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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

A l’apogée de sa puissance, l’Europe entre, peu après 1870, dans une phase d’expansion coloniale entraînée par des facteurs démographiques, économiques, politiques et humanitaires. Si l’aventure coloniale a débuté dès le XVe siècle avec l’établissement de multiples comptoirs sur la côte africaine, la fin du XIXe siècle voit une expansion quasiment sans limites. Les grandes puissances européennes, Royaume-Uni en tête, se constituent de vastes empires coloniaux, entraînant un bouleversement sans précédent des habitudes et traditions des indigènes dominés.

Les causes de l’expansion

Croissance démographique et colonisation

La révolution démographique que connaît l’Europe depuis la fin du XVIIIe siècle constitue un puissant facteur d’expansion. La population du continent européen continue de croître à un rythme soutenu dans la seconde moitié du XIXe siècle, entraînant des flux migratoires qui s’orientent vers les nouveaux mondes. Au fur et à mesure que la transition démographique touche les différents Etats européens se succèdent différentes vagues migratoires. En dépit de l’émigration outre-mer, la population européenne passe de 274 millions d’habitants en 1850 à 400 millions en 1900 et à 450 millions à la veille de la Grande Guerre. Les deux grands ports européens de Hambourg et de Brême constituent la plaque tournante de l’émigration européenne.

Les migrants sont poussés par le désir d’avoir une vie meilleure. Les Etats-Unis deviennent une sorte d’Eldorado pour les Européens. Les progrès de la navigation accélèrent les migrations (perfectionnement des grands voiliers – clippers – et des navires à vapeur) : de 100 000 émigrants par an en 1840, la migration passe à 700 000 vers 1890. Une émigration vers les Etats indépendants d’Amérique du Sud comme au Rio Grande Do Sul (Sud du Brésil) se fait jour : 10 millions d’européens qui s’installent en Amérique latine. La ville de Buenos Aires devient européenne.

Les facteurs politiques et religieux jouent également un rôle par exemple dans le cas des Juifs de l’Empire russe qui émigrent vers les Etats-Unis pour échapper aux pogroms. Les migrations sont aussi un moyen de se débarrasser des rebuts de la société comme les criminels ou les prostituées. Quant aux déportations politiques comme celle des insurgés de juin 1848 en Algérie, elles sont tout à fait marginales et les opposants politiques (anarchistes, socialistes,…) préfèrent se réfugier dans des pays comme la France, l’Angleterre ou la Suisse.

L’immigration est alors une immigration de jeunes essentiellement masculine : ainsi en Australie on compte environ 200 hommes pour 100 femmes. Ces migrants, poussés par le goût de l’aventure ou le mythe de la terre promise, apportent dans les territoires colonisés un certain esprit pionnier ainsi que la notion d’épargne, d’effort et de sacrifice.

La « mission » de l’Europe

Jugeant leur civilisation supérieure à toutes les autres, les Européens estiment qu’ils ont une « mission » à remplir auprès des peuples colonisés laquelle est de leur apporter le « progrès », idée illustrée par Le fardeau de l’homme blanc (1899) de Rudyard Kipling.
Les Européens affirment agir par humanité, en apportant les progrès de la médecine et de l’agriculture, l’éducation, des infrastructures, en luttant contre les épidémies et les famines, en mettant fin aux guerres tribales et à l’esclavage des noirs encore largement pratiqué à cette époque (traite négrière musulmane et traite négrière interne). La colonisation n’est pas perçue seulement comme une « bonne affaire » mais aussi comme un « devoir civilisateur », une responsabilité vis-à-vis des peuples « en retard ». La culture des peuples autochtones va ainsi être confrontée à l’idée de civilisation supérieure de l’homme blanc.

Les Européens désirent aussi évangéliser les indigènes, ces « sauvages » qui semblent avoir des moeurs dépravés (nudité, polygamie,…). Les sociétés protestantes (Société missionnaire méthodiste, Société des missions de l’Eglise anglicane) rivalisent avec les ordres catholiques (Jésuites, Franciscains) en la matière. Les missions catholiques et protestantes contribuent à diffuser les valeurs de la civilisation européenne auprès des colonisés.

Un enjeu économique et stratégique

Les Européens entreprennent parfois des conquêtes coloniales pour des raisons économiques. Ce mobile de la colonisation est imprégné par la notion de l’Eldorado. Il a été un moment considéré que l’Amérique du Nord était un immense territoire orifère. Le colonialisme répond donc à une volonté de trouver des richesses nouvelles mais aussi de répondre aux difficultés économiques. La colonisation, créant de nouveaux débouchés aux produits manufacturés européens, est un moyen de contourner le protectionnisme qui se développe en ces temps de Grande Dépression.
Pour Jules Ferry, la colonisation doit déboucher sur un énorme marché : il y a une idée de complémentarité entre la colonie et la métropole, l’Europe devant être le continent manufacturier et les colonies le lieu de production des matières premières. Le but est de créer une dépendance des territoires colonisés par rapport à la métropole.
Mais la colonisation est aussi une opération de prestige, les Européens considèrent alors que plus une nation a de territoires coloniaux plus elle est significative. Le plus grand empire colonial est l’empire anglais (30 millions de km2) suivi par l’empire français (11 millions de km2). Les autres Etats européens, à côté de ces deux puissances, font figure de parents pauvres. L’Allemagne va se lancer tardivement dans la colonisation. Enfin, pour les Britanniques, la colonisation a aussi un enjeu militaire : la possession d’une série d’îles réparties sur l’ensemble du globe leur permettent le contrôle des mers.

Colonisation et idéologie coloniale

Parti colonial et opinion publique

L’opinion n’est pas unanime à approuver la politique coloniale. En France, cette politique est même rejetée par une partie des républicains de gauche, considérée comme une perte d’énergie et d’argent. L’extrême-gauche et les conservateurs reprochent au parti colonial de détourner le pays de sa véritable mission : la reconquête des provinces perdues en 1871, l’Alsace et la Moselle. Des hommes politiques vont même jusqu’à condamner l’idée même du colonialisme, comme le radical Georges Clemenceau ou le monarchiste Paul de Cassagnac.
En Allemagne, la Weltpolitik de l’empereur Guillaume II se heurte à une vive opposition des hommes politiques. En Grande-Bretagne, jusque vers 1880, l’opinion est opposée à une politique jugée aventureuse. Dans un cadre plus général, dans un souci de paix, pour éviter les frictions avec les autres puissances coloniales, on est contre la colonisation.

A côté de ces détracteurs, il existe tout un tas de lobbies et groupes de pression pour encourager le colonialisme. Ce sont par exemple, les sociétés de géographie, animées par la soif de connaissances, la passion de la découverte, le goût de l’exotisme, qui poussent les gouvernements à l’entreprise coloniale. Dans tous les pays coloniaux est présent un parti colonial à l’Assemblée qui regroupe des politiciens de toutes les couleurs. Ces lobbies politiques et économiques exercent une pression croissante et de grands journaux nationalistes comme l’Action française soutiennent l’idée coloniale. Par ailleurs, pour un politicien, la réussite coloniale est un gage de popularité.

Au sein des sociétés européennes, peu à peu, la colonisation va se populariser et l’idée de puissance civilisatrice européenne se répandre. Les expositions universelles vont être l’occasion d’exposer les produits coloniaux.

La conquête de l’Afrique

La colonisation de l’Afrique débute vers 1830 et va être un mouvement très rapide. Les Européens se trouvaient auparavant dans un ensemble de comptoirs dispersés sur la côte africaine depuis le XVe siècle. En 1830, l’Algérie est colonisée par la France. Mais ce n’est que dans les années 1880 que les expéditions se multiplient (les Français s’emparent de la Tunisie en 1881, de l’île de Madagascar en 1883; les Britanniques occupent l’Egypte en 1882). La colonisation est facilitée par la division des autochtones en de nombreuses ethnies très diversifiées qui rendent la cohésion nationale difficile. De nombreuses petites puissances trouvent leur place comme la Belgique avec le Congo. Même l’Espagne joue un rôle colonisateur avec un protectorat au Maroc. En l’espace d’une cinquantaine d’année, le continent africain est transformé.
Seuls deux pays échappent à la colonisation : l’Ethiopie, qui inflige une humiliante défaite aux Italiens à la bataille d’Adoua en 1896, et le Libéria, soutenu par les Etats-Unis (car colonisé par des Noirs américains) indépendant depuis 1847. La France quant à elle possède deux grandes zones : l’Afrique équatoriale française et l’Afrique orientale française.

La présence européenne dans le monde

La présence européenne est considérable dans le monde. De vastes empires coloniaux sont constitués à la fin du XIXe siècle. C’est un véritable partage de la planète qui s’est opéré en quelques décennies. Toutes les nations européennes sont représentées. De 1876 à 1900, les puissances colonisatrices passent à une occupation de 11 à 90 % du territoire africain, de 57 à 99 % du territoire polynésien, de 51,5 à 57 % du territoire asiatique.
L’extension vers l’Asie, débutée très tôt, est principalement le résultat de l’action des Français et des Britanniques. Les Pays-Bas colonisent ce qui sera appelé les Indes néerlandaises. En Chine, les Anglais et les Portugais mettent la main sur des comptoirs qui connaîtront une grande longévité politique tels Hong-Kong ou Macao.

A la veille de la première guerre mondiale, le plus étendu et le plus peuplé des empires est l’empire contrôlé par les Britanniques (33 millions de km2, 450 millions d’habitants). L’Inde, dont la reine Victoria est devenue impératrice en 1877, en constitue la pièce maîtresse.
Le second empire colonial est l’empire français avec ses 10 millions de km2 et ses 55 millions d’habitants. Maîtresse de nombreuses îles et de comptoirs éparpillés entre l’Inde, l’Amérique et l’Océanie, la France détient deux blocs compacts, l’un en Afrique (pays du Maghreb, l’AOF et l’AEF) l’autre en Asie orientale (Union indochinoise).

Système colonial et exploitation économique

Le système colonial
Les doctrines coloniales

Les années 1880 sont des années de crise économique (Grande Dépression). Les Européens cherchent de nouveaux espaces pour les débouchés des produits manufacturés. La mission civilisatrice est un postulat essentiel de la doctrine coloniale et par conséquent les autochtones vont être exclus de toute responsabilité.

La doctrine de l’assimilation par l’éducation est défendue par la France de la IIIe République. L’Eglise joue alors un rôle important dans le système éducatif. Dans les manuels scolaires de l’époque, le petit Algérien apprend que ses ancêtres sont les Gaulois (!). Le jeune Mao Ze-Dong a lu Rousseau, Montesquieu et Tolstoï. Ho Chi Minh et Abd el-Krim seront formés à l’école de la République (ces élites formées à l’européenne, imprégnées des idées libérales, initieront les premiers mouvements de contestation ou de libération nationale). Les autochtones ne seront malgré tout pas considérés comme les égaux des populations européennes.

La doctrine de l’association, très marginale, est défendue par l’Angleterre. Elle aboutit au dominion qui confère une partie de la souveraineté à la colonie. Ce statut, créé pour le Canada en 1867, est étendu successivement à l’Australie (1901), la Nouvelle-Zélande (1907) et à l’Union Sud-Africaine (1910).

L’administration des colonies

Dans les années 1880, les puissances européennes décident de s’investir davantage dans leurs colonies. Instituts et écoles (comme l’Ecole coloniale française) sont créées pour former les administrateurs coloniaux. A cette même époque se mettent en place des administrations centrales. Après la Grande-Bretagne et l’Espagne, la France se dote d’un ministère des Colonies en 1894, l’Allemagne en 1907; mais les effectifs de ces administrations demeurent modestes.
Certaines colonies sont chapeautées par plusieurs puissances (condominium) telles les Nouvelles-Hébrides franco-anglaise ou le Soudan anglo-égyptien, mais le cas le plus répandu est la colonie contrôlée par une seule puissance. Ces colonies s’opposent aux protectorats, territoires qui dépendent de leur puissance coloniale pour la sécurité et les relations extérieures mais qui restent théoriquement souverains dans les autres domaines.

Une entreprise coûteuse et des sociétés bouleversées

Des Etats comme la France investissent largement dans les colonies. Ingénieurs et techniciens européens construisent dans les pays colonisés ou économiquement dépendants des routes, des voies ferrées, des installations portuaires, des réseaux télégraphiques ou téléphoniques qui facilitent l’exploitation des territoires. Le réseau ferré des Indes, inférieur à 800 kilomètres en 1870 passe à 51.500 en 1910. En Afrique, 84 % des investissements français sont d’origine publique : c’est l’Etat qui assume l’écrasante majorité du coût des travaux. De formidables efforts sont effectués dans le domaine sanitaire : hôpitaux, instituts d’hygiène, dispensaires établis par des missionnaires font reculer la mortalité dans la plupart des colonies. La population algérienne passe ainsi de 2,2 à 4,8 millions d’habitants entre 1871 et 1914. Des richesses jusque-là inexploitées sont mises en valeur : or et diamant du Transvaal, phosphate et fer du Maghreb, charbon du Tonkin, vanille et girofle à Madagascar… Détenteurs d’environ 60 % environ de l’or monnayé dans le monde, les Européens sont les banquiers du monde. Cette pénétration économique permettent aux Européens d’imposer aux régions dominés des orientations de nature politique ou à un dépècement en zones d’influence comme en Chine. Cependant, les modes de vie des indigènes sont désorganisés : ainsi, la nécessité de payer des impôts en argent contraint les indigènes à se livrer à des travaux salariés, les obligeant à délaisser les modes de subsistance traditionnels.

Le bilan de la domination économique

Les colonies n’ont pas toutes été avantageuses économiquement. A l’exception de secteurs marginaux, l’investissement dans les infrastructures (routes, voies ferrées, ports) n’a pas été rentable pour la France. Les produits coloniaux coûtent plus chers que ceux du commerce international. Les colonies françaises bien que très étendues, couvrent de vastes zones vierges comme le Sahara. L’expansion coloniale aura donc été avant tout une opération de prestige. Les Britanniques sont ceux qui s’en tirent le mieux. Ils exportent la moitié de leur capital dans le monde. Le Royaume-Uni dont la balance commerciale est déficitaire de plus de 3 milliards de francs en 1913, compense largement ce manque grâce aux revenus de ses capitaux placés à l’extérieur : plus de 5 milliards.

Bibliographie :
ANCEAU Eric, Introduction au XIXème siècle. Tome 2 : 1870 à 1914, Paris, Belin, 2005.
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, Nationalismes et concert européen. 1815-1919, tome 4, Paris, Hatier, 1996.

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