie commence à être reconnue par un nombre croissant de spécialistes qui lui accordent une attention soutenue. Au départ, l'exploration de l'anomalie se fait dans le cadre du paradigme régnant, mais l'anomalie persistant, les spécialistes se détachent peu à peu de la science normale, en l'adaptant de diverses façons. Einstein écrit à ce propos: « C'était comme si le sol se dérobait sous les pas et qu'il était impossible d'apercevoir nulle part un fondement solide sur lequel on aurait pu construire ». On voit ainsi un certain nombre de scientifiques se détacher progressivement du paradigme dominant (sans pour autant toujours adhérer à un nouveau paradigme).

L'apparition du nouveau paradigme se fait par une « reconstruction de tout un secteur de nouveaux fondements ». Kuhn écrit encore que « l'apparition d'une nouvelle théorie brise une tradition de recherche scientifique et en introduit une nouvelle, conduite selon des règles différentes, dans le cadre d'un univers discursif différent ». L'histoire des sciences nous montre cependant que le nouveau paradigme apparaît parfois à un stade embryonnaire bien avant le moment de la crise. L'homme de science cherche alors à élaborer des théories spéculatives soumises à l'expérience: si elles échouent, elles seront abandonnées, si elles réussissent, elles ouvriront peut-être la voie à un nouveau paradigme.

Les résistances à l'apparition du nouveau paradigme


La résistance à l'égard du nouveau paradigme peut être plus ou moins importante en fonction de la nature de l'anomalie et du nouveau paradigme. La transition peut durer de quelques années à plus d'un siècle.
Cette résistance s'explique plus par des facteurs psychologiques et sociologiques que rationnels. Comme l'écrit Kuhn, le changement de paradigme est tout autant destructif que constructif. Il y a des pertes et des gains. Or la science possède son propre conservatisme. Les scientifiques peuvent rester attachés à l'ancien paradigme pour diverses raisons: refus de changement de vision du monde, attachement au paradigme auquel on doit ses principales réussites, raisons d'écoles, etc.
Cette résistance devient intolérante quand le nouveau paradigme s'avère particulièrement dérangeant. On assiste alors en quelque sorte à des « excommunications » du milieu scientifique, les scientifiques soutenant le nouveau paradigme étant rejetés, en tant qu' « obscurantistes », hors du champ de la science. La théorie de la dérive des continents d'Alfred Wegener (énoncée en 1915) fut par exemple considérée pendant presque un demi-siècle comme farfelue jusqu'à ce que l'on découvre les dorsales océaniques.

Le triomphe du nouveau paradigme


Thomas Kuhn note que bien souvent le combat entre les tenants de deux paradigmes s'apparente à un dialogue de sourds: « la concurrence entre paradigmes n'est pas le genre de bataille qui puisse se gagner avec des preuves » car « les adeptes de paradigmes concurrents se livrent à leurs activités dans des mondes différents ». Le système copernicien n'avait que très peu d'adeptes dans le siècle qui suivit la mort de Copernic. Les travaux de Newton furent rejetés pendant un demi-siècle car jugés obscurantistes (admettre des forces innées telle que la force à distance ramènerait la science au Moyen-Âge affirmait-on à l'époque). Charles Darwin écrit à la fin de son Origine des espèces: « Bien que je sois pleinement convaincu de la vérité des vues exposées dans ce volume..., je ne m'attends en aucune manière à convaincre les naturalistes expérimentés [...] Mais j'envisage avec confiance l'avenir – les jeunes naturalistes qui apparaissent et seront capables de considérer avec impartialité les deux aspects de la question ».

Le nouveau paradigme ne triomphera qu'au moment où des esprits brillants (Képler, Newton, Lavoisier, Einstein,...) seront capables de remporter des succès prédictifs, quantitatifs ou qualitatifs suffisamment éclatants et persuasifs pour faire paraître erroné l'ancien paradigme. On assiste alors à un effondrement de la résistance, les jeunes générations de scientifiques se convertissant au nouveau paradigme. Les dernières résistances disparaissent lentement et il s'établit une nouvelle période de science normale.



Contrairement à ce que pense l'opinion commune, la science n'est donc pas linéaire, mais une suite de crises pouvant provoquer des remises en question fondamentales sur des points essentiels du savoir scientifique.
Ainsi, si la science paraît plus objective que la philosophie, il ne faut pas pour autant exagérer cette objectivité. Les crises scientifiques, les multiples scandales, l'apparition de concepts radicalement nouveaux au cours de l'histoire des sciences devraient toujours nous rappeler de rester prudent.

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