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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

L’Islam, qui signifie « soumission à Dieu » n’est pas uniquement une religion mais une civilisation. Cette civilisation va se constituer en moins d’un siècle un immense empire s’étalant de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Le prophète Muhammad va véritablement bouleverser l’Arabie du VIIe siècle, en l’unifiant, et en encourageant la conquête de nouveaux territoires. Après la mort du Prophète, les califes rashidun mènent une politique d’expansion sur les empires voisins. Les califes Uthman et Ali sont confrontés à des difficultés croissantes, qui atteignent leur paroxysme sous le califat d’Ali et qui aboutissent à la division du monde musulman en trois groupes : les sunnites, les shi’ites et les kharidjites.

L’Arabie avant l’Islam

Le milieu et les hommes

Le milieu naturel a joué un grand rôle dans la naissance de l’Islam. La péninsule arabique est un milieu dominé par les déserts, couvrant près de trois millions de km2. Ce territoire immense s’étendant sur 2500 km du nord au sud et 1500 km dans sa plus large largeur constitue pour les Arabes une île, c’est-à-dire une terre coupée du reste du monde. Cette terre est naturellement isolée, séparée de l’Afrique par la mer Rouge, de l’Asie par le Golfe Persique, et de la Syrie et de la Palestine par le désert du Nafûd. Trois chaînes de montagnes, sur les bordures de la mer, renforcent cet isolement. Dans ces territoires, il fait très chaud (50°) et les précipitations sont quasiment absentes.
La végétation est donc naturellement très réduite et les cultures se concentrent autour de quelques oasis. Seul le Sud de l’Arabie échappe à la sécheresse puisqu’elle est sujette aux moussons venant de l’océan Indien.

Les Arabes affirment alors constituer deux groupes. Les Arabes du Nord et du centre auraient eu pour ancêtre Adnan, descendant d’Abraham. Les Arabes du Sud disent quant à eux venir de Qahtan, descendant de Noé. Les différences entre Arabes du Nord (les Qaisites) et Arabes du Sud (les Yemenites) sont essentiellement linguistiques. Cette opposition engendrera tensions et conflits dans les premiers temps de l’Islam.
Les nomades de l’Arabie centrale et du Nord, les Sarakênoi (d’où le nom « Sarrasins »), ne forment pas d’Etat. Ils sont organisés en tribus divisées en clans. Le clan est dirigé par un shaykh choisi par le groupe pour ses qualités personnelles : il n’y a pas de transmission de pouvoir de père en fils. Les liens de consanguinité sont très étroits dans le clan puisque généralement l’homme se marie avec une fille du clan, de préférence sa cousine. Une très forte solidarité unit ce clan. Chaque clan a son poète, personnage très respecté et admiré, qui chante les exploits des héros de la tribu. Les thèmes poétiques les plus fréquents sont l’amour de la femme et le désert. Chaque année se tient des joutes oratoires qui opposent tous les poètes des tribus.

Les activités économiques

En dehors de fréquentes razzias vers le Nord, la plus grande partie des activités économiques des Bédouins est constituée par l’élevage, en particulier celui du chameau. Cet animal endurant (80 km par jour), pouvant porter de lourdes charges, fournissant du lait, de la viande, de la peau et de la laine, a été l’élément de l’expansion musulmane.
Dans les oasis du Nord et du centre de la Péninsule sont produites des dattes et des céréales. Dans le Sud, au moyen de cultures en terrasse se développe la culture de la vigne. On y trouve des fruits et des légumes, ainsi que des épices et des parfums. Cette région prospère était l’Arabie Heureuse des auteurs antiques, qui a connu une brillante civilisation, le royaume de la reine de Saba.

L’Arabie est un haut-lieu du commerce par sa position de carrefour entre l’Asie, l’Afrique et le Proche-Orient. Les échanges se font essentiellement par voie terrestre essentiellement avec les caravanes. De l’Afrique orientale proviennent esclaves, or, ivoire et pierres précieuses ; de l’Est, de la soie, de l’or et des perles ; du Nord, du blé, de l’huile et des produits manufacturés.
Les villes de Yathrib, de Tâ’if et surtout de La Mecque constituent les haut-lieux du commerce. La Mecque, par sa position privilégiée (oasis, voies commerciales, grand marché), devient peu à peu le grand centre de l’Arabie. Le succès de La Mecque peu aussi s’expliquer par la présence de la Ka’ba, sorte de grand cube sacré de plus de 10 mètres de côté, dont on fait remonter la création à Abraham, qui contient une pierre noire ainsi que quatre divinités et 360 génies, apportés par les tribus arabes. Ce sanctuaire fait l’objet d’un pèlerinage annuel qui fournit des revenus aux Mecquois. C’est là que nait Muhammad (Mahomet), prophète de l’Islam.

Religions et croyances arabes

Les auteurs musulmans ont désigné l’ère pré-islamique comme « le temps de l’ignorance ». Néanmoins, le religieux tenait alors une place importante dans la société.
Les Arabes du Sud sont polythéistes. Ils adorent de nombreux dieux et déesses que personnifient les planètes : ainsi la déesse « Shams » représente le Soleil. Chez les Arabes du Nord et du Centre, la magie et le surnaturel tiennent une place très importante. Ils pratiquent la divination par le vol des oiseaux, et pensent être entourés de djins, esprits invisibles qui peuvent se matérialiser sous forme animale. A La Mecque est adoré plus particulièrement « Allâh », créateur de l’Univers.
Mais l’Arabie connaissait aussi l’influence des deux religions monothéistes d’alors : le Judaïsme et le Christianisme. Les Juifs sont plus nombreux que les Chrétiens et forment d’importantes communautés comme à Yathrib (la future Médine) ou au Yemen. Certaines tribus se sont converties au Christianisme comme les Banû Taghlib.

Le Prophète Muhammad et l’apparition de l’Islam

Le Prophète avant la révélation

C’est à La Mecque, vers 570, que nait Muhammad, d’un père négociant se nommant Abd Allâh et de sa mère Amina. Abd Allâh meurt alors que sa femme est enceinte. Orphelin de père, Muhammad passe une enfance très pénible. Amina décède alors que Muhammad n’a que 6 ans. Il est recueilli par son grand-père Abd al-Muttalib qui disparaît lui-même deux ans plus tard. Il passe alors chez son oncle paternel, commerçant aisé, qui le confie à une nourrice nommée Halîma.
La formation de Muhammad est inconnue. La légende en fait un homme illettré, ce qui est sujet au doute. Il est probable qu’il ait été influencé par les deux monothéismes, le Christianisme d’abord puis le Judaïsme. Muhammad reste longtemps célibataire, jusqu’en 595-600 où il se marie avec une veuve assez âgée (une quarantaine d’années), Khadîdja, riche et de 10 à 15 ans son aînée. Il a 4 filles avec elle et 2 ou 3 fils qui meurent en bas age. Muhammad adopte son jeune cousin Alî ainsi qu’un esclave nommé Zayd qu’il affranchit.

La révélation et les débuts de l’Islam

La tradition rapporte que Muhammad avait l’habitude d’aller faire des retraites en solitaire pour méditer, dans une caverne située sur la colline de Hira à quelques kilomètres au nord-est de La Mecque. La première apparition se serait produite dans l’année 612. Selon le récit d’Ibn Ishâq, Muhammad dort dans la caverne lorsque l’archange Gabriel apparait. Il s’avance vers Muhammad et lui ordonna « Récite ! ». Il l’étreint ensuite et lui dicte la sourate 96 du Coran connue sous le nom de « le caillot de sang ». Muhammad vient de devenir le prophète d’Allâh, créateur de l’Univers. La révélation dure 23 ans, abondante dans les premières années puis moins fréquente par la suite.

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Muhammad prêchant (illustration d’un manuscrit ottoman du XVIIe).

Très rapidement, un groupe d’une quarantaine de convertis se forme autour de Muhammad (dont Khadîdja, Alî et Zayd). Pour les chefs locaux, les Qurayshites, l’Islam apparaît d’abord comme un mouvement dissident, regroupant les insatisfaits de la société, mais sans danger réel. Muhammad continue sa prédication sans être inquiété. Parmi les exercices pieux, la prière associe la récitation des paroles d’Allâh à une série de prosternations en direction de Jérusalem. Lorsque Muhammad se met à dénoncer le polythéisme des Mecquois, la tension grandit. En 619, Muhammad perd sa femme Khadîdja et son oncle Abû Talib. Des persécutions commencent envers le Prophète et ses adeptes, les musulmans. Les partisans de Muhammad (appelés les « Muhadjirun ») quittent La Mecque pour Yathrib (future Médine) en 622 : c’est l’Hégire. Là-bas coexistent des tribus juives et arabes ennemies des Qurayshites. On distingue dès lors dans la communauté musulmane deux groupes : les émigrants qui ont quitté La Mecque pour accompagner le prophète à Médine, appelés les Muhadjirun, et les nouveaux convertis de Médine appelés les Ansar.

Les succès et les dernières années du Prophète

L’installation à Yathrib constitue un tournant décisif dans la vie du Prophète et dans l’histoire de l’Islam. De chef religieux, Muhammad devient chef politique responsable d’une communauté grandissante. Muhammad se marie avec Aisha, alors âgée de six ans. C’est à cette époque que Yathrib prend le nom de Médine (Madînat al-Nabî : la ville du Prophète). Dès 624, Muhammad ordonna que la prière se fasse non plus vers Jerusalem, mais vers la Ka’ba de La Mecque. Le climat n’est pas serein, la communauté musulmane rencontrant deux difficultés considérables : l’opposition de certains musulmans à la politique du Prophète (appelés les hypocrites) et le refus des communautés juives de se soumettre à l’Islam. Successivement, les tribus juives des Banu Qunayqa puis des Banu Al-Nadir et enfin des Banu Qurayza sont chassées de la ville par les musulmans. Certains hommes sont massacrés tandis que des femmes et des enfants sont vendus comme esclaves.

Un blocus commercial est mis en place contre Médine et se pose alors rapidement la question des subsistances. Des razzias sont alors menées sur les routes empruntées par les caravanes mecquoises. Les Mecquois, dirigés par les Qurayshites ripostent alors en mars 625 et infligent une défaite cuisante aux musulmans près du mont Uhud. Le Prophète y est blessé et perd plusieurs de ses proches. Deux ans plus tard, des tribus enrôlées par les Qurayshites sous la direction du chef mecquois Abû Sufyân attaquent Médine. Le Prophète fait construire un fossé autour de la ville et les assaillants se voient obligés de lever le siège. L’événement est connu sous le nom de « bataille du fossé ».

Les musulmans passèrent alors à l’offensive. Le ralliement des tribus bédouines de l’Ouest et l’affaiblissement des Qurayshites dû aux razzias confortent les musulmans dans cette nouvelle politique. Une trêve de dix ans est conclue avec les Qurayshites à Hudaybiyya et Muhammad se voit autorisé à faire un pèlerinage à La Mecque en 629. Cependant, en 630, prenant le prétexte du meurtre d’un musulman, Muhammad rompt le pacte d’Hudaybiyya et marche sur La Mecque à la tête d’une armée de 10 000 hommes. Les Mecquois se rendent et acceptèrent les conditions de Muhammad. Le chef Abû Sufyân, sentant le vent tourner, se convertit à l’Islam et donne sa fille, Umm Habîba, à Muhammad. Ce dernier se rend à la Ka’ba où il fait abattre toutes les idoles qui s’y trouvent et déclare l’enceinte du sanctuaire sacrée. Après une victoire militaire à Hunayn contre la tribu des Hawâzin, rivale des Qurayshites vaincus, la plupart des tribus d’Arabie rejoignent d’elles-mêmes le Prophète. En 632, Muhammad, avec 90 000 fidèles, fait un pèlerinage à La Mecque. Ce pèlerinage restera sous le nom de pèlerinage de l’Adieu. En effet, Muhammad tombe gravement malade. A plus de 60 ans (date inconnue), il mène néanmoins lui-même une expédition contre la ville byzantine de Tabouk qui capitule et se soumet aux musulmans. Le Prophète meurt trois mois plus tard, le 8 juin 632 dans la maison de sa dernière épouse, Aisha.

Les califes rashidun et l’expansion musulmane

Les califes « bien guidés » (rashidun)

A sa mort, Muhammad n’a pas de fils ou de successeur désigné. Abu Bakr, un des premiers compagnons du Prophète et le père d’Aisha, est désigné pour être le premier calife par les muhadjirun (premiers convertis de La Mecque) au détriment des deux principaux membres de la famille de Muhammad : Ali et Abbas. Il prend le titre de khalifat rasul Allah, ce qui signifie « successeur de l’envoyé de Dieu ». Cette désignation entraîne le mécontentement des Bédouins qui font pour une partie d’entre eux sécession (crise nommée ridda). Le chef militaire Ikrima est choisi pour mener la guerre aux Bédouins de l’Est, qui sont finalement écrasés. Abu Bakr meurt en 634, laissant donc rapidement la place à un deuxième calife qui est Umar, choisi par Abu Bakr, beau-père de Muhammad puisqu’il lui avait donné en mariage sa fille Hafsa.
Umar favorise le mouvement de conquêtes et institua une commission de six membres dont une des fonctions était de nommer le nouveau calife. Celle-ci comprend notamment les deux prochains califes : Uthman et Ali. Umar meurt assassiné en 644 dans la mosquée de Médine. Son successeur, Uthman, désigné par la commission et gendre du Prophète, règne de 644 à 656 (année de son assassinat). Ali, dernier calife rashidun, est le cousin du Prophète et son gendre et règne jusqu’en 661.

Le temps des conquêtes

Par leur position géographique, les territoires de Syrie et de Palestine sont les premiers à subir les raids musulmans. L’offensive contre les territoires du Nord dominés par les Byzantins commence dès 632, à peine quelques semaines après la mort du Prophète. Damas est prise une première fois en 635, perdue puis définitivement reconquise fin 636. La même année, une armée envoyée par l’empereur byzantin Héraclius est défaite par les musulmans à Yarmuk. Les Byzantins se replient alors vers le Nord pour tenter d’y réorganiser leur défense ; Jérusalem tombe en 638. Deux ans plus tard, les musulmans deviennent les maîtres de la Syrie. Dès 639, les musulmans se lancent à la conquête de l’Egypte. Héliopolis tombe en 640, Tripoli en 644, Alexandrie en 646. Quant à l’Empire Perse sassanide, il ne résiste pas à la défaite de Névahend en 642. Les musulmans s’emparèrent de Persépolis en 648 et de Kaboul en 652.

La rapidité de la conquête s’explique par plusieurs facteurs, en premier lieu la faiblesse des empires byzantin et sassanide, sortis d’une guerre de cinquante ans ; mais aussi l’effet de surprise pour les Byzantins (les Arabes n’ayant jamais constitué un danger), l’enthousiasme religieux (guerre sainte), l’intendance de qualité (tradition caravanière) et une parfaite connaissance du terrain.

Partout minoritaires, les Arabes s’installent dans les provinces conquises à l’écart des autochtones dans des camps à la fois militaires et religieux, appelés à devenir permanents. C’est ainsi que sont fondées les villes de Kairouan (en Tunisie), Fustat (en Egypte), Basra (en Irak) ou encore Kufa (en Iran). Les populations locales non-musulmanes mais monothéistes (chrétiens, juifs, zoroastriens) ont le statut de dhimmi et portent le nom de « gens du Livre ». Elles doivent payer un impôt spécial : la djizya. Elles gardent la liberté de pratiquer leur culte et de conserver leur organisation interne bien qu’elles soient obligées de respecter un certain nombre de contraintes (prosélytisme interdit, pas de construction de nouveaux lieux de culte, port de signes distinctifs, …). Au début, la conquête ne bouleverse finalement pas la vie des populations indigènes qui perçoivent souvent les Arabes comme des conquérants tolérants.

La fitna

Le mot de fitna désigne en arabe la sécession qui se manifesta au sein de la communauté musulmane sous le califat d’Ali.
De nombreux musulmans se dressent contre le calife Ali lors de son arrivée au pouvoir, après l’assassinat d’Uthman dont Ali est rapidement accusé d’être l’inspirateur. Ali écrase des révoltés d’Irak à la bataille du Chameau près de Basra en 656. En Syrie, sous la direction du gouverneur de Damas, Mu’awiya (fils d’Abu Sufyan et cousin d’Uthman), nait une farouche opposition qui contraint Ali à quitter l’Arabie pour s’établir à Kufa. Les fidèles d’Ali et ses opposants s’affrontent lors de la bataille de Siffin (657), sur les rives de l’Euphrate, près de la ville syrienne actuelle de Ar-Raqqa. Les belligérants se mettent d’accord, pendant la bataille, sur une procédure d’arbitrage. Le principe est accepté par l’ensemble des combattants, à l’exception d’un certain nombre de partisans d’Ali, jugeant que le calife a été désigné par Allah et qu’il n’a donc pas le droit de revenir sur cette décision divine. Ces réfractaires sont appelés les kharidjites (littéralement « ceux qui sont sortis »). A la suite de l’arbitrage, Ali est finalement désigné comme responsable des événements de 656 et la position de Mu’awiya s’en trouve renforcée. Ce dernier est proclamé calife en 659. La Syrie, l’Egypte, La Mecque et Médine passèrent sous son autorité, ne laissant à Ali que l’Irak. Trois groupes rivaux au sein de l’Islam se constituent ainsi : les sunnites, majoritaires, partisans de Mu’awiya ; les shi’ites, partisans d’Ali ; les kharidjites, qui ont rompu avec Ali. Ali échoue à ramener dans son domaine ses anciens partisans et est assassiné avec ses fils en 661 par les kharidjites (Mu’awiya est aussi visé mais l’attentat échoue).

Bibliographie :
Sénac, Philippe. Le monde musulman. Des origines au XIe siècle. Armand Colin, 2007.

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