Philisto

L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

L’Inquisition est une juridiction créée par l’Église au XIIIe siècle pour contrer le développement des hérésies (Catharisme, Valdéisme). Peu d’institutions ont suscité autant de polémiques entre historiens. La légende noire de l’Inquisition médiévale rapporte des inquisiteurs fanatiques, enfermant les suspects enchaînés dans de sombres cachots, livrant au bûcher des milliers d’hérétiques, entravant la liberté de pensée et réprimant tout progrès d’ordre intellectuel. Ces clichés sont démentis par les faits historiques, et le nombre de victimes a depuis été revu largement à la baisse.

Naissance et mise en place de l’Inquisition

L’hérésie cathare, essentiellement implantée dans le Midi de la France, atteint son apogée à la fin du XIIe siècle (la croisade des Albigeois débute en 1209, Montségur tombe en 1244). C’est dans ce contexte qu’est introduite l’inquisition médiévale par le pape Innocent III en 1199. La recherche des hérétiques est alors confiée aux évêques, éventuellement aux légats pontificaux. Le pouvoir séculier (les princes), associé au pouvoir ecclésiastique, est chargé d’appliquer les condamnations. Mais devant le manque d’efficacité de cette procédure, les évêques étant trop proches des fidèles, le pape Grégoire IX publie en février 1231 la constitution Excommunicamus, véritable acte fondateur de l’Inquisition. Désormais, les hérétiques ne peuvent être jugés que par des tribunaux ecclésiastiques (et non plus par les laïcs). En outre, les juges ne dépendent que du pape. La charge de l’Inquisition est confiée aux ordres mendiants (Dominicains et Franciscains). Le Midi de la France n’est pas seulement concerné : dès 1240, l’Inquisition se répand partout en Europe, à l’exception de l’Angleterre.

Le fonctionnement de l’Inquisition

Le cadre général

L’inquisiteur est un itinérant qui, arrivé dans une localité, prêche et appelle les fidèles à exposer leurs fautes et celles des autres durant le « temps de grâce » (afin de constituer une liste de suspects). Il expose la doctrine de l’Eglise et énumère les propositions hérétiques. L’édit de grâce accorde un délai de 2 semaines à un mois aux hérétiques pour se rétracter et être pardonnés. Le délai expiré, l’hérétique peut être amené à être confronté à la justice inquisitoriale.

D’une manière générale, l’Inquisition fait peur. Cependant, l’hérésie, loin de susciter la sympathie des populations, est au contraire perçue comme un accident spirituel. « La population languedocienne, dans sa très grande majorité, ne manifeste aucune sympathie pour la dissidence et la résistance à l’Inquisition n’est pas un fait populaire » (voir bibliographie : Biget, p. 201). L’Inquisition « ne soulève donc pas contre elle l’hostilité de la population et bénéficie de l’appui de sa part la plus importante […]. Elle serait sans doute paralysée sans cette adhésion majoritaire et sans le soutien constant de la monarchie. » (Biget, p. 205).

Le procès

L’image de l’Inquisition est si négative que pour la plupart des contemporains, elle est le règne de l’arbitraire : la réalité historique bouscule les clichés. L’Inquisition est une justice en avance sur son temps, méthodique, rationnelle, paperassière et globalement moins sévère que la justice laïque. Afin d’éviter les représailles, le nom des accusateurs est gardé secret. L’accusé est invité à communiquer la liste de ses ennemis personnels, afin d’éviter toute dénonciation mensongère : les faux témoignages sont sanctionnés.

L’aveu paraît indispensable. Le suspect est soumis à de fortes pressions psychologiques (solitude, promesses d’indulgence ou menaces). En cas de nécessité, l’inquisiteur peut recourir à la torture (légalisée par le pape Innocent IV en 1252), bien qu’il en reconnaisse les limites. Son usage est cependant réglementé : il faut éviter la mutilation ou le décès. La torture était couramment utilisée dans le cadre de la justice séculière (laïque). D’autre part, « l’accusé doit renouveler ses aveux loin des instruments de torture, trois jours en principe après avoir subi la question. » (Biget). Des actes de torture ont bien été pratiqués, mais les démarches brutales voire cruelles pour obtenir des aveux ne sont pas propres au Moyen Âge, elles sont de tous temps.

Les peines

Les historiens disposent de quelques données chiffrées concernant les peines infligées aux coupables.

  • En 1241-1242, Pierre Seila, inquisiteur en Quercy, exerce dans trois villes (Gourdon, Montauban et Moissac) et six gros bourgs. Il condamne un total de 671 personnes : aucune n’est mise en prison ou renvoyée vers le bras séculier. La plus lourde peine (prononcée 98 fois) consiste à aller défendre l’empire latin de Constantinople.
  • A Albi, dans les années 1280-1300, la répression contre les Albigeois est particulièrement sévère. Or entre 1286 et 1329, on ne dénombre seulement que 58 Albigeois soumis à une peine afflictive (peine corporelle), soit une proportion de condamnés de 6 % par rapport à l’ensemble de la population hérétique.
  • A Toulouse, Bernard Gui, inquisiteur de 1308 à 1323, prononce en moyenne 42 condamnations par an sur une durée de 15 ans, ce qui est assez faible. Sur 633 sentences, 307 condamnations consistent en de la prison, 153 peines sont mineures, 89 sont prononcées contre des morts, seules 41 personnes sont remises au bras séculier. Biget conclut que « l’Inquisition est loin d’avoir exercé des poursuites massives » en ce qui concerne le cas du Languedoc.

Les manuels des inquisiteurs prêchent généralement la modération. Celui de Bernard Gui prône la fermeté mais donne aussi une place importante à l’écoute, à la discussion, au doute : « Que l’amour de la vérité et la pitié qui doivent être au coeur du juge l’éclairent sans cesse. Dès lors ses sentences ne pourront pas paraître le fait de la convoitise ou d’une cruauté perverse. »

Il existe des cas d’inquisiteurs punis ou révoqués car jugés non compétents. Ainsi en 1233, Robert Le Bougre, dans le nord de la France, prononce des sentences si sévères qu’elles conduisent trois évêques à protester auprès du pape. Suspendu, Robert retrouve ses fonctions en 1238 mais recommence à procéder avec brutalité : il est définitivement démis de ses fonctions en 1241 et emprisonné à vie.

La fabrication d’un mythe

Image
L’Inquisition vue par les iconographes du XIXe.

Les images d’immenses bûchers, sombres cachots, inquisiteurs cruels insensibles à la pitié et à la raison, ont la vie dure. On les retrouve pour la première fois sous la plume des écrivains des Lumières ; et l’image sera reprise et amplifiée par la IIIe République dans ses premières décennies (années 1880-1890) à des fins de propagande politique. La fin du XIXe siècle en France est marquée par un anti-cléricalisme virulent, visant à préparer les esprits à une sécularisation complète de la société. « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » lance Léon Gambetta à la Chambre, le 4 mai 1877. Jules Ferry souhaite une humanité « sans roi et sans Dieu ». Des instituteurs se donnent pour but de « libérer les consciences de l’emprise de l’Eglise » (Jean Macé, instituteur fondateur de la Ligue de l’enseignement). Cette volonté se traduit dans les manuels.
Ainsi, selon les auteurs Aulard et Debidoux, dans un manuel de cours moyen, « En 1244, on brûla deux cent cinq hérétiques à la fois dans la petite ville de Montségur… en 1328 plusieurs centaines d’autres furent emmurés dans une grotte près de Foix où on les fit mourir de faim ; l’Inquisition, répandant partout la terreur et empêchant les hommes de penser, fonctionna durant plusieurs siècles dans les pays catholiques (Espagne, France). »« L’accusé n’avait pas de défenseur. L’Inquisition détruisit toute pensée libre dans le midi de la France et elle fit, au XIIe siècle d’innombrables victimes. » (mêmes auteurs, cours supérieur). « Les peines sont atroces, la torture, l’emmurement perpétuel, le bûcher; la liberté de pensée est étouffée par les cadavres d’innombrables victimes. » (Guiot et Mane, cours supérieur). S’il y a eu des abus au Moyen Âge, ceux-ci sont néanmoins restés minoritaires et les médiévistes ont depuis largement nuancé leurs opinions. Il faut par ailleurs se garder de tout jugement anachronique : les Droits de l’Homme n’ont aucun sens avant la fin du XVIIIe siècle. Comme le remarque le médiéviste Jacques Heers à propos des manuels de la fin du XIXe, ces auteurs dénonçaient l’atteinte à la liberté de pensée ; mais, au service de l’État et d’un courant d’opinion, se demandaient-ils s’ils laissaient, par leur matraquage intellectuel, le soin aux élèves de se forger leur propre opinion ?

Loin d’être une justice répressive pratiquant la terreur de masse, l’Inquisition a donc été plutôt une justice en avance sur son temps par ses procédures et globalement moins sévère que la justice séculière. Sur plusieurs siècles, les condamnés de l’Inquisition restent bien inférieurs en nombre aux morts dus à la Terreur durant la Révolution française !

Bibliographie :
– Jean-Louis Biget. Hérésie et inquisition dans le Midi de la France. Picard, 2007.
– Jacques Heers. Le Moyen-Âge, une imposture. Perrin, 2008.
– Jean Sévillia. Historiquement correct. Perrin, 2003.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *