Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

L’année 1789 constitue une rupture fondamentale dans l’Histoire de la France. Le Trésor étant vide, le roi Louis XVI finit par se résoudre, sur l’avis des privilégiés, à convoquer les États généraux pour le 5 mai. Cette convocation trouve son origine dans les graves difficultés financières de la monarchie et l’opposition des « privilégiés » (noblesse et clergé) devant la volonté de mettre en œuvre des réformes novatrices (en particulier la réforme fiscale destinée à faire reposer l’impôt sur tous). Ces États généraux finissent par prendre l’ascendant sur un roi dépassé par les événements. En à peine quelques mois, ce sont des siècles de monarchie absolue qui sont mis à bas avec l’abolition des privilèges le 4 août.

L’ébranlement politique de 1789

Des États généraux à l’Assemblée nationale constituante

Rédigés durant l’été 1788, les cahiers de doléances, destinés à faire connaître au roi les voeux de son peuple, sont les reflets des tensions sociales : les paysans se plaignent de la lourdeur de l’imposition et de l’inégalité des charges fiscales, la noblesse répond en affirmant son attachement aux droits dont elle jouit et sa volonté d’instaurer une monarchie constitutionnelle, et la bourgeoisie, se basant sur les idées philosophiques, réclame l’application du principe d’égalité. C’est cette dernière qui triomphe durant la première partie de la Révolution et qui devient le porte-parole du Tiers-Etat, imposant d’ailleurs le doublement de sa représentation (décembre 1788). Le Tiers a alors a lui seul autant de représentants que les deux autres ordres réunis. Le Tiers réclame le vote par tête (et non par ordre, ce qui le placerait en situation d’infériorité), mais cette revendication n’est pas acceptée dans les premiers temps.

Image
Ouverture des États généraux à Versailles le 5 mai 1789 (gravure d’Helman, 1789).

Les États généraux s’ouvrent le 5 mai 1789 et les députés sont rassemblés dans la salle des Menus Plaisirs. Lors de la séance d’ouverture, le roi leur adresse un bref discours prêchant la modération avant que Necker, directeur général des Finances, prenne la parole pendant près de trois heures pour expliquer la situation financière. La question-clef du vote par tête ou par ordre n’est pas abordée.

Le 6 mai, noblesse et clergé se réunissent séparément pour les discussions. Le Tiers, qui attendait une réunion commune, se refuse à accepter cette situation sous peine d’entériner le principe du vote par ordre. Sous l’impulsion de quelques hommes forts (notamment les députés bretons, plus radicaux et mieux structurés), les élus du Tiers prennent le titre de « députés des Communes » et décident d’attendre la réunion des trois ordres avant d’entamer tout travail. Ce blocage dure pendant un mois, jusqu’au 10 juin où les deux premiers ordres sont contactés pour une réunion commune. Un cap est franchi le 17 juin quand, sur proposition de Sieyès, les députés du Tiers, considérant qu’ils représentent 96 % de la nation, se proclament Assemblée nationale. Une grande partie du bas clergé et une fraction de la noblesse (environ un quart) rejoignent le Tiers. Le 20 juin, l’affrontement direct avec le roi commence lorsque les membres de cette Assemblée trouvent closes les portes de la salle des Menus Plaisirs.

Les députés furieux trouvent refuge dans la salle voisine du Jeu de Paume et jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France. Après avoir tenté de résister, le roi est contraint, le 27, de consentir à la réunion des trois ordres. Le 9 juillet, l’Assemblée nationale se proclame Assemblée nationale constituante. Le vote ne se fait désormais plus par ordre (le Tiers serait alors minoritaire devant la noblesse et le clergé) mais par tête, ce qui lui assure une majorité nette car elle peut compter sur le soutien d’une partie du bas clergé et d’une fraction de nobles ralliés aux idées nouvelles. Le 11 juillet, le renvoi de Necker, très populaire, met le feu aux poudres.

Les mouvements populaires

La détérioration des conditions de vie de la population entraîne des mouvements populaires en juillet 1789. A cela s’ajoute la crainte de voir les deux ordres « privilégiés » revenir sur leurs concessions. Le roi a en effet massé des troupes près de la capitale, mais s’il a beau expliquer que c’est pour prévenir des éventuels troubles populaires, une partie des députés et de la population y voit la menace d’un coup de force. Le matin du 14 juillet, des émeutiers pillent les armes aux Invalides avant de s’emparer de la Bastille pour récupérer de la poudre et des munitions. Cette place forte est aussi un symbole, plusieurs textes des années 1780 ayant contribué à noircir son image en présentant la forteresse comme un château de l’horreur. Le 17 juillet, après le rappel de Necker, Louis XVI ordonne le retrait des 20 000 soldats stationnant près de Paris et reçoit une cocarde tricolore des mains de Bailly, nouveau maire.

Les événements parisiens produisent une onde de choc dans les campagnes. Une rumeur sans fondement, selon laquelle les aristocrates prépareraient un complot en engageant des troupes de brigands ou de soldats étrangers afin d’incendier les récoltes et de massacrer les « patriotes », provoque une révolution paysanne appelée la « Grande Peur ». Les paysans s’arment et s’attaquent aux châteaux, parfois les incendiant et tuant leurs propriétaires. Ce mouvement ne laisse pas indifférent la bourgeoisie, hostile à toute violation de la propriété privée.

Craignant une radicalisation du mouvement populaire, et à l’appel de nobles libéraux, les députés décident de stopper la crise en votant l’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789. L’ordre social de l’Ancien Régime s’effondre alors et le principe de l’égalité des citoyens devant la loi est proclamé.

Les mouvements populaires ne s’arrêtent pourtant pas. Dans un contexte de cherté des subsistances et de tensions politiques (rumeur d’un coup de force entretenue par les journaux « patriotes »), plusieurs milliers de Parisiens se rendent à Versailles, les 5 et 6 octobre, pour exiger du pain et l’installation du roi à Paris. Le cortège de retour du roi (6 octobre) à Paris est accompagné des têtes tranchées de deux gardes tués dans un affrontement.

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen

Le 26 août 1789 est proclamée solennellement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui adapte les principes de la philosophie des Lumières à l’État français. La disparition de la monarchie absolue est confirmée par l’article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside expressément dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. ». La loi n’est plus édictée par le roi qui n’est plus souverain, elle est désormais « l’expression de la volonté générale » (article 6 reprenant la célèbre formule de Jean-Jacques Rousseau). Les droits naturels de l’homme : liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression ; sont garantis. La liberté individuelle en particulier apparaît comme fondamentale : liberté d’opinion, liberté religieuse, liberté d’expression et liberté de résistance à l’oppression (qui justifie a posteriori les actes révolutionnaires de juin-juillet 1789). La propriété, notion à laquelle est très attachée la bourgeoisie, est dite « inviolable et sacrée » (article 17) et inséparable de la liberté.
Enfin, la Déclaration fait de l’égalité devant la loi le ciment de la société nouvelle : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (article 1).

C’est donc une société nouvelle, inspirée par la philosophie des Lumières, qui émerge sur les décombres de l’Ancien Régime. Ces bouleversements nés en France vont radicalement changer le continent européen durant le quart de siècle qui va suivre.

Image
Image de 1789 illustrant le « triple accord » (réunion) entre les trois anciens ordres. En arrière-plan, le chasseur symbolise la suppression du droit de chasse.

La réforme de la monarchie (1789-1790)

L’élaboration de la Constitution

De l’automne 1789 à septembre 1791, l’Assemblée nationale constituante s’attèle à la rédaction d’une Constitution pour la France. Celle-ci établit une monarchie constitutionnelle sur le modèle anglais fondée sur la séparation des pouvoirs (inspiration de Locke et Montesquieu). A partir d’octobre 1789, Louis XVI n’est plus roi de France mais roi des Français par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, laquelle est placée comme insurpassable. Désormais, le roi n’est plus considéré que comme le premier serviteur de l’État. Désigné irresponsable et inviolable, il conserve le pouvoir exécutif, la diplomatie, le choix de ses ministres. Doté d’un droit de veto, il peut bloquer une loi votée par l’Assemblée pour une durée de deux législatures (non applicable aux lois relatives aux finances et à la loi constitutionnelle).

Les citoyens qui paient le cens (équivalent à 3 jours de travail), qui ont 25 ans révolus et sont de sexe masculin, inscrits sur le registre de la garde nationale et ayant prêté le serment civique ont le droit de vote : ils sont dits « citoyens actifs ». Les autres, dont les femmes et les domestiques, sont des « citoyens passifs ». 4,5 millions de Français détiennent alors le droit de vote.

La régénération du royaume

L’Assemblée nationale constituante entend rationaliser l’administration et l’organisation territoriale du royaume. Le 14 décembre 1789 sont créées les quelque 36.000 communes sans grande difficulté. Les départements posent davantage de problèmes : leur nombre (83 tandis que certains députés en voulaient 200) et leurs limites ; c’est le 15 février 1790 que le découpage est achevé. Chaque département comprend plusieurs districts (en général 6 à 9) et cantons (circonscription destinée aux opérations électorales et à la justice de paix). Les administrateurs des communes, districts et départements sont élus par les citoyens actifs.

La justice devient gratuite et indépendante, les arrêts étant désormais rendus au nom de la nation. Le système de corporations est interdit ainsi que la coalition des ouvriers qui visait à obtenir de meilleurs conditions de travail ou de salaires (loi Le Chapelier de juin 1791).

Pour résoudre le problème de la dette, les biens du clergé sont confisqués et deviennent « biens nationaux » (2 novembre 1789). Ils seront vendus aux enchères pour désendetter l’État. Les prêtres et évêques sont désormais des fonctionnaires élus qui reçoivent un traitement de l’État.
En février 1790, les vœux monastiques du clergé régulier sont abolis, sans qu’il y ait de grandes contestations. En revanche, en avril 1790, le rejet par la Constituante de la proposition du député dom Gerle demandant que la religion catholique soit reconnue comme religion d’État entraîne de vives protestations, notamment dans le Midi. Le 27 novembre 1790, conformément à la Constitution civile du clergé (12 juillet 1790), les ecclésiastiques doivent prêter serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi. Le clergé se divise alors en clergé assermenté (jureur) et en clergé insermenté (réfractaire). En 1791, un peu plus de la moitié du clergé a prêté serment. Dans de nombreuses communes les tensions sont fortes et les citoyens défendant leur curé réfractaire rejoignent le camp de l’anti-Révolution.

La diffusion des idées révolutionnaires en Europe

Les événements qui se déroulent en France de 1789 à 1791 ont une influence qui dépasse de loin les frontières, avec de lourdes conséquences pour les pays atteints.
Les élites éclairées européennes voient en la France le phare de la modernité. Ainsi la prise symbolique de la Bastille le 14 juillet 1789 et l’abolition des privilèges le 4 août sont perçues comme le début de l’effondrement du despotisme et l’avènement de temps nouveaux. De nombreux étrangers présents à Paris lors des événements assistent à la chute de l’absolutisme et en informent leurs compatriotes. Puis des partisans de la liberté et des curieux venant des pays voisins affluent pour assister aux événements (l’anglais Wordsworth, le prussien Guillaume de Humboldt, le russe Karamzine, l’italien Alfieri). La presse européenne, ainsi que des ouvrages, relayent les nouvelles françaises (Emmanuel Kant attend des nouvelles à l’autre bout de l’Europe). La Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen est traduite dans toutes les langues européennes et se répand même dans les pays qui cherchent à interdire leur diffusion (comme l’Espagne).

Néanmoins, la Révolution à ses débuts n’inquiète que peu les despotes étrangers. Certains se réjouissent même de la paralysie qui affecte la politique extérieure du roi Louis XVI : l’Assemblée constituante a en effet adopté le 22 mai 1790 la Déclaration de Paix au monde, empêchant pour un moment toute intervention militaire. Cependant, les « despotes éclairés » européens s’aperçoivent au fil des événements du danger que fait planer sur leur trône l’exportation des principes révolutionnaires. A cela, il faut ajouter que les premiers français émigrés sur les bords du Rhin appellent rapidement à une croisade générale anti-révolutionnaire.

L’échec de la monarchie constitutionnelle (1791-1792)

La fuite manquée du roi (juin 1791)

Si les projets de fuite du roi remontent à 1790 (pour les plus anciens), c’est en avril 1791 que la décision est prise, lorsqu’un décret lui interdit de quitter Paris et qu’une manifestation populaire l’empêche de se rendre à Saint-Cloud pour assister à la messe d’un prêtre réfractaire. Se considérant prisonnier en son royaume, le roi ainsi que ses proches quittent Paris sous de fausses identités, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, pour gagner la frontière. La fuite s’arrête sans gloire à Varennes, le 21 juin, et achève de ruiner la popularité du roi ramené le 25 à Paris.
Une pétition du club des Cordeliers circule dans Paris et demande la déchéance de Louis XVI : « Nous voilà libres et sans roi » peut-on y lire. Le Père Duchesne, journal fondé par Hébert et réputé pour la violence de son ton, ridiculise le roi. De nombreux pamphlets réclament la destitution du monarque. Si les républicains étaient ultra-minoritaires en 1789, après Varennes, on n’hésite plus à militer contre les rois.

La marche à la guerre

L’Assemblée législative, issue des élections qui se sont tenues entre le 29 août et le 5 septembre, n’est guère composée que de députés inexpérimentés, les Constituants ayant décidé de se déclarer non-rééligibles. Néanmoins, deux groupes antagonistes partisans se forment et cherchent à attirer les suffrages « flottants » : les Feuillants (à la droite de l’Assemblée) formant 35 à 45 % du nombre total et les Jacobins (à gauche) englobant 18 % du total dont les Girondins (avec Condorcet).

Quant au roi, discrédité par la fuite à Varennes, il ne cherche pas à jouer l’arbitre entre ces deux groupes, et même la droite lui paraît trop révolutionnaire. Sous l’apparence d’un respect du nouveau régime, il cherche à revenir sur les concessions faites aux révolutionnaires. Sur les conseils de Marie-Antoinette, il se met à pratiquer la « politique du pire » : en favorisant les extrémistes, il espère déclencher une guerre « politique » dont l’issue amènerait la nation à le considérer comme un sauveur et à le rétablir des ses fonctions de monarque absolu. Pour des motifs différents, les Girondins, qui se méfient du roi et de son étrange politique, souhaitent eux aussi la guerre et s’enthousiasment pour une croisade des peuples contre les « tyrans », et cela malgré l’opposition de Robespierre, qui refuse de considérer la guerre comme un moyen d’étendre la Révolution.

L’empereur d’Autriche François II, succédant à son père Léopold II (mars 1792), et avide de gloire militaire, décide de défier la France. A l’Assemblée législative, seules 7 voix s’opposent à la proposition de Louis XVI de « déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie ».

L’abolition de la monarchie

La politique du pire se retourne vite contre le roi qui est rendu coupable des premiers échecs et accusé de trahison. Les premières opérations militaires sont catastrophiques : le général Theobald de Dillon est ainsi massacré sur le front par ses hommes pour avoir reculé (29 avril 1792).

Le duc de Brunswick, à la tête des armées ennemies, envoie un manifeste au peuple parisien promettant une « exécution militaire et une subversion totale » s’il était fait le moindre outrage à la famille royale (25 juillet 1792). Le 10 août, loin d’être intimidée, la foule parisienne envahit les Tuileries. La victoire sanglante des assaillants sur les gardes suisses et fidèles de Louis XVI aboutissent à la suspension des pouvoirs du roi par la Législative le même jour. La convocation prochaine d’une nouvelle Assemblée, appelée Convention nationale, est annoncée.

Image
La Prise des Tuileries le 10 août 1792 (Jean Duplessis-Bertaux, 1793).

Le 20 septembre 1792, les armées révolutionnaires remportent leur première victoire sur les Prussiens à Valmy. Le lendemain même, la Convention déclare que « la royauté est abolie en France » sous de vifs applaudissements. La première République voit le jour.

Bibliographie :
BÉGUIN Katia. Histoire politique de la France. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, Histoire de l’Europe. Tome 3. États et identité européenne (XIVe siècle-1815), Paris, Hatier, 1994.
BIARD Michel, BOURDIN Philippe, MARZAGALLI Silvia, Révolution, Consulat, Empire, 1789-1815, Paris, Belin, 2010.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *