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L'Histoire de France, de l'Europe & du Monde

Si le XVIIIe siècle est celui de la croissance, c’est aussi le siècle des Lumières. Des philosophes porteurs des idées nouvelles souhaitent « éclairer toutes choses à la lumière de la raison » et s’engagent dans une lutte contre les ténèbres de l’ignorance, de l’obscurantisme et du fanatisme afin de permettre aux hommes de vivre dans un monde meilleur. Les croyances traditionnelles et la monarchie absolue sont, entre autres, remises en question. L’Encyclopédie, publiée entre 1751 et 1772 joue un rôle majeur dans la diffusion de ces nouvelles idées. Parallèlement, le mouvement littéraire et artistique connaît un éclat sans précédent.

Le mouvement philosophique

Le temps des philosophes

La critique des croyances traditionnelles et de la monarchie absolue s’est amorcée dès les années 1680-1715. Les grands écrivains et philosophes entendent substituer aux « ténèbres » de l’obscurantisme les « lumières » de la raison. Dès 1721, Montesquieu publie les Lettres persanes, fiction relatant la correspondance entre Persans mais constituant une satire des croyances et des moeurs des Français à la fin du règne de Louis XIV. En 1748 il fait paraître L’Esprit des lois qui rencontre un très grand succès; il y défend le régime politique d’une monarchie tempérée par l’existence de corps intermédiaires et fondée sur la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Voltaire (1694-1778), pseudonyme de Français-Marie Arouet, devient le souverain de l’Europe intellectuelle des Lumières grâce à ses nombreuses correspondances, ses libelles, ses ouvrages et sa défense des victimes de l’intolérance dont la plus connue est Calas (réhabilitée en 1763). Dénonçant avec une grande vigueur le fanatisme et l’intolérance, il reste néanmoins un modéré sur le plan politique et social. Denis Diderot (1713-1784), esprit très hardi, entreprend à partir de 1751 la publication de la monumentale Encyclopédie.
Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est à part dans ce mouvement philosophique. Persuadé de la bonté naturelle des hommes et convaincu que l’état de nature vaut mieux que la civilisation, il constitue l’un des philosophes du contrat social. Dans le Contrat social (1762), il expose sa théorie d’une cité où les droits naturels de l’individu seraient garantis par la volonté générale du peuple souverain.

Les principales Oeuvres des grands philosophes ont été écrites avant le milieu du siècle, mais cependant ce n’est surtout qu’après 1750 qu’elles commencent à être vraiment connues. La diffusion des Lumières se heurte, en France, à l’opposition des autorités civiles et religieuses. Aucun ouvrage ne peut théoriquement paraître sans permis d’imprimer. Voltaire, Diderot et Rousseau connaissent la prison ou sont contraints à l’exil, et imprimeurs ou colporteurs de livres interdits sont envoyés aux galères.

Au-delà de leur philosophie personnelle, les philosophes des Lumières ont en commun le même souci de la critique de la société de leur temps, sur tous les plans qu’ils soient religieux, politique, social ou économique.

L’Encyclopédie

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Première page de l’Encylopédie.

La grande Oeuvre collective de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dont la publication s’étale de 1751 à 1772, incarne plus que tout autre ouvrage l’esprit des Lumières. Les auteurs de l’Encyclopédie furent inspirés par la Cyclopédia ou Dictionnaire universel des arts et des sciences, encyclopédie anglaise d’Ephraim Chambers, parue à Londres en 1728.

Souhaitant réunir les meilleures spécialistes dans toutes les disciplines, Diderot, dirigeant cette oeuvre monumentale avec le mathématicien d’Alembert, a recruté au moins 146 auteurs dont Rousseau, Voltaire, Montesquieu, d’Holbach, Buffon, Quesnay, Turgot et Jaucourt afin de faire le point sur les connaissances de l’époque mais aussi de critiquer habilement les institutions politiques et les idées religieuses. Diderot lui-même a rédigé plus de 5000 articles et le chevalier de Jaucourt plus de 17.000 !

Au total, l’oeuvre compte plus de 71.000 articles répartis en 33 volumes dont 11 de planches. Elle rencontre des difficultés dans sa publication, les deux premiers volumes étant saisis en 1752 et le privilège d’impression révoqué en 1759 mais l’édition continue clandestinement. L’Encyclopédie aura un impact décisif sur la diffusion de la pensée des Lumières.

La diffusion des Lumières


A côté des ouvrages philosophiques et de l’Encyclopédie, d’autres véhicules propagent les idées nouvelles :

  • La presse grâce notamment aux journaux animés par des philosophes (le Journal encyclopédique par exemple).
  • Les salons (comme celui de Madame de Tencin ou de Madame du Deffand).
  • Les académies provinciales qui sont une cinquantaine en France.
  • La franc-maçonnerie, fondée en Angleterre au début du siècle, qui prêche la croyance en un Dieu Grand Architecte de l’Univers, la foi dans le progrès humain grâce à la raison et la nécessité de fraternité.

Enfin, la diffusion des « Lumières » est aussi facilitée par l’utilisation de la langue française répandue dans les milieux cultivés de la plupart des pays européens.

Après 1760, le mouvement des Lumières connaît un certain déclin. La plupart des grands esprits disparaissent (Voltaire et Rousseau en 1778, Diderot en 1784). Le sentiment religieux paraît regagner quelque peu les esprits comme en témoignent les courbes d’ordinations dans différents diocèses. Le mesmérisme, apparu en 1778, imagine la communication des âmes avec l’au-delà. Vers 1780 apparaît une contestation plus féroce de la monarchie qui aboutira, dans un contexte troublé, à la Révolution française de 1789.

Les idées des Lumières

Un mouvement élitiste

Le mouvement des Lumières est élitiste et rejette le petit peuple. La liberté est pensée comme une théorie philosophique universelle mais qui cependant ne peut pas s’appliquer à tous dans la pratique de la réalité sociale et politique. Peu d’hommes seraient capables de raisonner. « La multitude des bêtes brutes appelées hommes, comparée avec le petit nombre de ceux qui pensent, est au moins dans la proportion de cent à un chez beaucoup de nations » (Voltaire).

L’article « Philosophe » de l’Encyclopédie marque son mépris du peuple plongé dans les « ténèbres » : « La raison est à l’égard du philosophe, ce que la grâce est à l’égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine le philosophe. Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu’ils font soient précédées de la réflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres ; au lieu que le philosophe dans ses passions mêmes, n’agit qu’après la réflexion ; il marche la nuit, mais il est précédé d’un flambeau. »

Dans cet esprit, un certain nombre de philosophes des Lumières s’opposent à l’instruction populaire dispensée par l’Eglise ou aux collèges gratuits tenus par un certain nombre d’ordres religieux, en particulier les Jésuites. Voltaire écrit ainsi à Damilaville en 1766 : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. […] Ce n’est pas le manoeuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes ».

Le libéralisme politique et économique

Les Lumières ne sont pas un mouvement démocratique. Voltaire et Diderot défendent ainsi l’absolutisme éclairé, mode de gouvernement fondé sur le pouvoir fort et raisonnable d’un roi-philosophe, respectueux des libertés fondamentales (liberté individuelle, liberté de presse, liberté d’expression). A côté de cette position, Rousseau avec ses conceptions qui constituent les prémices de la démocratie passe pour un original.

Au niveau politique, les idées générales des Lumières se traduisent par le despotisme éclairé. Les monarques éclairés se déclarent être les premiers serviteurs de l’Etat, mettant leur autorité au service de la Raison. Ces monarques ont souvent entretenu une correspondance avec les philosophes des Lumières de leur temps voire les ont invité à venir les rejoindre à leur Cour (comme Frédéric II de Prusse avec Voltaire ou Catherine II de Russie avec Diderot).
Paradoxalement, ces souverains célébrés par l’opinion des Lumières ont créés des polices très efficaces. Le grand duc de Toscane et futur empereur du Saint Empire Pierre-Leopold est un véritable tyran policier, malgré sa décision d’interdire la torture et d’abolir la peine de mort. Le marquis de Pombal, premier-ministre du roi du Portugal Joseph Ier, fait supplicier des aristocrates des plus grandes familles (Aveiro, Tavora) et organise l’exécution de clercs, comme le père Malagrida.

Économiquement, la majorité des philosophes des Lumières se prononcent pour la levée de toute entrave au commerce. Ainsi, à l’article « Dimanche » de l’Encyclopédie, il est suggéré de lever l’interdit touchant le travail ce jour-là. Lorsque Turgot, homme des Lumières, devient contrôleur général des finances du jeune Louis XVI en 1774, il décrète le libre-échange des grains, supprimant tout obstacle à la spéculation alors que le souci de la monarchie depuis des siècles avait été de maintenir le prix du pain à un niveau raisonnable. Le « marché » fixant le prix à un niveau inaccessible pour une grande partie du peuple, il s’ensuit des émeutes dans tout le royaume (la Guerre des farines). En 1776, Turgot est disgracié et l’ancien système rétabli.

La lutte contre les superstitions

Les philosophes des Lumières ne sont pas athées (à quelques exceptions près comme Diderot, d’Holbach ou Helvétius) mais plutôt partisans d’un déisme, c’est-à-dire la croyance en un Être suprême Grand Architecte de l’Univers, qui n’intervient pas dans les affaires des Hommes, dépouillée de tout rituel religieux. « L’univers m’embarrasse et je ne puis songer – Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger » écrit Voltaire.

Les philosophes des Lumières n’attaquent pas la religion en elle-même mais ses mystères et ses rites : la religion idéale est désacralisée et le divin se confond avec les lois de la nature. Lorsque les rois Louis XV et Louis XVI touchent les écrouelles pour guérir les malades à l’instar de leurs ancêtres, Montesquieu et Voltaire conspuent pour ce qu’ils appellent une « croyance superstitieuse ». Les philosophes des Lumières protestent également contre les éléments dits « inutiles » du premier ordre du royaume : les membres du clergé régulier et les ordres monastiques, considérés comme oisifs. A l’inverse est érigé l’idéal du « bon prêtre », garant d’un certain ordre et pourvu d’un rôle social non remis en cause.

La littérature et les arts

Le mouvement littéraire

Les philosophes français ne sont pas seulement des penseurs mais aussi de brillants écrivains pour la plupart d’entre eux. Voltaire utilise l’histoire (Le Siècle de Louis XIV), le théâtre (Zaïre), le conte (Candide), l’épopée (La Henriade) ou encore la poésie. Cependant, alors que la philosophie des Lumières se veut une rupture, le mouvement littéraire et artistique se situe dans la continuité dans grands classiques. Mais la littérature n’est alors pas que l’apanage des philosophes; citons les écrivains français Vauvenargues (Maximes), le duc de Saint-Simon (Mémoires) ou encore Marivaux (La Vie de Mariannele Jeu de l’amour et du hasard).

A partir du milieu du XVIIIe siècle se met en place une réaction contre le rationalisme jugé trop desséchant. En Angleterre, les poèmes d’Edward Young (les Nuits) et de Macpherson (les Poèmes d’Ossian), les romans de Samuel Richardson (Clarisse Harlowe) et d’Olivier Goldsmith (Le Vicaire de Wakefield) sont très représentatifs de ce mouvement de revanche du sentiment (émotion et imagination). Dans le même genre, en France Rousseau publie La Nouvelle Héloïse (1761) et en Allemagne Goethe écrit Les Souffrances du jeune Werther.

On assiste parallèlement à un essor sans précédent du genre théâtral : 11 000 oeuvres sont produites durant le XVIIIe siècle contre six fois moins au siècle précédent. Les comédiens se professionnalisent mais sont mal vus par l’Eglise qui ne leur offre pas le droit d’être enterrés chrétiennement. Deux sociétés de comédiens doivent être distinguées:

  • Les membres des troupes privilégiées (comme la Comédie française).
  • Les membres des troupes foraines.
Le mouvement artistique

Le XVIIIe siècle voit un désir de retour à la nature et à l’intimité. Tandis que Rousseau vante l’état naturel de l’homme, se met en place une culture de l’intime touchant autant les arts plastiques que les décorations intérieures des maisons bourgeoises et aristocratiques. Le style rocaille, ou rococo, qui préfère à la ligne droite prisée par les générations précédentes le contour déchiqueté et la forme tourmentée s’impose. L’art se moralise, le public se mettant à préférer les natures mortes et les scènes d’intimité (tableaux de J.-B Greuze, portrait de Lavoisier par David) aux scènes libertines ou débauchées du règne de Louis XV.
L’architecture et la sculpture se voient aussi influencées par l’antiquité, considérée comme une période de moralité et de simplicité.

Au niveau musical, les progrès de l’instrumentation (violon, clavecin, piano-forte) et de l’harmonie permettent au XVIIIe siècle le développement de l’art de la sonate où la musique vient exclusivement des instruments (pas de voix). De grands musiciens apparaissent comme les italiens Vivaldi et Pergolèse, le français Jean-Philippe Rameau, les allemands Haendel, Haydn mais surtout Jean-Sébastien Bach et Wolfgang-Amadeus Mozart.
La musique qui auparavant était essentiellement religieuse se laïcise. Les salles de concert dans les grandes et moyennes villes se multiplient et les musiciens se professionnalisent. Mais malgré cet essor, la musique reste majoritairement l’affaire des couches nobiliaires et bourgeoises.

Bibliographie :
BAECQUE Antoine (de), MÉLONIO Françoise, Histoire culturelle de la France – 3. Lumières et liberté, Paris, Seuil, 1998.
BERSTEIN Serge, MILZA Pierre, États et identité européenne. XIVe siècle-1815, tome 3, Paris, Hatier, 1994.
CORVISIER André, Précis d’histoire moderne, Paris, PUF, 1971.
HÉLIE Jérôme, Petit atlas historique des Temps modernes, Paris, Armand Colin, 2000.
LEBRUN François, L’Europe et le monde. XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1987.

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