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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Le Second Empire est, avant la IIIe République, le régime politique le plus durable du XIXe siècle français. Cette période de l’histoire de France se distingue par un dynamisme économique sans précédent – coincé entre deux périodes de dépression (1817-1847, 1873-1896) – une modernisation des structures économiques et la réintroduction de la France au coeur du système européen. Napoléon III permet aussi de pérenniser le suffrage universel, instauré par la Seconde République, et de débuter une véritable politique sociale en octroyant le droit de grève et ouvrant la porte aux syndicats.

De l’Empire autoritaire à l’Empire libéral

L’Empire autoritaire (1852-1860)

La première décennie du Second Empire est marquée par une politique autoritaire caractérisée par le contrôle de la vie politique et sociale. A la tête de l’Etat, Napoléon III s’appuie sur un petit cercle de ministres, tous hommes dévoués et de confiance. A un échelon plus local, les préfets voient leur pouvoir renforcés, autorisés à nommer et révoquer les fonctionnaires, les maires des villes de moins de 3000 habitants, les commissaires de police et les instituteurs. A la base, le nombre de fonctionnaires passe de 477 000 à 700 000 et prêtent tous un serment de fidélité à l’empereur ; le nombre de policiers double. L’opposition politique est muselée et se cantonne à certains journaux, aux salons ou à l’Académie française (où siègent Guizot, Broglie et Montalembert). Le ministre de l’Instruction publique supprime les agrégations d’Histoire et de philosophie, jugées subversives, et nomme les professeurs des facultés. Le suffrage universel est maintenu, mais les élections législatives sont contrôlées par le système des candidats officiels, lesquels reçoivent le soutien de l’administration, et disposent d’une affiche et d’un bulletin de vote d’une couleur particulière. Aux élections de février 1852, les candidats officiels remportent la quasi-totalité des sièges.

Dans le domaine religieux, Napoléon III cherche à obtenir l’appui de l’Eglise, garante de l’ordre social, notamment dans les campagnes. Le budget des cultes est augmenté, de nouvelles églises sont construites, des cardinaux sont admis au Sénat, les congrégations de femmes sont autorisées. Le clergé devient un allié de l’Empire.

Les élections de juin 1857 donnent à nouveau une victoire éclatante aux candidats officiels mais l’abstention progresse et les républicains gagnent quelques sièges, notamment dans les grandes villes. Aussi, depuis 1854, Napoléon III est l’objet de plusieurs attentats terroristes dont le plus important est mené par le révolutionnaire italien Felice Orsini qui fait exploser 3 bombes au passage du cortège impérial causant 8 morts (janvier 1858). Cet attentat donne lieu à une politique de répression dans les milieux républicains puis au vote d’une loi de sûreté générale (« loi des suspects ») en 1858, qui donne la possibilité de condamner sans procès toute personne ayant déjà fait l’objet d’une condamnation politique.

Le tournant libéral (1860-1869)

A partir de 1860, l’Empire prend un tournant libéral en assouplissant la censure, libéralisant le droit de réunion et les débats parlementaires. Le régime évolue vers un système parlementaire à l’anglaise, sous l’influence de Charles-Auguste de Morny, demi-frère de l’empereur. Le compte-rendu des séances des Chambres est rendu public et le Corps législatif se voit doté de nouveaux pouvoirs (le droit d’adresse qui est une réponse au discours du trône, le contrôle du budget).
Par cet ensemble de mesures, l’empereur donne des armes à ses adversaires politiques. Une montée des contestations se fait jour, même si les ennemis du régime demeurent minoritaires (le Second Empire disposera d’un soutien populaire important jusqu’à sa chute).

Une opposition catholique apparaît du fait d’une politique de laïcisation de l’enseignement (inspection des écoles catholiques) et de la politique italienne laissant le roi de Piémont-Sardaigne annexer les territoires pontificaux de Romagne. En 1864, l’encyclique Quanta Cura et son annexe le Syllabus sont très hostiles aux valeurs bonapartistes (condamnation du principe de la souveraineté populaire, du libéralisme, de la liberté de conscience, etc.). D’autre part, les industriels français acceptent mal l’assouplissement du protectionnisme. Les élections législatives de 1863 enregistrent une progression des libéraux et des républicains qui deviennent majoritaires dans toutes les grandes villes.

Le retour au parlementarisme (1869-1870)

Napoléon III décide en 1869 de revenir au régime parlementaire qu’il avait renversé en 1851, pour répondre aux attaques de l’opposition grandissante. Le Corps législatif voit ses pouvoirs étendus par le sénatus-consulte du 8 septembre 1869, et peut désormais élire son président et partager l’initiative des lois avec l’empereur. C’est un Empire parlementaire qui est de fait instauré, et Napoléon III choisit symboliquement Emile Ollivier, ex-républicain rallié au régime, pour diriger le gouvernement (1870). Ce dernier se heurte toutefois à l’opposition des républicains et libéraux. D’autre part, le climat social se dégrade et les manifestations se multiplient. L’assassinat de Victor Noir, collaborateur du journal radical de Rochefort la Marseillaise, par le prince Pierre Bonaparte, cousin de l’empereur, déclenche une imposante manifestation de 80 000 Parisiens lors des obsèques (12 janvier 1870).

L’opposition grandissante conduit Napoléon III à soumettre un sénatus-consulte proposant un régime plus libéral aux Français lors d’un plébiscite, le 8 mai 1870. L’empereur recueille 7,3 millions de oui contre 1,5 million de non et 1,9 million d’abstention. Ce large succès (Napoléon III reprend 3 millions de suffrages par rapport aux élections de 1869) montre le soutien encore massif des Français au régime. L’Empire apparaît plus solide que jamais : sa chute ne viendra pas de l’intérieur mais de l’extérieur.

La modernisation de la France

La modernisation économique

Napoléon III se veut le maître d’oeuvre d’une politique de dynamisme économique en modernisant les structures économiques françaises. Jusqu’alors protectionniste, la France s’ouvre au libre-échange : le 15 janvier 1860, un traité commercial est conclu avec l’Angleterre qui abolit les droits de douane sur les matières premières et la plupart des produits alimentaires. D’autres accords commerciaux sont conclus avec le Piémont-Sardaigne, la Belgique ou l’Autriche. Dans le domaine financier, Napoléon III encourage la création d’instituts de crédit foncier : Crédit Foncier de France, Crédit immobilier,… De grandes banques de dépôt apparaissent comme le Crédit Lyonnais (1863), la Société Générale (1864) et la Banque de Paris (1869). La loi du 23 mars 1863 créé les sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL), la loi du 24 juillet 1867 les sociétés anonymes (SA). La loi de 1865 autorise l’usage des chèques.

Dans le domaine des communications, l’Etat encourage la construction de nouvelles lignes de chemin de fer en finançant une partie des travaux. En 1851, la France ne compte que 3500 kilomètres de voies ferrées (contre 10 000 en Grande-Bretagne), en 1870 elle en compte 17 000 (2000 de plus qu’en Grande-Bretagne). Le kilométrage des voies carrossables triple. Les ports sont agrandis comme à Marseille, Le Havre et Bordeaux, et de grandes compagnies de navigation se créent (Messageries maritimes, Compagnie générale transatlantique). Le réseau du télégraphe électrique s’étend de façon spectaculaire (plus de 40 000 kilomètres en 1870). Enfin, l’Etat entreprend de grands travaux d’aménagement comme le reboisement des Landes, l’irrigation de la Provence ou la transformation de Paris. La capitale, alors insalubre, fait l’objet de dix-sept années de travaux gigantesques menés par le baron Haussmann, ayant pour but d’embellir et d’assainir la capitale, d’éviter l’anarchie entre les fiacres et les piétons (contrairement à ce que rapportent des mythes tenaces, les grandes avenues n’ont pas été percées pour pouvoir tirer sur la foule ou acheminer l’artillerie au cœur de la ville).

Une politique sociale paternaliste

Louis-Napoléon Bonaparte était un homme préoccupé par la question sociale, influencé par des penseurs comme Saint-Simon, Louis Blanc ou Robert Owen. Dès 1851, Napoléon III interdit le travail le dimanche et les jours fériés (décision abrogée en 1880). Le 26 mars 1852, il permet aux sociétés de secours mutuels de se constituer librement. L’année suivante, il met en place de consultations médicales gratuites et des visites à domicile dans les grandes villes. En 1862, il autorise une délégation de 200 ouvriers français à partir en Angleterre pour y étudier l’organisation des syndicats anglais et, deux ans plus tard (1864), il octroie le droit de coalition (droit de grève). En 1868, il autorise les réunions publiques à condition de ne pas parler de politique ou de religion.

L’empereur multiplie les oeuvres à vocation philanthropique : institution des Fourneaux économiques en 1855 (distribution à un prix symbolique de repas chauds aux pauvres), création des Asiles nationaux du Vésinet et de Vincennes pour les ouvriers malades ou accidentés la même année, visites d’usine et décoration des patrons paternalistes et des ouvriers méritants.

Une politique extérieure au bilan mitigé

Le temps des expéditions victorieuses

Afin de briser la traditionnelle alliance des Etats européens contre la France, Napoléon III s’allie à l’Angleterre contre la Russie lors de la guerre de Crimée (1854-1856). La politique expansionniste du tsar n’est qu’un prétexte au déclenchement du conflit. Sur le plan militaire, l’expédition n’est qu’un demi-succès, la victoire ayant été chèrement payée (75 000 hommes disparaissent de septembre 1854 à septembre 1855). Napoléon III atteint néanmoins son objectif en organisant en 1856 un grand congrès de la Paix à Paris qui replace la France au coeur de l’équilibre européen.

En 1859, c’est à l’Autriche que l’empereur déclare la guerre, après s’être allié au royaume de Piémont-Sardaigne (1858). L’objectif est de chasser les Autrichiens de la Lombardie et de la Vénétie en échange de la cession de Nice et de la Savoie à la France. Napoléon III prend la tête des 140 000 hommes composant les troupes françaises. Il écrase l’Autriche à Magenta et Solférino mais signe la paix de Villafranca devant la menace d’une alliance de la Prusse et de l’Autriche. La Lombardie est rattachée au royaume du Piémont mais la Vénétie reste autrichienne. Malgré le fait que l’objectif initial n’ait pas été totalement atteint, le Piémont cède Nice et la Savoie à la France (1860).

Au niveau colonial, Napoléon III poursuit la politique d’expansion dans laquelle il voit un moyen de faire de la France une grande puissance. La marine de guerre se modernise et l’étendue du domaine colonial triple entre 1850 et 1870 pour atteindre 1 million de km2. La Nouvelle-Calédonie est annexée en 1853, la côte du Gabon est acquise en 1862, la France et l’Angleterre obtiennent l’ouverture de nouveaux ports de commerce en Chine (1858) et s’emparent de Pékin (1860). Les troupes françaises achèvent la colonisation de l’Algérie en 1857. Un ministère de l’Algérie et des Colonies est créé en 1858.

L’échec de l’expédition du Mexique

En 1861, la France s’allie avec la Grande-Bretagne et l’Espagne pour tenter d’instaurer un Empire latin au Mexique, pays alors en proie aux rivalités politiques et au bord de la guerre civile. Le trône de l’Empire du Mexique doit revenir à l’archiduc Maximilien, frère de l’empereur autrichien François-Joseph (l’Autriche étant associée au projet). Cette opération a pour objectifs de contrebalancer la puissance des Etats-Unis protestants, la réconciliation avec les catholiques et les milieux d’affaires (mines d’argent du Mexique). C’est en novembre 1861 que débarquent les troupes françaises, anglaises et espagnoles pour renverser le gouvernement de Juarez, qui ne paye plus ses dettes à la France.

Les Anglais et les Espagnols se retirent dès 1862 et ce sont les Français qui prennent Mexico en 1863. Maximilien est mis sur le trône en 1864. Après trois ans de lutte contre la guérilla de Juarez, soutenue par les Etats-Unis, Napoléon III décide de rapatrier ses troupes laissant Maximilien à son sort (il est fusillé quatre mois plus tard). L’expédition mexicaine se termine donc par un fiasco, qui ternit l’image de la France au niveau international.

La guerre de 1870 et la chute du Second Empire

Les années 1860 voient la montée en puissance de la Prusse qui écrase l’Autriche à la bataille de Sadowa (1866). Cette victoire permet au chancelier prussien Bismarck, artisan de l’union allemande, d’annexer un certain nombre de principautés allemandes et de prendre la tête de la nouvelle Confédération d’Allemagne du Nord (1866).

Bismarck a besoin d’une victoire contre la France pour réaliser l’union de l’Allemagne autour de la Prusse. C’est pourquoi il pousse le prince prussien Léopold de Hohenzollern à se porter candidat au trône d’Espagne le 3 juillet 1870 sachant que Napoléon III ne peut pas accepter cette candidature. Puis, le 12 juillet 1870, Bismarck fait trafiquer et diffuser en Europe une dépêche télégraphique du roi de Prusse qui paraît insultante pour la France (la dépêche d’Ems). C’en est trop pour l’opinion française qui réclame la guerre. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, le Corps législatif vote les crédits de guerre à la quasi-unanimité. L’empereur, sentant la supériorité militaire de la Prusse, accepte la guerre à contre-coeur, n’ayant plus alors le pouvoir de l’empêcher.

La guerre est déclarée le 19 juillet mais est quasiment perdue d’avance : l’armée française est numériquement inférieure (235 000 hommes contre 500 000), moins bien équipée, et ses chefs (Leboeuf, Mac-Mahon, Bazaine) ne sont pas d’accord sur la stratégie à suivre. Le 6 août, l’armée prussienne défait les troupes de Mac-Mahon à Froeschwiller et envahit l’Alsace ; puis les hommes de Bazaine se laissent enfermer dans Metz. Napoléon III, qui prend la tête de l’armée française, tente de libérer Bazaine mais se fait lui-même encercler à Sedan où il décide de capituler le 2 septembre. Deux jours plus tard, la République est proclamée à Paris à l’Hôtel de Ville. Le 29 octobre, la capitulation à Metz de Bazaine met définitivement fin aux espoirs de l’empereur de retrouver son trône. Le parti bonapartiste en France restera influent pendant encore une décennie.

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La cavalerie française à Sedan (J. A. Walker)

Bibliographie :
ANCEAU Éric, Introduction au XIXème siècle. Tome 1 : 1815 à 1870, Paris, Belin, 2003.
BARJOT Dominique, CHALINE Jean-Pierre, ENCREVÉ André, La France au XIXe siècle. 1814-1914, Paris, PUF, 2008.
Collectif, Napoléon III. L’homme, le politique. Actes du colloque de la Fondation Napoléon, 19-20 mai 2008, Paris, Éditions Napoléon III, 2008.

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